Ahmed Sambi-Anjouan: Omerta sur une «sale guerre sale»
Par Djaanfar Salim Allaoui
Je vous invite à nouveau à une visite guidée sur les dessous et les non-dits de la crise anjouanaise dont ma préoccupation majeure est de rétablir la vérité, la pleine vérité. En effet, en dépit d’un fragile dialogue instauré entre les différents protagonistes, l’île autonome d’Anjouan restait disposée dans le strict respect des lois, des règlements et autres accords bilatéraux et multilatéraux, de toutes les résolutions et de tout autre texte fondamental, à accepter toute démarche constructive à même d’épargner les Comores de sombrer dans le chaos. Le contentieux Ahmed Sambi-Anjouan reste purement électoraliste, donc politique. Aussi peut-on se demander s’il n’était pas plus sage d’avoir recours à un règlement politique plutôt qu’à une action militaire. La question mérite d’être à chaque fois posée et nous allons avoir l’occasion de nous attarder sur ces développements afin d’évaluer les responsabilités et les manquements des différents acteurs de la crise.
Aujourd’hui, il ressort de tout cela que l’Union des Comores sous Ahmed Sambi était animée d’une volonté manifeste de saper les acquis de la Réconciliation nationale. Moins d’une année après son élection tronquée, Ahmed Sambi s’est donné les moyens d’une fuite en avant, en remettant en cause les institutions issues du Nouvel Ensemble comorien (NEC). Ce qui illustre mon propos par excellence est la stigmatisation de l’erreur résultant du fait de la signature d’un décret présidentiel par Ahmed Sambi pour «nommer un Président» à Anjouan et recommander sur les ondes de Radio-Comores, la radio nationale, l’occupation musclée par l’Armée nationale de Développement (AND), des bâtiments administratifs placés sous l’autorité de l’île autonome d’Anjouan. Et ce qui est troublant dans cette volonté délibérée d’Ahmed Sambi de vouloir s’accaparer en toute défiance les symboles de l’administration d’Anjouan est l’attitude de l’Envoyé spécial du Président de la Commission de l’Union africaine et du chef du bureau de liaison de l’Union Africaine aux Comores, qui a consisté à ne rien faire, à ne rien dire, bref à continuer à faire comme si de rien n’était. Il en est de même pour les chancelleries étrangères en poste à Moroni à l’exception de celle de l’Afrique du Sud. Face à ce hold-up, toutes les autres chancelleries ont manifesté une indifférence totale certes, mais une indifférence coupable.
Une Commission d’enquête internationale peut aider, à mon humble avis, les Comoriens et l’opinion internationale à appréhender les zones d’ombre qui entourent le mutisme des partenaires des Comores dans le déclenchement des affrontements armés du 2 mai 2007 entre l’AND et la Force de la Gendarmerie d’Anjouan (FGA). De bout en bout du contentieux électoral à Anjouan, on se rend compte qu’Ahmed Sambi s’est rendu coupable d’une série de violations programmées et il s’est substitué de manière flagrante à la Loi. Il a eu à bénéficier de ce fait de la complicité passive des chancelleries basées à Moroni à l’époque.
Ces chancelleries basées à Moroni à cette époque se doivent un jour de faire leur mea culpa. À y regarder d’un peu plus près, elles portent en elles la responsabilité des crimes économiques et des déportations des Anjouanais sur le Grande-Comore ainsi que de la fuite sur des embarcations de fortune d’autres Anjouanais vers Mayotte avec les pertes en vies humaines qui suivirent. Pour ne rien occulter, je présume que le devoir de mémoire interpelle forcément les auteurs de ces atrocités, chacun pour sa part, à la manifestation de la vérité. Ceci, bien sûr, est un préalable à une vraie réconciliation entre Comoriens.
À vrai dire, le contentieux électoral englobe en lui-même différents volets qui, mis bout à bout, démontrent aisément la volonté organisée des autorités de l’Union, Ahmed Sambi en tête, d’arriver coûte que coûte à leur but: contourner les acquis institutionnels propres au Nouvel Ensemble comorien afin de les éradiquer et d’imposer un Président béni oui-oui à la tête de l’exécutif d’Anjouan, des pratiques, somme toute, révolues, nostalgie oblige. Voici ici donc disséqués, certes sommairement, les différents stades du plan d’Ahmed Sambi et de ses complices. Analysons certains éléments essentiels du contentieux.
1.- De la convocation du scrutin à Anjouan
Le décret de convocation de l’élection présidentielle d’Anjouan, pris par l’Union des Comores, est en violation flagrante de l’article 20 de la Constitution de l’île autonome d’Anjouan, article qui prévoit en la circonstance et cela est valable autant à Mohéli qu’en Grande-Comore: «L’élection présidentielle doit être convoquée de manière à ce que le Président élu entre en fonction le lendemain de l’expiration du mandat du prédécesseur…». Il convient de rappeler au passage que sur le Code électoral comorien de 2005, celui-là même qui a conduit à l’élection très contestée et contestable d’Ahmed Sambi, le pouvoir de convocation du scrutin présidentiel d’Anjouan était du ressort du Président de l’île autonome d’Anjouan, conformément à l’article 114 dudit Code. Ahmed Sambi s’en est attribué la responsabilité sans partage.
