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En 2016, ni sacrifices, ni charlatanerie, ni sorcellerie

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Aux présidentiables, leurs programmes, et qu’ils oublient la sorcellerie

Par ARM

      L’élection présidentielle de 2010 a été le scrutin de toutes les surprises et de toutes les incongruités. Comme parmi les candidats, on avait compté 4 Docteurs, 2 Ingénieurs, 2 Vice-présidents, dont 1 en exercice, des Professeurs, d’anciens ministres, d’anciens Gouverneurs (…), on s’attendait à un débat politique de très haut niveau. Au lieu de cela, on a eu «droit» à une vraie débauche de sorcellerie. Jamais les sorciers n’ont été plus enrichis par les politiciens qu’en 2010, pour cause d’élection présidentielle. À Malé, les sorciers s’en frottaient les mains. À Zanzibar, on bénissait les Mohéliens, liés à l’île depuis au moins le XIXème siècle, notamment par la Reine Djoumbé Fatima. Ceux de l’île Maurice et Madagascar n’ont pas chômé, non plus. En France métropolitaine, les représentants de 4 candidats en avaient fait une question de vie ou de mort. À Djoiezi et Fomboni, les bêtes enterrées vivantes se comptaient pas dizaines. Les pauvres bêtes! Pendant que certains en enterraient, d’autres en déterraient, mais sans pouvoir tout enlever. Il y en avait trop, de toutes les tailles, de toutes les couleurs, de toutes les espèces. Chacun voyait midi à sa porte, accusant l’autre de ce qu’il faisait lui-même, tout en clamant son innocence. On était à Mohéli, n’est-ce pas? Et il y a l’affaire de «l’étoile de Rois».

   Incorrigibles, les Mohéliens. Incorrigibles, intarissables et attendrissants, les Mohéliens peuvent vous émouvoir aux larmes dès qu’ils parlent de sorcellerie en politique et quand ils ramènent tout au caractère «prophétique et royal» de certains de leurs politiciens, même de ceux qu’ils exècrent le plus. Des Mohéliens, vous entendrez tout quand ils parlent des ténors et autres caciques de leur classe politique. Un bon Mohélien estime toujours que le politicien de son île est un homme prédestiné, béni, un homme spécialement créé pour être «Roi» («Mfaoumé»).

   Au départ, cette bénédiction spéciale ne concernait que les deux «Lions» de la classe politique mohélienne, Soilihi Mohamed et Mohamed Hassanaly, l’un de l’ancien Parti Vert («Conservateur»), et l’autre de l’ancien Parti Blanc («Progressiste»). Prenant le ton d’un professeur émérite qui énonce une vérité scientifique irréfutable, ce membre de la famille de l’un d’eux pontifie: «Le papa de Cheikh [Mohamed Hassanaly] est né sous le signe Alakarab, synonyme d’invincibilité, celui de Salomon, donc des Prophètes et des grands rois». Pour ne pas donner l’impression d’être dépassés sur un point aussi «crucial» par leurs «rivaux génétiques et héréditaires» que sont les Fomboniens, les Djoieziens, comme un seul homme, martèlent: «Le père de Mohamed [Soilihi Mohamed] est né sous l’étoile des Rois. Personne ne pourra l’empêcher d’être un homme de pouvoir, lui qui, depuis la période coloniale est toujours parmi les dirigeants, du côté des dirigeants, tous régimes politiques confondus, lui qui est souvent le vrai détenteur du pouvoir, lui qui exerce toujours de l’influence sur le pouvoir, lui qui n’a jamais soutenu un opposant, ni été opposant, lui qui n’a jamais soutenu quelqu’un qui va perdre une élection, au point que, quand on veut savoir qui va gagner une élection, on cherche tout simplement à savoir quel est le candidat qu’il soutient». Ravis d’avoir rabattu le caquet à ces Fomboniens «prétentieux», les «vaillants» Djoieziens se taisent et guettent la réaction des uns et des autres, qui laissent parfois échapper un «Macha Allah!», «Gloire à Dieu!» d’admiration.

   Mais, les Djoieziens n’ont pas l’habitude de faire les choses à moitié, et sont également connus pour ne jamais faire dans la dentelle. Et comme les choses ont décidé de ne pas être faciles, le 25 janvier 2011, une inconditionnelle du Président Ikililou Dhoinine cita Dieu avant de se lancer dans une longue tirade de laquelle on retient un passage fort intéressant: «Des années avant que notre Président bien-aimé Ikililou Dhoinine ne soit élu chef d’État, son neveu m’avait déjà signalé qu’il allait devenir “Roi” car il est né sous l’Étoile des Prophètes et des Rois. Le choix de son prénom, d’origine coranique, relève de la prédestination. Il est né “Roi”. Les Anciens le savaient depuis fort longtemps».

