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Célébration de la Révolution ou apologie de putsch?

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Commémorer la Révolution d’Ali Soilihi par la date d’un coup d’État

Par ARM

   Oui, oui, ce lundi 3 août 2015, a été célébré en grande pompe, au Palais du Peuple, à Moroni, devant une belle brochette de personnalités comoriennes et étrangères, le 40ème anniversaire de la prise de pouvoir par Ali Soilihi le 3 août 1975, par renversement du Président Ahmed Abdallah Abderemane, qui venait juste de proclamer unilatéralement l’indépendance des Comores, le 6 juillet 1975. Depuis la fin du régime d’Ahmed Abdallah Abdederemane (1978-1989), parler positivement d’Ali Soilihi n’est plus un crime, et une réhabilitation nationale a même été faite au profit du chef de la Révolution comorienne de 1975-1978. Ce qui n’est que justice car Ali Soilihi n’a pas démérité de la patrie. Des réalisations positives sont à mettre à son actif. Seulement, la célébration du 40ème anniversaire de son avènement pose problème parce qu’il y a trop d’amalgames. Pour preuve, on ne comprendra jamais pourquoi un truc purement comorien, qui ne regroupe que des Comoriens, qui n’est connu que des Comoriens et qui va disparaître aux Comores dans l’indifférence générale et sans émouvoir outre mesure à l’étranger a eu la prétention de s’appeler Haut Conseil international (HCI), alors que son idée de réhabilitation internationale d’Ali Soilihi n’a été que de la fumée et de la course sur le toit d’une case. Il y a de l’abus. Il y a toujours des abus dans le maniement des concepts politiques aux Comores, et cela ne fait qu’apporter de l’eau au moulin des beaufs et des «Comoricains».

   En plus, s’il n’y a pas de raisons légitimes de douter de la sincérité de ces jeunes gens de la Nouvelle Génération soilihiste (NGS), il en est autrement des vieux grognons manipulateurs, versatiles et inconstants qui ont posé sur la mémoire et l’héritage d’Ali Soilihi une main de propriétaires, alors que certains de ceux qui ont préparé sa chute et donc son assassinat sont parmi eux. Naturellement, en bonne Comorienne, Mme Soraya Abdallah Hadji, Présidente de la NGS, a, dans son discours du 3 août 2015, signalé que l’assassin d’Ali Soilihi était Robert «Bob» Denard: «Accorder une grande importance à cette fête ne se résume pas, bien entendu, à une insulte à l’intelligence de la politique et à l’Histoire comorienne. En effet, elle symbolise l’aube de la Révolution comorienne, dissipe nos doutes sur la politique du Mongozi Ali Soilihi, rendu hommage, puisque “l’Histoire est le seul juge”, deux fois dans cet hémicycle parlementaire, trente sept ans après son assassinat par le mercenaire français Bob Denard». Or, Ali Soilihi a été assassiné par un Comorien de la Grande-Comore, plus précisément de Moroni, qui l’a abattu par balle, à bout portant comme un chien enragé, l’a roué de coups de pieds quand il gisait dans une mare de son propre sang et l’a abreuvé d’injures stupides, en le traitant bêtement et cruellement de «paysan» et de «campagnard».

   Ali Soilihi a commis des erreurs. Mais, il a une excuse: il aimait les Comores. Il avait les Comores chevillées au corps. Il avait les Comores dans le sang. Il respirait les Comores. Il était un Comorien sincère et aimant son pays. Il a fait des choses en croyant bien faire, au profit des Comores. Il a fait des réalisations intéressantes, toujours au profit des Comores, et il n’a jamais été accusé du détournement du moindre centime; ce qui constitue un grand exploit aux Comores. Il a sa part d’échecs et de succès. Pour autant, il faudra que le Comorien fasse son introspection et qu’il dise s’il est vraiment approprié de célébrer ce chef d’État sincère et patriote par la date d’un coup d’État, quand on connaît les malheurs causés aux Comores par la culture et la pratique du coup d’État comme mode de transition politique.