2.- De l’intérim de la Présidence de l’île autonome d’Anjouan
Alors que la fin du mandat du Président de l’île autonome d’Anjouan est bel et bien prévue par la Constitution d’Anjouan, «le Président de la Cour d’Appel d’Anjouan assure l’intérim du Président sortant…», une deuxième lecture de la Constitution d’Anjouan en son article 22 permet de constater que «si la fin du mandat du Président de l’île autonome d’Anjouan s’inscrit dans une vacance temporaire du pouvoir, l’intérim est assuré par un ministre parmi les membres du gouvernement en exercice choisi par le Président sortant…». Fort de son plan machiavélique, Ahmed Sambi a fait en sorte de créer une confusion assortie d’un vide juridique pour faire constater la fin du mandat du Président Mohamed Bacar pour pouvoir procéder arbitrairement à la mise en place d’un Président et d’un gouvernement par décret présidentiel, et ce, en violation des dispositions pertinentes de la Constitution d’Anjouan.
À ce stade précis des événements, la Force de Gendarmerie d’Anjouan, après qu’aucune médiation n’a abouti à faire cesser l’occupation militaire par les éléments de l’AND des bureaux administratifs de l’Autorité d’Anjouan, a fini par répondre à la provocation en faisant déloger manu militari des locaux administratifs que l’AND avait pris d’assaut. Ahmed Sambi méprisant dans ses agissements et dans son discours sur le règlement de la crise à Anjouan, n’avait de cesse de chercher à bafouer les lois et les règlements, de mettre à mal les institutions, dans l’autoritarisme qu’on lui connaît, après avoir pris la peine de mener comme tout activiste de sa trempe, une opération de victimisation auprès de la communauté internationale facilement malléable. La Communauté internationale, naïve à souhait, s’est facilement laissé prendre par les pièges tendus par Ahmed Sambi à moins qu’elle n’ait, de son plein gré, adhéré en catimini à la démarche d’Ahmed Sambi. Aujourd’hui, la vérité s’est fait jour sur le caractère controversé du personnage d’Ahmed Sambi pour s’approprier les pouvoirs et à s’y maintenir coûte que coûte, au-delà du terme légal de son mandat. Ce qui est le propre d’un monarque transformé en despote.
3.- De la période transitoire antérieure à l’élection du 10 juin 2007
La transition politique à Anjouan a été précédée par la signature de ce qu’on a appelé les «Accords de Dar-Nadjah du 11 mai 2007», du nom du Palais présidentiel de Patsy à Anjouan. Ce texte est la résultante d’un large compromis et de sacrifices consentis par l’Autorité d’Anjouan en vue de préserver la paix et la stabilité devant permettre la tenue régulière de l’élection présidentielle à Anjouan. Solennellement adopté, ce texte a bénéficié de la caution morale de la Ligue des États arabes, de celle de l’Union africaine et des parties comoriennes concernées, en l’occurrence les exécutifs de l’Union et de l’île autonome d’Anjouan. Mais, Ahmed Sambi, encore lui, a sciemment transgressé l’article 10 dudit Accord en son alinéa 4, en faisant tenir un conseil des ministres décentralisé à Anjouan et en improvisant par la même occasion une journée internationale des communications un mois de juin, ce qui ne correspondait en rien en terme d’agenda au niveau international.
Ces deux événements malheureux au cœur de l’organisation du scrutin à Anjouan, n’a pas néanmoins nui au processus électoral dans l’île. Mais comme Ahmed Sambi s’est senti trahi et abusé par ses propres collaborateurs, il a organisé avec le concours du Bureau de liaison de l’Union africaine en poste à Moroni, un accueil triomphal à l’occasion de son arrivée à Anjouan. Tout ce folklore est mis sur pied à seulement trois jours de la clôture de la campagne électorale, qui s’est déroulée malgré tout sans accroc. Les choses ont pris une telle tournure que chacun a fini par se rendre compte d’une incontestable préméditation orchestrée par Ahmed Sambi au mépris de l’Accord précité qui précise en son article 10, alinéa 4: «Afin de préserver un climat de paix et de sécurité indispensables à la préparation des élections libres et démocratiques des 10 et 24 juin 2007, les chancelleries en poste à Moroni appellent l’ensemble des parties comoriennes et en particulier celles signataires de l’Accord à s’interdire toute action de quelque nature qu’elle soit pouvant porter préjudice aux dispositions ci-dessus fixées et au processus électoral en évitant toute provocation».
L’Union des Comores, par le truchement d’un de ses deux vice-présidents, dont Ikililou Dhoinine, actuel Président en exercice de l’Union, a paraphé ce document solennel, mais Ahmed Sambi en agissant contrairement à l’esprit et à la lettre de l’Accord, a fait voler en éclats les derniers espoirs pour asseoir un environnement apaisé à l’élection à Anjouan.
En fin de compte, il apparaît ici clairement qu’Ahmed Sambi a délibérément créé un climat propice à l’anarchie et au désordre afin d’arriver à ses fins: éliminer toute chance de réélection du Président sortant, Mohamed Bacar, lequel avait le vent en poupe dans les sondages d’opinion pour briguer un deuxième mandat à Anjouan. Voilà l’une des origines réelles de la discorde.
Par Djaanfar Salim Allaoui
Ancien Vice-Premier ministre des Comores
Ancien ministre de l’Intérieur de l’Île autonome d’Anjouan
Secrétaire général et Porte-parole de GNEC Rénové
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© www.lemohelien.com – Vendredi 7 août 2015.