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«Seule l’Histoire est juge», mais un juge toujours tardif

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La réalité quotidienne des Comoriens, juge plus objectif et plus fiable

Par ARM

   Depuis 2014, l’ancien Président Ali Soilihi (1975-1978) fait l’actualité. Ceux qui se réclament de lui en font une icône nationale, à qui ils veulent attribuer une stature mondiale, parlant d’une réhabilitation africaine devant faire de lui une grande figure de la Libération de l’Afrique, à la dimension de Nelson Mandela, Amilcar Cabral, Joshua Nkomo, Thomas Sankara, Samora M. Machel et d’autres. Ceux qu’on appelle aujourd’hui les soilihistes ne parlent pas d’une même voix, n’ont pas la même conception de l’œuvre et de la mémoire d’Ali Soilihi, n’ont pas la même franchise envers la mémoire de celui dont ils se réclament, s’accusent de choses innommables et d’autres, surtout à un moment où certains s’apprêtent à célébrer le 40ème anniversaire du coup d’État du 3 août 1975. Certains sont des traîtres qui le tuent une seconde fois et souillent sa mémoire, et on ne comprendra jamais pourquoi Salim Himidi, son emblématique ministre de l’Intérieur, le premier ministre de l’Intérieur des Comores indépendantes, n’est pas associé aux célébrations. On ne comprendra jamais pourquoi l’Inspecteur Ahamada est ignoré par les soilihistes de fin de semaine. On ne comprendra jamais pourquoi ce sont ceux qui ont trahi Ali Soilihi et ceux qui n’ont jamais travaillé avec lui qui se font hypocritement les chantres du soilihisme. À quoi rime tout ça? Ali Soilihi n’a rien de commun avec des faiseurs de Grand Mariage et des conservateurs au petit pied.

   Pour autant, tous ces soilihistes authentiques, sincères, de circonstance ou du bout des lèvres (et encore!) se retrouvent autour d’une parole, qui résume en quelque sorte la seule manière d’apprécier l’œuvre du chef de la Révolution comorienne: «Seule l’Histoire est juge». Cette belle phrase n’est pas sans rappeler celle de Patrice E. Lumumba dans sa dernière lettre à sa femme: «L’Histoire dira un jour son mot… L’Afrique écrira sa propre Histoire». Or, chaque fois qu’on attend le jugement de l’Histoire pour apprécier l’œuvre d’un homme d’État comorien, on est en face d’un immense échec. Si le peuple comorien pourrait reconnaître le bien-fondé, la justesse et la réussite de la politique de son Président pendant que celui-ci est encore au pouvoir, l’appréciation de cette œuvre serait absolument sincère et plus positive. Mais, aux Comores, l’Histoire s’écrit toujours à l’envers parce qu’il faut attendre l’avènement d’un régime politique, plus lamentable, constater ses innombrables échecs, avant de dire que «c’était mieux avant». Il n’a pas été dit que «c’était bien avant», mais «mieux». En d’autres termes, la «grandeur» d’un régime politique comorien est toujours justifiée par les échecs des régimes d’après, et l’Histoire est toujours mauvais juge parce que chaque mauvais Président sera défendu par ses partisans et courtisans, souvent au détriment de la réalité historique.

   La redécouverte d’Ali Soilihi fait aujourd’hui de tout contradicteur un horrible auteur de crime contre l’humanité ayant commis le plus horrible des génocides. En se remettant au jugement de l’Histoire, Ali Soilihi reconnaissait qu’il était incompris, que sa politique posait problème et que les Comoriens étaient fatigués, au point de ne pas adhérer à sa politique, qu’ils trouvaient répressive, même si le Président lui-même était sincère, très honnête et désintéressé. Le principal échec du Guide de la Révolution comorienne était le caractère répressif de son régime politique, et si des Comoriens ont dansé le 13 mai 1978 et les jours suivants et avaient acclamé Robert «Bob» Denard, c’est pour dire qu’ils revenaient de loin, qu’ils étaient contents d’assister à la fin d’un régime politique qu’ils condamnaient.

