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Atossa Araxia Abrahamian: interview sur les passeports

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Atossa Araxia Abrahamian: interview sur les passeports

L’auteure revient sur l’odieux trafic des passeports comoriens

Par ARM

     L’écrivaine Atossa Araxia Abrahamian accorde, ce mardi 20 septembre 2016, une interview à Télérama sur l’odieux et hideux trafic international des passeports, trabendo immonde dans lequel se trouvent impliquées les Comores de la manière la plus irresponsable et la plus méprisable. Compte tenu de l’importance de cette interview qui interpelle à la fois les Comoriens, tous les Comoriens, et la communauté internationale, nous avons décidé de vous la faire partager. Lecture…

     PARUTION – Trafic de passeports entre États. «La citoyenneté s’achète désormais comme une paire de chaussures» – Le monde bouge

     Les passeports aussi sont un marché globalisé: un phénomène symptomatique de la privatisation croissante des États et de l’inégalité des droits entre les plus pauvres et une minorité ultra-privilégiée. Journaliste new-yorkaise aux origines diverses, Atossa Araxia Abrahamian a enquêté sur le sujet pour son livre «Citoyenneté à vendre». On connaissait la spéculation sur les biens immobiliers, les matières premières, les devises… Il faut désormais composer avec une financiarisation de la citoyenneté présageant un avenir sombre pour les droits de l’homme. Le marché mondial des passeports met en effet en lumière l’inégalité des droits entre les ultra-riches et les pauvres. D’un côté, les déracinés, réfugiés, apatrides et autres «illégaux» se comptent en millions. De l’autre, quelques happy few collectionnent les passeports pour abolir les frontières et payer moins d’impôts. La cosmopolite Atossa Araxia Abrahamian, journaliste indépendante résidant à New York, a enquêté sur un phénomène méconnu et symptomatique de la privatisation des États: l’invraisemblable transaction conclue entre l’un des pays les plus pauvres au monde, les Comores, et les Émirats arabes unis. Pour régulariser la situation de ses apatrides, la fédération a acheté au rabais des milliers de passeports comoriens. Pour la journaliste, auteur de Citoyenneté à vendre, «les “citoyens du monde” qui achètent leurs papiers dans les paradis fiscaux des Caraïbes sans jamais y mettre le pied et les sans-papiers émiratis qui obtiennent la nationalité comorienne sans jamais pouvoir s’y rendre constituent les deux extrêmes d’un même phénomène. Ils remettent tous deux en cause la validité du rapport entre l’Homme et l’État».

     Télérama: Dans votre ouvrage, Citoyenneté à vendre, vous commencez par livrer votre sentiment «d’être “du monde” sans y appartenir».

     Atossa Araxia Abrahamian: Mon parcours explique l’absence de sentiment d’appartenance fort à un État en particulier. Je suis née au Canada en 1986 de parents iraniens d’ascendance russe et arménienne. Ces derniers rencontraient des difficultés pour voyager et comme on avait de la famille au Canada, ils se sont dit que ce serait mieux que leurs enfants y naissent pour obtenir le droit du sol. En réalité, j’ai grandi en Suisse jusqu’à ma majorité. Mes parents travaillaient à l’ONU. J’étais scolarisée dans une école internationale à Genève. Mes amis venaient de partout et je ne me sentais pas très suisse. À 18 ans, je suis partie étudier la philosophie puis le journalisme à New York. Douze ans plus tard, je me sens très New-Yorkaise même si je n’ai ni green card, ni nationalité américaine. Je n’ai encore jamais pu voter.

     Télérama: Quand avez-vous réalisé que votre parcours était atypique?

     Atossa Araxia Abrahamian: Dès l’école, j’ai compris que je n’étais pas comme tout le monde. À Noël, on a fait un spectacle autour de la chanson We are the world, où chaque enfant devait porter une tenue traditionnelle de son pays. Comme je ne savais pas quel pays choisir, on m’a donné une tenue africaine… J’ai fait une crise. Plus tard, à New York, on me demandait souvent: «D’où viens-tu? Quelle est ta nationalité?». J’avais du mal à répondre. Mes amis trouvaient ça bizarre. «Quand vous vous réveillez un beau matin et qu’on vous dit: “Vous êtes désormais comorien alors que vous n’avez pas quitté les Émirats, c’est kafkaïen”.

     Télérama: Comment vous êtes-vous intéressée au marché international des passeports?

     Atossa Araxia Abrahamian: D’abord, grâce à des lectures sur les paradis fiscaux, la précarité et l’uberisation de la société – mot qui n’existe pas aux États-Unis où l’on parle plutôt de privatisation. J’avais écrit quelques articles sur les achats de passeports aux Caraïbes pour raisons économiques, mais ça ne concernait qu’une petite élite riche et je ne voulais pas me limiter à eux. Parallèlement, une amie vivant à Dubaï m’a demandé si j’avais entendu parler d’un programme de citoyenneté visant à donner des passeports comoriens aux bidoun des Émirats arabes unis. En arabe, bidoun veut dire «sans». Le mot désigne ceux à qui l’on a refusé la citoyenneté dès la naissance de la nation. Ce sont des résidents des Émirats, apatrides et sans-papiers, considérés comme des immigrés illégaux. Plutôt que de leur offrir la nationalité émiratie, les Émirats leur ont acheté celle des Comores. Il suffisait à cet État, l’un des plus pauvres de la planète, d’adopter une loi autorisant ce type de transaction puis d’imprimer des passeports pour vendre leur nationalité au plus offrant et ainsi renflouer ses caisses.