   Ali Soilihi arrive au pouvoir le 3 août 1975 par coup d’État, en renversant Ahmed Abdallah Abderemane, comme nous l’avons signalé. Le 13 mai 1978, le même Ahmed Abdallah Abderemane reprend le pouvoir à Ali Soilihi par coup d’État: «Après trois années de maoïsme à la mode cocotier, au beau milieu d’un canal du Mozambique si cher aux stratèges occidentaux et nullement indifférent à ceux du camp socialiste, l’ordre féodal est revenu. Et Paris tire, comme au plus beau temps de l’empire, les ficelles de la petite classe politique locale. L’essentiel étant toujours qu’on y crève de faim en silence, plutôt que d’y laisser renaître quelque révolution susceptible de donner l’occasion à des puissances ennemies de faire escale dans le canal. […]. Il n’en a pas fallu plus pour qu’à la Réunion, dans l’espèce de lobby revanchard du Sud-ouest de l’océan Indien, on exulte méchamment. Ce retour au bercail des Comores éternelles – outre qu’il réglait par défaut l’obsédante question de Mayotte – est apparu comme un sursaut de l’Occident chrétien et la vengeance d’un destin qu’ils croyaient définitivement malheureux, ces rapatriés de Madagascar et d’autres ex-possessions françaises. Mais, piètre consolation tout de même, payée au surplus d’un gros soupçon d’indignité: le “sale travail” avait dû être exécuté par des soldats de fortune, agissant à titre privé; l’armée française “officielle” n’avait pu prendre le relais de l’assistance technique que quelques mois plus tard, et avait dû composer avec une poignée de mercenaires reconvertis dans la garde rapprochée d’Abdallah et dans l’import-export»: Philippe Leymarie: Océan Indien. Le nouveau cœur du monde, Karthala, Collection «Méridiens», Paris, 1981, pp. 195-196. Le 26 novembre 1989, le Président Ahmed Abdallah est assassiné par les mercenaires dirigés par Robert «Bob» Denard et chargés de sa sécurité. Le 28 septembre 1995, le Président Saïd Mohamed Djohar est chassé du pouvoir par coup d’État dirigé par Robert «Bob» Denard et déporté à la Réunion comme au XIXème siècle dans les colonies. Le 6 novembre 1998, le Président Mohamed Taki Abdoulkarim est assassiné dans des conditions mystérieuses faisant penser à un subtil empoisonnement. Le 30 avril 1999, le Colonel Azali Assoumani Baba a réalisé son fameux «coup d’État à 100% comorien», semble-t-il «pour sauver ce qui peut l’être». On sait ce qu’il en est depuis, surtout à la suite des graves accusations de Thierry Vircoulon selon lesquelles «la privatisation de l’État, le “néo-paternalisme” de type sultanique ou la “politique du ventre”, bref les racines de ce que la Banque mondiale appelle la “mauvaise gouvernance” n’ont pas été éradiquées durant la transition. Corruption et mauvaise gouvernance ont continué à prospérer sous les yeux de la “communauté internationale”: aux Comores, comme l’atteste la découverte de 40 millions d’euros dans des comptes à l’étranger, le Colonel Azali a pillé le Trésor public et distribué les contrats publics à la coterie formée par ses proches» (2007).

   Aux Comores, on compte un minimum de 35 tentatives de putsch ayant tourné en eau de boudin. Or, le putschisme, culture politique majeure aux Comores, a été introduit dans l’ancien «Archipel aux Sultans batailleurs» par Ali Soilihi, et ce n’est pas une bonne chose. Pour l’avoir rappelé en 2014, Hamada Madi Boléro est poursuivi d’un cri de haine d’une intensité inégalée. Or, c’est une réalité historique, au même titre que le transfert de la capitale des Comores de Mayotte à la Grande-Comore par le Grand-Comorien Saïd Mohamed Cheikh. Au surplus, dans le contexte politique et diplomatique particulièrement difficile de 1975, le coup d’État d’Ali Soilihi n’a apporté aucune solution sur le dossier de Mayotte mais l’a enterré, léguant à la postérité une patate chaude qui brûlera bien de générations.

   De toute manière, on cherchera toujours à opposer «bons coups d’État» à «mauvais coups d’État», mais par définition, un coup d’État est un acte traumatisant et humiliant, relevant à la fois de l’illégalité dans la prise du pouvoir politique et de l’illégitimité dans l’exercice de ce pouvoir politique. Même en présence d’un dictateur, un coup d’État pose problème au regard du Droit. Le coup d’État est toujours le résultat d’un échec et porte la marque d’une grave défaillance institutionnelle: Cf. Moulay Abdelaziz Lamghari-Moubarrad: Pouvoir militaire et construction nationale. Analyse de la dynamique d’une interférence à travers l’expérience des régimes militaires de l’Afrique au Sud du Sahara, Thèse de Doctorat d’État en Sciences politiques, Université Mohammed V, Faculté des Sciences juridiques, économiques et sociales, Rabat, 16 juin 1986 (559 p.).

   En réalité, aux Comores, le premier projet (non réalisé) de coup d’État remonte à 1973, quand les Comores ne constituaient même pas un État. Ce qui prouve que montrer le chemin aux putschistes n’était pas une bonne chose. Il y a eu trop de coups d’État et de tentatives de coup d’État en 40 ans d’indépendance. En mai 2013, mai 2014 et juin 2015, telle figure politique comorienne ayant rejoint le crypto-sambisme par calcul, jure: «Le renversement du Président Ikililou Dhoinine se fera avant la fin du Ramadan. Il ne finira pas l’été au pouvoir». D’accord, au-delà de toute la détestation, la mythomanie et de toute l’affabulation entourant ce genre de déclarations malheureuses, il est important de se poser la question de savoir ce qu’un putsch de plus apportera aux Comores.

   Toujours est-il qu’il aurait été hautement plus positif de célébrer le 40ème anniversaire de la Révolution d’Ali Soilihi en choisissant une date plus consensuelle et plus «nationale» comme le 11 novembre 1975, celle marquant l’admission des Comores à l’ONU, une reconnaissance internationale obtenue sous la présidence d’Ali Soilihi.

Par ARM

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© www.lemohelien.com – Vendredi 7 août 2015.


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