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Faïza Youssouf Soulé, libérée par les bien-pensants

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Faïza Youssouf Soulé, libérée par les bien-pensants

L’héroïne de la liberté de la presse poussée à la démission

Par ARM

     Chère Faïza,

C’est par cette lettre publique que je réagis à ta démission au journal gouvernemental Al-Watwan dit Al-WawaCelui qui pique», «fait gratter» ou «fait démanger»), dont tu étais la merveilleuse rédactrice en chef. Il a fallu digérer cette information pendant deux jours avant de réagir. Parfois, même un écorché vif aux arêtes vives a besoin d’un temps de méditation.

La première réflexion suscitée en moi par cette triste démission est très éloignée des Comores: la fameuse lettre de Jean Malaurie de mars 1986 à son ami René Dumont, l’auteur de L’Afrique noire est mal partie (1962), à l’occasion de la publication d’un autre livre, Pour l’Afrique, j’accuse. Voici quelques extraits de cette lettre d’anthologie, qui correspondent bien à la manière très courageuse et honnête avec laquelle tu exerces admirablement ton métier de journaliste: «Votre courage intellectuel, votre honnêteté, votre intégrité appellent le respect. […]. Votre immense qualité, votre jeunesse, c’est cette faculté d’écouter les autres et de vous remettre en question, quand la réalité de la vie vous invite à réviser votre jugement. À quatre-vingt-deux ans, vous n’avez pas renoncé à comprendre. Vous allez sur le terrain, habitez chez les paysans, vous asseyez parmi eux, écoutez avec humilité, quitte à vous mettre en contradiction avec vous-même. […].

Interdit de séjour, vos livres frappés de censure: voilà votre Légion d’honneur. Vous êtes un aventurier de la recherche. Dans chacun de vos ouvrages, vous nous faites part de vos indignations; vous nous soumettez vos propositions, sonnant le tocsin dans nos sociétés anesthésiées par leur confort matériel. L’Afrique noire est mal partie, L’Afrique étranglée, ces titres dénonciateurs qui ont suscité l’agacement, pour ne pas dire la colère, des dirigeants africains et d’autorités françaises, sont dans toutes les mémoires. Triste rôle que celui de Cassandre! Car l’Histoire s’accélère […]»: Cité par René Dumont en collaboration avec Charlotte Paquet: Pour l’Afrique j’accuse. Le journal d’un agronome au Sahel en voie de destruction, Postface de Michel Rocard, Librairie Plon, Collection «Terre humaine», Paris, 1986, pp. 401-402.

Chère Faïza,

Comme René Dumont, tu avais choisi le plus ingrat des rôles: celui de Cassandre, dont parle à juste titre Jean Malaurie. Cassandre nous a été léguée par la mythologie grecque. Le Dieu Apollon était amoureux d’elle, lui accorda le don de prédire l’avenir, mais elle rejeta cet amour. Pour se venger, Apollon lui cracha à la bouche, et cela l’empêcha d’être écoutée et d’être crue même de sa propre famille. Cassandre prédit l’avenir, un avenir qui n’est pas toujours serein, mais que personne ne veut croire, alors qu’elle est la stricte vérité.

Depuis quelques mois, tu n’étais pas à l’aise sur ton siège de rédactrice en chef du journal Al-Watwan. Tu étais partagée entre une obligation de loyauté envers un journal qui tu chéris et ton indépendance d’esprit. Tu n’es pas faite du bois avec lequel les ennemis de la liberté de la presse fabriquent des journalistes godillots. Tu ne l’as pas crié sur les toits, mais quand, à «l’Aéroport» de Mohéli, on vient te poser des questions perfides sur la fausse affaire des clous, comme si tu en étais responsable, tu as dû déployer des trésors de patience pour ne pas laisser la colère et l’indignation prendre le dessus. Personne ne peut t’accuser de déloyauté et de trahison envers qui que ce soit. Ton horrible «crime contre l’humanité» aux relents de «génocide»? Tu ne voulais pas devenir un vulgaire griot d’Afrique de l’Ouest, encore moins une Negafa, femme chargée de louer les qualités réelles ou supposées des mariés le jour de la cérémonie nuptiale, comme a dû en voir à Fès, au Maroc.

Au centre de cette démission, il y a le plus vil, le plus abject et le plus trivial des dirigeants comoriens, si tant est qu’on peut appeler cette chose un dirigeant: Kiki, l’ancien docker de Dunkerque, chef d’un escadron de la mort à Moroni, l’homme qui a pillé sans vergogne la Douane comorienne, le bandit qui a réalisé la prouesse universelle d’«obtenir» le même jour son «Master 2» et son «Doctorat» en «Intelligence économique», l’enfant maudit qui a renié sa propre mère pour se réclamer d’une autre afin d’acquérir frauduleusement et illégalement la nationalité française, la créature qui a servi de maquereau à une personne qu’il aurait dû chérir d’un amour et sincère. Kiki va pouvoir, enfin, confier ton poste à un maquereau comme lui, de qui il pourra obtenir tous les services éditoriaux malsains et indécents. Il est ça. Ça!

J’ai choisi la comparaison avec René Dumont, qui s’adressait au monde entier, parce que partout où les plus propres et les plus honnêtes des êtres humains refusent de se plier au mensonge et au crime, ils s’exposent à la haine et à la détestation des chantres de la bien-pensance. En Afrique, par recherche de sécurité matérielle, rares sont ceux qui démissionnent. Or, tu as démissionné. Cela t’a grandie aux yeux de toutes les personnes honnêtes que compte notre pays.

La roue de l’Histoire tourne. Martin Luther King a dit dans son célèbre discours I Have a dream (28 août 1963): «Je rêve qu’un jour toute la vallée sera relevée, toute colline et toute montagne seront rabaissées, les endroits escarpés seront aplanis et les chemins tortueux redressés, la gloire du Seigneur sera révélée à tout être fait de chair». Et, apparut Barack H. Obama. Oui, comme il a fallu remonter à René Dumont en 1986, il a fallu convoquer également Martin Luther King en 1963. Mais, nous allons plus loin, en partant à la recherche de Victor Hugo (1802-1885), dont une seule phrase résume la force de tous ceux qui placent leur liberté et leur vie au bout de leurs doigts, avec lesquels ils pianotent sur leurs claviers d’ordinateurs: «On résiste à l’invasion des armées; on ne résiste pas à l’invasion des idées».

Certains de tes amis les plus fidèles ont fait leur apparition lors de précédentes avanies, toujours liées à ton combat pour la liberté de la presse. Cette amitié et cette fidélité sont plus que jamais d’actualité. Ceux qui voient les côtes de l’île d’Anjouan sans s’en approcher non pas par peur de la prison, mais pour éviter à leurs familles du chagrin, iront bientôt exprimer de vive voix leur amour aux leurs, s’incliner devant les tombes de leurs chers disparus et, en parcourant les routes menant au Plateau de Djando, humeront les effluves se dégageant des marmites dans lesquelles le diable prépare ses repas après la prière d’Al-Ansr. Douce Mohéli.

Chère Faïza,

Tu as choisi de démissionner pour rester la femme libre que tu as toujours été. Cela t’ouvre de nouvelles perspectives. Quelles qu’elles puissent être, souviens-toi de ceci: amitié et fidélité à vie. N’oublie pas ces mots.

Ton grand frère: amitié et fidélité.

Par ARM

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© www.lemohelien.com – Samedi 12 mai 2018.


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