     Télérama: Comment avez-vous enquêté?

     Atossa Araxia Abrahamian: J’ai commencé par faire des recherches dans les journaux comoriens et sur WikiLeaks où l’on trouvait deux ou trois câbles diplomatiques sur le sujet, puis j’ai décidé de me rendre aux Comores pour retracer ce qui s’y était vraiment passé. Derrière cette expérience désastreuse, il y avait Bachar Kiwan, un homme d’affaires franco-syrien, ancien consul honoraire des Comores, qui avait négocié avec les dirigeants comoriens, en échange de commissions, une «solution» pour les apatrides des Émirats arabes unis. Cette histoire m’est apparue comme un exemple extrême, mais non moins révélateur des dangers de la financiarisation de la citoyenneté. Quand vous vous réveillez un beau matin et qu’on vous dit: «Vous êtes désormais comorien» alors que vous n’avez pas quitté les Émirats, c’est kafkaïen. Les dirigeants des Comores pensaient peut-être naïvement que ça aiderait tout le monde et je ne pense pas que Kiwan aurait aidé l’archipel si sa démarche n’avait pas été sincère, mais le résultat est un échec questionnant le rôle de l’État et les droits de l’homme.

«Cette affaire aurait dû connaître un retentissement mondial mais personne n’a entendu parler des Comores»

     Télérama: Vous avancez le chiffre de 200 millions de dollars versés par les Émirats arabes unis aux Comores contre la nationalisation de 4.000 familles bidoun. Pourquoi personne n’a parlé de cette transaction perçue par certains défenseurs des bidoun comme un trafic d’êtres humains?

     Atossa Araxia Abrahamian: Tout cela s’est fait de manière très opaque: les pays concernés ne publient pas de statistiques sur leurs bidoun. L’ONU parle de 100.000 personnes dans la région et recense 15 millions d’apatrides dans le monde, dont un million en Birmanie. Par ailleurs, les bidoun n’ont personne pour les représenter car ils n’ont pas de nationalité. Cette affaire aurait dû connaître un retentissement mondial mais personne n’a entendu parler des Comores, cet État oublié depuis son indépendance, en 1975. Les Français y seront peut-être plus sensibles que les Américains car les Comores ont fait partie de la France. Depuis deux ans, le Koweït dit aussi vouloir donner des passeports comoriens à ses bidoun. C’est donc une pratique qui se propage.

     Télérama: Quelle a été la réaction des organisations internationales?

     Atossa Araxia Abrahamian: Des ONG comme Amnesty International ou Human Rights Watch ont dénoncé cette initiative mais comme il s’agit d’un contrat d’État à État, aucune loi ne peut à ce jour empêcher ce type de transaction sans précédent.

«Désormais, le passeport supplémentaire est comme un laissez-passer ou une carte American Express Platinum»

Télérama: À l’autre bout du spectre, il y a ces happy few que vous nommez les «collectionneurs de passeports», pour qui une nationalité s’achète comme n’importe quel produit de luxe. Quand l’achat de passeports est-il devenu un marché mondial?

     Atossa Araxia Abrahamian: Il y a toujours eu un marché noir autour des passeports, mais les «programmes de citoyenneté économique» devant permettre à des particuliers d’acquérir une deuxième nationalité ont commencé à être formalisés dès les années 1980 et 1990. C’est devenu un marché prisé et réservé aux multimillionnaires autour des années 2005-2006. Et ce, grâce aux nombreux courtiers qui ont vu dans ces programmes une opportunité de s’enrichir et ont fait de la citoyenneté un business en clamant: «Achetez un deuxième passeport et devenez citoyen du monde». Dans la fédération de Saint-Kitts-et-Nevis (îles des Petites Antilles), la vente des passeports est devenue le secteur d’exportation le plus important du pays et lui a permis de sortir de la récession. Auparavant, collectionner les passeports était réservé aux James Bond. Désormais, le passeport supplémentaire est comme un laissez-passer ou une carte American Express Platinum: c’est un bien de luxe destiné non pas aux 0,1% les plus riches, mais aux 0,01%.

     Télérama: Citoyennetés à vendre est aussi une réflexion sur le cosmopolitisme. Être citoyen du monde reste-t-il toujours un idéal?

     Atossa Araxia Abrahamian: Il reste des idéalistes, mais le cosmopolitisme qu’offre la mondialisation n’est accessible qu’à ceux qui ont les moyens de se le payer. Le danger, c’est de considérer les citoyens comme des consommateurs: aux États-Unis, on parle d’ailleurs plus de «taxpayers» (contribuables) que de citoyens. L’affaire des Comores prouve à quel point tout est désormais à vendre: les élus, les pays, surtout lorsque ces derniers sont pauvres et donc facilement exploitables. La citoyenneté s’achète désormais comme une paire de chaussures. Idéalement, la citoyenneté est un contrat social, mais aujourd’hui, avec la mondialisation et la privatisation des États, le contrat social se trouve affaibli. Ce que révèle la marchandisation des passeports, c’est donc la faiblesse du contrat social.

À lire: Atossa Araxia Abrahamian: Citoyenneté à vendre. Enquête sur le marché mondial des passeports, Lux Éditeur, Montréal, 184 p., 15 €.

     Dans nos prochaines éditions, nous verrons comment le «pouvoiriste» polygame Azali Assoumani était tombé follement amoureux de Bashar Kiwan, et comment il va verser des larmes de crocodile par la suite.

Par ARM

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© www.lemohelien.com – Dimanche 25 septembre 2016.


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