   À Mohéli, on croit trop aux histoires d’astres, augures et charlatans, et chaque politicien se voit attribuer par ses supporters et partisans toutes les vertus liées à la naissance sous l’Étoile des Rois et des Prophètes, certains zélateurs n’hésitant pas à déclarer à Poteau Central, lieu des intrigues politiques à Djoiezi, qu’Ikililou Dhoinine était prédestiné parce qu’il est le digne successeur et l’incarnation du Roi et Prophète Salomon (Souleymane, dans le Coran, qui reconnaît son statut de Prophète), fils de David (Daoud, en Islam, qui reconnaît son état de Prophète) et de Bethsabée. Eh oui! Du djoiezien tout craché. Il n’est donc pas étonnant de constater que les politiciens mohéliens passent moins de temps avec leurs stratèges électoraux qu’avec les marabouts, sorciers, chamans, jeteurs de sorts, diseurs et diseuses de bonne aventure et charlatans. Le politicien mohélien n’est pas un être qu’on peut réformer.

   Mais, la revendication prophétique ne se limite pas à l’axe Fomboni-Djoiezi, puisque dans la belle région de Djando, on jure par Dieu avant de dire que Saïd Dhoifir Bounou, l’homme de Mlabanda, est l’archétype du politicien né pour «régner», car tel est son destin: «Que voulez-vous? Il a l’Étoile des Rois, il est de l’Étoile des Prophètes et des Rois. D’ailleurs, ce n’est pas par hasard s’il a été ministre à 20 ans et a occupé d’importantes fonctions par la suite. Il ira encore plus loin… C’est écrit. C’est son destin d’être “Roi”».

   Même son de cloche du côté de Nioumachioi, où les proches et partisans de Bianrifi Tarmindhi ne se font pas prier pour annoncer la bonne parole: «Depuis sa naissance, Bianrifi Tarmindhi a démontré qu’il serait un jour un grand homme. C’est son étoile, c’est Allah qui l’a voulu. N’oublions pas qu’il a été le premier Mohélien à occuper le fauteuil de Premier ministre dans l’Histoire des Comores».

   Mais, dans la nouvelle génération des politiciens mohéliens, celui qui a le plus convaincu en matière de «sainteté, sacralité et invincibilité» est sans conteste l’ancien Président de l’Île autonome de Mohéli, Mohamed Saïd Fazul. En effet, l’homme de Boingoma bénéficie de cette présomption de prédisposition à être «Roi» depuis… son entrée en politique en 2000, lui dont le premier poste politique a été directement celui de Gouverneur de Mohéli, lui qui se trouve paré de tous les atours de l’invincibilité, lui le «Roi» qui a battu un autre «Roi», Mohamed Hassanaly, en 2002 lors des élections pour la présidence de l’Île autonome de Mohéli. Mais, alors que tout devait baigner dans l’huile, voilà qu’on décerne l’Étoile des Prophète et des Rois au Djoiezien de Boingoma ou Boingoméen de Djoiezi, l’ancien Président par intérim, Hamada Madi Boléro, le premier Mohélien ayant occupé la fonction de chef d’État aux Comores, par intérim.

   Est-ce que les Grands-Comoriens ont leurs «Rois» à la naissance? Oui. Le plus célèbre d’entre eux est le bien-aimé Mohamed Taki Abdoulkarim. Parlant du fameux «destin royal» de Mohamed Taki Abdoulkarim, Alain Deschamps, ambassadeur de France aux Comores de 1983 à 1987, signale: «Pourtant il ne doutait pas que, son père, fameux pour son art divinatoire, l’avait prédit à la naissance, il serait un jour le maître des Comores»: Alain Deschamps: Les Comores d’Ahmed Abdallah. Mercenaires, révolutionnaires et cœlacanthe, Éditions Karthala, Collection «Tropiques», Paris, 2005, p. 182.

      Aujourd’hui, à un moment où la campagne électorale pour le scrutin présidentiel de 2016 est lancée avec une férocité sauvage et une violence inouïe, il est impératif et nécessaire de demander à nos présidentiables de Grande-Comore d’épargner les Comoriens des pratiques malsaines et indécentes de sorcellerie, constatées à Mohéli en 2010. Que les présidentiables fassent tout pour que ça soit projet de société contre projet de société, et non sorcellerie de Malé contre sorcellerie de Mkazi, sorcellerie des Comores contre sorcellerie de Zanzibar.

