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Personnalisation et personnification de partis politiques

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Aux Comores, on vote pour des individualités et non pour des partis

Par ARM

   Depuis quelques années, le meilleur analyste politique et sociologique comorien, Saïd-Omar Allaoui, tire la sonnette d’alarme au sujet de la mort clinique des partis politiques aux Comores. Le phénomène l’inquiète au plus haut point. Les conditions de déroulement des élections des dimanches 25 janvier et 22 février 2015 lui donnent l’occasion supplémentaire de revenir sur ce sujet, l’un de ses sujets de prédilection. La veulerie honteuse des partis politiques comoriens à l’approche des élections du Président de l’Union et des Gouverneurs des îles en 2016 le révolte. Pour tout dire, les partis politiques sont définis dans la première vraie Constitution des Comores, celle du 1er octobre 1978, dans les termes suivants: «Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement dans le respect de la souveraineté nationale, de la démocratie et de l’intégrité territoriale. La loi fédérale peut fixer le nombre des partis et groupements politiques» (article 4). En dehors de la disposition relative à la fixation du nombre des partis politiques, cette définition des formations partisanes est très belle et séduisante. Dans la Constitution actuelle, il est mentionné: «Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage, ainsi qu’à la formation civique et politique du peuple. Ils se forment et exercent librement leur activité, conformément à la Loi de l’Union. Ils doivent respecter l’unité nationale, la souveraineté et l’intangibilité des frontières des Comores, telles qu’internationalement reconnues, ainsi que les principes de la démocratie» (article 6).

   Donc, les partis politiques sont juridiquement reconnus aux Comores. Et quand, sous le régime politique d’Ahmed Abdallah, le parti unique, l’Udzima (Unité), avait été imposé, les Comoriens s’employèrent à créer les conditions d’émergence du multipartisme, reconnu sous Saïd Mohamed Djohar dès 1989-1990. Pour autant, l’analyste politique Saïd-Omar Allaoui estime que les conditions de reconnaissance du multipartisme relèvent plus de la lassitude des dirigeants que de l’adhésion de Saïd Mohamed Djohar aux principes et idéaux de l’État de Droit et de la démocratie: «Saïd Mohamed Djohar était un homme d’un autre âge, qui ne disposait pas de l’autorité nécessaire pour être le Président d’un pays en ébullition et vivant sous le régime du parti unique. Même sa façon de dire qu’il était favorable au multipartisme relevait d’un langage inconscient, condescendant et méprisant: “Même un époux et son épouse peuvent créer leur propre parti politique”. C’est lui-même qui avait qualifié sa propre conception et pratique de la démocratie de “démocrachat”, et venant d’un chef d’État, ça ne fait pas du tout sérieux. Sous l’autonomie interne, lors de l’âge d’or du Parti Vert et du Parti Blanc, on ne passait pas d’une organisation politique à une autre, et les membres de ces anciens partis encore en vie continuent à s’y identifier, contrairement à la transhumance politique constatée de nos jours. Aujourd’hui, il n’y a pas de partis politiques. D’ailleurs, on ne connaît pas les noms des partis mais ceux de leurs chefs, et c’est pour ça qu’on dit le “parti de Houmed Msaïdié” parce que les mots “Parti RADHI” ne parlent à personne, et c’est pour ça également que Saïd Ali Kemal finit par être surnommé SHUMA et Saïd Larifou, RIDJA. Personne ne connaît le nom du parti de l’acteur politique majeur Mohamed Saïd Fazul, et on dira tout simplement “les candidats de Mohamed Saïd Fazul”. La chosification et la personnalisation des partis politiques comoriens ne sont pas le meilleur service qu’on puisse rendre au pays».

   Logiquement donc, l’analyste politique et sociologique Saïd-Omar Allaoui considère que «plus personne aux Comores ne glisse son bulletin de vote dans l’urne pour un parti politique, mais pour une personne physique donnée. La raison de cette situation est simple: les partis politiques ne remplissent pas leur rôle et n’inspirent pas confiance. Comme les Comores sont le pays où les gens n’ont aucune conviction politique, puisqu’ils ne croient à rien, l’appartenance partisane ne signifie rien, et personne ne se souciera de s’interroger sur le nom du parti politique du Docteur Abdou Djabir, le MSADA, puisque l’intéressé était candidat à l’élection présidentielle de 2010 tout en appelant les électeurs à voter pour son adversaire Ikililou Dhoinine. Élu en tant que Député de l’opposition en 2009, il s’était toujours comporté en Député de la majorité parlementaire, ne proposant rien de 2009 à 2014, alors qu’il est Docteur en Droit public. Au cours des élections de 2015, la personne d’Ahmed Sambi a été exhibée et exposée de manière excessive par ses partisans, qui croient encore qu’il suffit qu’on dise que tel est le candidat de l’ancien Président pour que celui-ci soit élu, puisqu’un certain excès de confiance démagogique conduit à présenter Ahmed Sambi comme étant absolument “charismatique et irrésistible”. Est-ce que cela suffit pour faire élire un candidat? Non! Et les résultats des élections nous les confirment. Les Comores vivent donc dans un régime politique de multipartisme sans véritables partis politiques». En réalité, il s’agit plus de groupes de pression que de partis politiques. Il s’agit d’organisations politiques spécialisées dans la négociation des postes pour leurs chefs et dans le rafistolage idéologique puisque n’ayant aucune idéologie, ni idéaux, ni principes. Au moins, le Front démocratique avait pour étoile polaire et croix du Sud le dictateur albanais Enver Hodja et le génocidaire Pol Pot, auteur de la mort de 1,7 à 2 millions de morts dans le «Kampuchéa démocratique».