   L’Histoire est juge, certes, mais pas au point de faire oublier les exactions et les autres abus qui ont été constatés au cours de la Révolution d’Ali Soilihi. À Mohéli, l’Histoire aidant, on trouve qu’Ali Soilihi a fait des choses positives pour le pays. Pourtant, c’est à Mohéli que les abus les plus inacceptables ont été commis. Citons un exemple: le 28 octobre 1977, Ali Soilihi organisa une consultation électorale devant se traduire par son plébiscite, et les choses se passèrent autrement: «Ce qui signifie que de nombreux villages ne votèrent pas. L’île même de Mohéli refusa la manipulation électorale d’Ali Soilihi et ne lui accorda que 3% des voix. Bien difficilement on bourra les urnes. Par vengeance, le chef d’État révolutionnaire interdit toute circulation dans l’île pendant quinze jours entiers, puis y envoya ses commandos. Pendant six mois Mohéli subit la terreur Mapindrouzi […]»: Daniel Junqua: Comores. Le témoignage de réfugiés en France. Quand les «Mapindouzi» font la loi, Le Monde, Paris, 4 mars 1978, p. 4. Plus précisément, «la révolte de Mohéli ne fait l’objet d’aucune mention dans les agences de presse. Pourtant, après le vote du référendum, l’île se met en état de contestation totale à l’égard du pouvoir central et des comités […]. Il fait envoyer un détachement de l’armée à Nioumachoua le 28 décembre 1977 pour rétablir l’autorité. La répression sera sévère: au moins une centaine de récalcitrants seront déportés dans le Sud de la Grande-Comore et le vice-président Mohamed Hassanaly, coupable de sympathie pour ses concitoyens, est mis en résidence surveillée dans sa maison de Mrodjou»: Emmanuel Vérin: Les Comores dans la tourmente: vie politique de l’archipel, de la crise de 1975 jusqu’au coup d’État de 1978, APOI, volume X, 1984-1985, publié en 1989, p. 86.

   À Ali Soilihi, les Mohéliens avaient préféré à 97% «le remplaçant», qu’ils croyaient être le Vice-président Mohamed Hassanaly, un Mohélien. L’état d’exception fut décrété à Mohéli: l’île fut coupée du reste du monde. Il était interdit de quitter son village, d’aller à la mosquée, de rester dehors au-delà de 18 heures, d’allumer la lumière et la radio, d’adresser la parole à autrui dans la rue, de rouler en voiture, etc. Les principaux militants du Parti Ujamaa, celui de Mohamed Hassanaly, ont été emprisonnés, déshabillés, traînés nus et sans chaussures sur une route goudronnée surchauffée, de Fomboni à Nioumachioi, soit 20 kilomètres, battus, avant d’être exilés dans une prison à la Grande-Comore. Peu de temps après, la jeunesse de Djoiezi a été décapitée par emprisonnement, toujours à la Grande-Comore, de jeunes collégiens qui n’avaient aucune activité politique, mais se retrouvaient pour jouer au domino! Le 15 mai 1978, quand ces jeunes gens squelettiques et en haillons rentrèrent à Djoiezi, toute la population pleurait. Au cours de cette période tragique, le Commando Moissi mérita largement son surnom de «Tontons Macoutes à la comorienne», en référence aux tristement célèbres tueurs d’Haïti: Daniel Junqua: Comores. Le témoignage de réfugiés en France. Quand les «Mapindouzi» font la loi, op. cit., p. 4. Pourtant, les Mohéliens, comme les autres Comoriens, toujours aidés par la fameuse Histoire, trouvent qu’Ali Soilihi a fait des choses positives pour les Comores. Ils ont jeté la rancune à la rivière et envisagent la vie autrement, dans un présent toujours difficile.