      Sur l’île de Mohéli, le politicien qui ne veut entretenir aucune relation avec la sorcellerie et qui le dit haut et fort tout en respectant sa parole sur le sujet est incontestablement Hamada Madi Boléro, l’homme d’État comorien le mieux informé des choses de l’Islam, mieux que les Tartuffes. Les Comoriens, désormais blasés, savent à quoi s’en tenir avec l’hypocrisie des Tartuffes disant qu’au lit, ils sont tellement pudiques et respectueux de Dieu qu’ils sont séparés de leurs épouses par un tissu comportant juste un trou pour la jonction des deux points de rencontre «stratégiques». Les hypocrites!

      À Mohéli, en 2010, on ne s’est pas contenté d’enterrer vivantes et de déterrer des bêtes mortes, allant des poules aux coqs, moutons, zébus de Madagascar et bovins de Zanzibar et même aux chiens; il fallait en plus que chacun accuse l’autre de sorcellerie, tout en étant lui-même englué dans ces pratiques jusqu’au cou.

      L’élection présidentielle de 2016 sera tout sauf un scrutin facile car les dérives politiques aux Comores sont telles que le Comorien est convaincu que seuls le Président et les trois Vice-présidents vivent, pendant que les autres se contentent de vivoter, exister et végéter dans l’à peu près et dans le peut-être. Certains politiciens grands-comoriens sont accusés de ne pas être insensibles à la sorcellerie en période électorale. Exiger d’eux de faire de la politique pure et laisser les charlatans s’occuper de charlatanerie et charlatanisme ne serait que pure perte de temps. En même temps, de plus en plus désappointés et déçus par la classe politique par défaut, les Comoriens aspirent à un vrai débat de société et non à des charlataneries.

      Pourtant, il ne faut pas se faire d’illusions car l’élection présidentielle de 2016 sera d’une rare sauvagerie et sera marquée par une débauche d’argent sale, de fausses alliances politiques et électorales, de vraies trahisons et de vrais coups de poignards entre les omoplates, et par une belle exhibition de mangeurs à tous les râteliers. Comme nous sommes devant des politiciens dont certains sont sans scrupules et ont mis le peu de dignité qu’il leur restait dans la poche, la sorcellerie fera le reste. Que les sceptiques commencent à suivre dès novembre 2015 le déplacement des politiciens vers certains lieux. Que de fausses évacuations sanitaires seront inventées de toutes pièces par ceux qui voudront se rendre à Zanzibar pour «consulter»! Que de politiciens au petit pied invoqueront le mariage d’un ou d’une proche pour aller à Zanzibar prétendument pour acheter des marchandises nécessaires à l’organisation de mariages réels ou imaginaires!

      En réalité, le mouvement a commencé de manière discrète. Quand on a la «chance» de pouvoir discuter avec la plupart des présidentiables, on n’entend aucun dire qu’il ne sera pas élu chef de l’État. Chaque présidentiable a la conviction d’être dans la bonne voie pour accéder à Beït-Salam. Il n’y a que deux candidats qui envisagent le second tour du scrutin dans l’élimination de l’un d’entre eux, l’éliminé devant soutenir celui qui sera en lice, alors qu’ils seront éliminés tous deux dès le premier tour. Ça coule de source. Les autres sont déjà élus, et les élucubrations des sorciers y sont pour beaucoup.

      Qu’on se le dise dès à présent. Si la candidate et les candidats abandonnent le débat de société et nous servent de la sorcellerie au cours de cette élection présidentielle de 2016, non seulement nous allons les dénoncer, mais en plus nous allons boycotter avec rage leur campagne électorale, car ce ne sont pas les sorcières et les maquerelles qui vont sauver les Comores. Et malheur au candidat qui, comme Ahmed Sambi en 2006, viendra vendre des rêves, illusions et places au Paradis! Malheur aux menteurs professionnels!

Par ARM

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© www.lemohelien.com – Jeudi 13 août 2015.