   De manière générale, les partis politiques comoriens n’ont pas de vie parce qu’ils ne sont pas des organisations politiques rentrant dans le cadre de la célèbre définition du parti politique telle qu’elle découle des écrits des politologues Joseph La Palombara et Myron Wiener: «Une organisation durable: c’est-à-dire une organisation dont l’espérance de vie politique est supérieure à celle de ses dirigeants. Une organisation locale bien établie et apparemment durable, entretenant des rapports réguliers et variés avec l’échelon national. La volonté délibérée des dirigeants nationaux et locaux de l’organisation de prendre et exercer le pouvoir, seuls et avec d’autres et non pas simplement d’influencer le pouvoir. Le souci enfin de rechercher un soutien populaire à travers les élections ou de toute autre manière». En effet, les partis politiques comoriens naissent toujours d’ambitions personnelles, sont soumis à des ambitions personnelles et sont les instruments d’ambitions personnelles, se disloquent sous l’effet d’ambitions personnelles et disparaissent sous l’effet d’ambitions tout à fait personnelles.

   Le Parti unipersonnel des Consanguins et de la Consanguinité politique est tellement un parti individuel qu’Ahmed Sambi a refusé de le définir par son objet, mais par son ambition fantasmagorique et mégalomaniaque, qualifiant de «Soleil» cette forme de chose ressemblant vaguement à un parti politique, dont «l’idéologie charnelle» est désormais connue. De surcroît, on ne voit pas comment le Parti RIDJA pourrait être présidé par quelqu’un d’autre que Maître Saïd Larifou. En appelant son organisation politique Parti de l’Entente comorienne (PEC), Maître Fahmi Saïd Ibrahim n’a fait que reprendre le nom d’une organisation politique qu’avait dirigée son père sous la colonisation, et on ne voit pas comment il pourrait céder la présidence d’un héritage sentimental à quelqu’un d’autre. De la même manière, il n’est pas possible d’envisager le Parti Orange sans à sa tête Mohamed Daoudou dit «Kiki». Cette inquiétante dérive s’appelle «personnalisation» et «personnification». Hier, Louis XIV, le Roi Soleil, disait, «l’État, c’est moi». Aujourd’hui, Maître Saïd Larifou peut dire «le RIDJA, c’est moi», Mohamed Daoudou «Le Parti Orange, c’est moi», Mouigni Baraka «le RDC, c’est moi», le Prince Saïd Ali Kemal «le SHUMA, c’est moi», etc. Curieusement, l’UPDC, le fameux «parti cocotte-minute», échappe à la personnalisation et à la personnification.

   En même temps, on découvre que ces partis politiques sont inaudibles et inexistants parce que les Comoriens comprennent que ces carcasses d’hyènes sont des instruments pour la réalisation d’inavouables ambitions personnelles et familiales. Seule l’UPDC a une véritable implantation nationale, et aurait réalisé le grand chelem si elle n’avait pas été victime des ordres divergents des Vice-présidents Mohamed Ali Soilihi et Nourdine Bourhane à Anjouan, opposant des candidats de la même famille biologique, comme c’était le cas à Domoni. Le RIDJA, par exemple, n’avait présenté aucun candidat hors de la Grande-Comore, et n’a obtenu aucun élu. Beaucoup de bruits pour rien. Le PEC refuse d’avoir plus d’un élu, son chef. Les deux Députés d’Ahmed Sambi à la Grande-Comore ne font pas ensemble 4.000 voix, alors qu’à lui seul, le Député de Mitsamiouli-Mboudé fait plus de 8.800 voix.

   Les animateurs soporifiques de la vie politique aux Comores ont un autre défaut, qui fait de leurs organisations politiques des structures manquant totalement de crédibilité: le manque d’idéologie. Même le Front national pour la Justice (FNJ), qualifié de «parti islamiste», n’a aucune véritable idéologie puisque tous les Comoriens se disent Musulmans, même si on sait ce qu’il en est en réalité. Donc, comme les partis politiques ne peuvent plus se différencier par leurs idéologies, on ne peut les reconnaître que par la personnalité de leurs chefs ou plutôt de leurs propriétaires.

Par ARM

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© www.lemohelien.com – Dimanche 26 juillet 2015.


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