   Par ailleurs, Ahmed Abdallah a été le dirigeant comorien le plus critiqué. Le Front démocratique et l’ASÉC l’ont traîné dans la boue et l’ont définitivement cloué au pilori. Ces 2 mouvements intimement liés stigmatisaient les exactions commises par les mercenaires dirigés par Robert «Bob» Denard, le monolithisme politique, le parti unique, l’assassinat de jeunes contestataires, le népotisme, la corruption dont bénéficiaient leurs propres parents, le rejet de la méritocratie, la restauration de l’État féodal et de ses institutions, et le clientélisme politique. Pourtant, ici aussi, une petite musique lancinante nous apprend que «seule l’Histoire est juge» et, en plein processus de régénérescence, l’Udzima, le parti de l’ancien Président Ahmed Abdallah, dresse un bilan entièrement positif du régime politique du «Père de l’Indépendance» (1978-1989), n’hésitant pas à déclarer que les régimes politiques qui ont suivi ont été médiocres. Il faut donc une bonne dose de méchanceté, duplicité et mauvaise foi pour ne pas reconnaître au régime politique d’Ahmed Abdallah de nombreuses réalisations positives qu’une appréciation toujours biaisée empêche les adversaires politiques de reconnaître. Mais, du vivant d’Ahmed Abdallah, en dehors des propagandistes qui répandaient la bonne parole auprès du peuple, il n’y avait personne pour dire que les choses étaient dans la bonne voie. Il suffisait de fustiger d’abord et de ne pas reconnaître après.

   Saïd Mohamed Djohar a été jugé par le présent avant d’être condamné par l’Histoire. Certes, il a apporté le multipartisme, mais celui-ci a été noyé dans l’anarchie, le désordre, la «gendrocratie» et le règne de la corruption. Ambassadeur de France à Moroni de 1983 à 1987, Alain Deschamps note: «Pendant son mandat, les citoyens comoriens assistèrent à la gestation, de plus en plus difficile, et à la mort rapide de gouvernements sans cohésion. Salim Himidi a relevé la succession chaotique de “dix-huit équipes gouvernementales et de 200 nominations ministérielles en 5 ans de règne”»: Alain Deschamps: Les Comores d’Ahmed Abdallah. Mercenaires, révolutionnaires et cœlacanthe, Karthala, Collection «Tropiques», Paris, 2005, p. 173. À titre d’exemple, «selon un membre de l’ancien gouvernement, “il faudrait le [Djohar] surveiller 24 heures sur 24 pour l’empêcher de changer d’avis au rythme de visites de ses proches”. Les folles heures des 18 et 19 juillet [1993] sont révélatrices: elles ont vu plusieurs décisions contradictoires: dissolution spectaculaire de l’Assemblée, confirmation du soutien présidentiel à l’ex-Premier ministre Saïd-Ali Mohamed, destitution de celui-ci quelques heures plus tard au profit d’Ahmed Ben Cheikh – prié en vain de démissionner le même jour – tentative de rétablissement du Parlement […]». Autrement dit, Saïd Mohamed Djohar était perdu, «ne sachant ni où il en est avec ses propres partisans, ni où peuvent le mener les manipulations de ses enfants et beaux-enfant»: Sitti Saïd Youssouf: Comores. Législatives de tous les dangers, Le Nouvel Afrique Asie n°49, Paris, octobre 1993, p. 31. Pourtant, les partisans de Saïd Mohamed Djohar disent de leur chef qu’il était bon car il serait «le père de la démocratie».

   Mohamed Taki Abdoulkarim avait promis le «Réhémani», «Le Paradis», mais il plongea le pays dans le noir, et la situation perdure. Le juger négativement est un crime de lèse-majesté.

   Azali Assoumani Baba ne s’en sort pas mieux et, selon Thierry Vircoulon, «la privatisation de l’État, le “néo-paternalisme” de type sultanique ou la “politique du ventre”, bref les racines de ce que la Banque mondiale appelle la “mauvaise gouvernance” n’ont pas été éradiquées durant la transition. Corruption et mauvaise gouvernance ont continué à prospérer sous les yeux de la “communauté internationale”: aux Comores, comme l’atteste la découverte de 40 millions d’euros dans des comptes à l’étranger, le Colonel Azali a pillé le Trésor public et distribué les contrats publics à la coterie formée par ses proches».