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4 Comments

  • moufid

    août 14, 2015 at 5:31

    Croire dur comme fer à la sorcellerie est un mal propre au politicien comorien depuis des lustres, et ce n’est pas un article publié sur internet qui éradiquera ce phénomène dans un pays en mal d’électricité puisqu’il faut quand même du courant électrique pour pouvoir se connecter à internet et lire ceux qui rappellent aux comoriens qu’on est au troisième millénaire.
    Et surtout, ces politiciens ne répondent pas aux vraies questions parce qu’elles ne sont pas posées par vous qui informent les gens.
    Depuis que le docteur Sounhadj vous refuse votre entretien, je n’en ai jamais lu un autre sur ce blog comme s’il n’y a que que lui qui mérite d’être questionné.
    L’autre journaliste “aux quatre questions”, je n’entend plus parler de lui.
    Agwa, non instruit, fait du mieux qu’il peut pendant qu’un directeur bien instruit s’en prend aux journalistes de sexe féminin
    —————
    Bonjour, Moufid,
    Des demandes d’interview nous ont été adressées. Elles sont sans intérêt. Nous attendons le jour où il y aura un politicien sérieux à interviewer. D’ailleurs, que je dois proposer une interview à ton propre père. Comme il est un homme sérieux, ça sera intéressant.
    Cordialement,
    ARM

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    • moufid

      août 15, 2015 at 7:58

      La curiosité me pousse à vous demander par quel procédé vous établissez les niveaux de sérieux des uns et des autres.
      Aujourd’hui, je parle d’une relation directe entre le manque de réponses sérieuses de la part des politiciens et le manque de questions sérieuses de la part de ceux qui rendent compte de l’actualité. S’il y a des politiciens pas sérieux, c’est dommage. Mais plus grave encore, il y a des journalistes qui ne font que glorifier ces gens pas sérieux.
      Sauf erreur de ma part, c’est à nous spectateurs( lecteurs, auditeurs …), d’apprécier le sérieux des intervieweurs et des interviewés.
      Un journaliste passe plus d’une heure à questionner un homme d’un gouvernement qui n’arrive ni à payer ses fonctionnaires, ni fournir de l’eau, ni de l’électricité, …. mais toutes les questions tournaient autour d’une possible candidature d’un autre homme à des élections qui auront lieu en 2016 si Dieu le veut.
      De temps en temps, vous parlez du bien glorieux Bolero et du charlatan corrompu Sambi. Mais vous estimez sérieux un allié de ce dernier.
      Ne trouvez-vous ni contradiction ni ironie dans tout çà??
      —————
      Bonjour, Moufid,
      Le sérieux de l’acteur est lié à sa crédibilité. Il n’est un secret pour personne qu’il y a des politiciens plus crédibles et plus sérieux que d’autres. J’ai fait une très longue interview avec Mohamed Abdou Madi, tout en sachant que sa crédibilité n’est pas très bien établie. Seulement, il avait des choses à dire.
      Une interview est une affaire très compliquée. Je vais passer une heure pour poser des questions à un acteur politique. Mais, il me restera 8 heures de travail pour monter l’interview et la publier. C’est tout sauf un jeu. Et en plus, j’ai une grande expérience en matière de transcription, car c’est un travail que j’ai fait dans une société de communication. Alors, si je dois sacrifier 9 heures, il faudra que ça soit quelqu’un de sérieux, qui a des choses sérieuses à dire.
      Pour ce qui est de Hamada Madi Boléro, je plains les gens qui refusent de l’écouter et qui le haïssent sans même se donner la peine de l’écouter. J’ai beaucoup critiqué Hamada Madi Boléro, mais je reconnais et connais sa valeur d’homme d’Etat. Je refuse de vivre dans le rejet haineux d’un homme instruit et expérimenté qui maîtrise ses dossiers.
      Cordialement,
      ARM

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      • moufid

        août 16, 2015 at 12:57

        Merci pour toutes vos explications.
        Toutefois, je reste convaincu d’une façon de faire disparaître ces pseudo-politiciens de l’espace public, qui est de leur confronter avec ce qu’ils fuient: les questions et les débats.
        Je connais un politicien qui était devenu un objet de moquerie pour beaucoup depuis qu’il avait perdu à un débat télévisé face à Boléro.
        Aussi un prédicateur qu’on huait même dans son quartier depuis qu’il avait perdu à un débat face à M A Ibrahim, un autre prédicateur mais chiite.
        Si çà avait continué, beaucoup de masques seraient tombés.
        ————-
        Bonjour, Moufid,
        Aux Comores, la culture du débat n’existe pas.
        On n’aime pas la confrontation des idées. J’ai rencontré des gens qui avaient l’habitude de me traiter de tout sur Internet. Quand je discute avec eux, au bout de deux minutes, ils changent radicalement d’opinion sur moi et ne prennent plus pour un garçon aigri et impoli. Il y a ceux qui croient connaître des gens qu’ils n’ont jamais vus. J’avais appelé même un politicien qui m’avait traîné devant les tribunaux au cours d’une procédure judiciaire qui avait duré deux ans. Discuter avec les gens, c’est très bien. Les interviews, c’est super, mais le travail est compliqué, surtout pour moi qui travaille seul sur la partie technique.
        Cordialement,
        ARM

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