   Pour sa part, Ahmed Sambi a littéralement tué l’État: amateurisme, gabegie, infantilisme, esprit villageois, corruption aggravée, népotisme, vente de la nationalité comorienne à des étrangers, y compris à des terroristes, vente du pays à des étrangers, vente des pavillons de complaisance à n’importe qui, manipulation et tripatouillages de la Constitution, mépris envers les gens, haine et division des Comoriens. Et, toute honte bue, cet homme veut revenir au pouvoir avant le tour d’Anjouan en 2021, alors qu’il n’a tenu aucune de ses promesses. Il écrit sa propre Histoire pour se juger lui-même, croyant bêtement avoir été un bon Président!

   Pour ce qui est du Président Ikililou Dhoinine, il a commis le plus horrible des génocides: il est Mohélien. Il a confié tous les postes importants à des Grands-Comoriens, mais les haineux ne lui reconnaissent pas le droit d’être Président, alors qu’ils ne soutiennent que des voleurs de poules. Pour eux, être Mohélien est un vice rédhibitoire. Il faut les entendre débiter des insanités de type «il porte des habits plus grands que lui». Ce sont des bêtises haineuses.

   Cependant, tant que les Comoriens resteront collés à une nostalgie larmoyante de leur passé, ils ne feront que reconnaître des échecs patents. Les Présidents ont échoué parce que leur réussite n’a pas été reconnue alors qu’ils étaient au pouvoir. Et ceux qui seront vivants quand l’Histoire jugera ne seront pas nécessairement ceux qui ont subi la médiocrité des régimes politiques jadis décriés et considérés comme n’ayant pas réalisé ce qui était attendu d’eux. Comme toujours, ces mêmes régimes politiques comptent sur leur précieux allié qu’est la mémoire courte des peuples. Les peuples oublient toujours vite, le bien comme le mal.

Par ARM

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© www.lemohelien.com – Samedi 1er août 2015.


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One Comment

  • alley

    août 1, 2015 at 10:25

    cher frère bonsoir,
    Mongozi disait”la lutte contre la pauvreté, la maladie et l’ignorance, la lutte contre l’exploitation, est plus exaltante que nos querelles de famille qui trouvent leurs origines dans des intérêts égoïstes et moribondes…” Ce n’est seulement pas une bonne parole, mais Mongozi a joint la parole à l’acte. Qu’il y ait eu des actes répréhensible Ok, toutefois Mongozi était un humain et tout le monde peut commettre des erreurs. Vous, moi tout le monde a commis et en commettra un jour. Je suis un peu surpris que tu n’as pas cité ne serait ce qu’un seul avancé, un progrès enregistré pendant cette période de 2 ans que Mongozi était à la tête de la république démocratique et laïque des Comores. Pour l’absence, la non présence des personnalités tels que inspecteur Ahmada ou Salim Himidi, ont été ils exclus de ce manifestation? j’ai eu l’occasion d’écouter Mr Salim Himidi, je pense que c’est quelqu’un qui a un bon fond et qu’ont peut apprendre beaucoup de lui. et je trouve ça dommage que quelqu’un comme lui soit écarté de cette manifestation. Quand à l’inspecteur Ahmada, je ne le connais pas, j’ai juste l’extrait de l’enquête qu’il a mené lors de la tentative d’assassina de Mongozi. et je pense qu’il avait très bien mené.
    —————–
    Bonjour, frère,
    1.- J’ai reconnu qu’Ali Soilihi a fait des choses positives pour le pays.
    2.- J’ai reconnu qu’il était un dirigeant sincère.
    3.- La tonalité de l’article va plus vers le passif que vers l’actif, au regard du jugement de l’Histoire.
    4.- Il y a spoliation de la mémoire d’Ali Soilihi, notamment par des aventuriers qui manquent de sincérité.
    Cordialement,
    ARM

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