«Ahmed Sambi était obsédé par la volonté de faire couler le sang à Anjouan»
Interview exclusive de Djaffar Salim Allaoui, ancien ministre de l’Intérieur d’Anjouan
www.lemohelien: Qu’est-ce qui peut pousser un juriste de haut niveau comme vous à devenir membre d’un gouvernement qualifié par les Comoriens et la communauté internationale d’«entité séparatiste, rebelle et divisionniste»?
Djaffar Salim Allaoui: (Rires). C’est une question très pertinente. En tout cas, en ce qui me concerne, rien ne me prédispose au séparatisme. Je le dis haut et fort: je ne suis ni séparatiste, ni rebelle, ni divisionniste. J’ai fait l’objet d’un tissu de mensonges et de calomnies. Personne ne peut prouver mon appartenance à un «gouvernement séparatiste, rebelle et divisionniste».
www.lemohelien: Pourtant, c’est un gouvernement insulaire qu’il a fallu renverser par la force, à la suite d’un débarquement militaire préparé et mené sous l’égide de l’Union africaine. Pourquoi avez-vous rejeté toutes les offres de négociation?
Djaffar Salim Allaoui: L’usage de la force à Anjouan ne se justifiait pas. Il y a toujours face à la guerre et au conflit armé, une alternative. Je dois déplorer ici le fait que tout que ce qui a été fait de notre côté pour éviter la guerre est passé à pertes et profits, alors que nous voulions éviter la guerre. De Johannesburg au Cap, en Afrique du Sud, de pourparlers en pourparlers, nous avons fait des déplacements pour répondre à toutes les convocations de l’Union africaine, avec des schémas de sortie de crise, mais in fine, nous avons compris une chose: pour l’ancien Président Ahmed Sambi, les pourparlers n’avaient et ne devaient avoir aucun sens. Il était obsédé par une seule option: en découdre avec Anjouan et ses dirigeants de l’époque. Point à la ligne. Comment imaginer que d’un contentieux électoral, on puisse en arriver à un conflit armé? J’ai toutes les preuves de ma bonne foi par rapport aux négociations et aux propositions d’Anjouan. L’ancien Président sud-africain Thabo Mbeki est un témoin oculaire et auriculaire de tout ça, en sa qualité de chef de l’État qui coordonnait le processus de réconciliation nationale aux Comores.
www.lemohelien: Nous étions ensemble à l’École nationale d’Administration publique (ÉNAP) de Rabat, au Maroc, vous à la promotion 1985-1989, moi à la promotion 1986-1990. Je vous y ai connu gentil, sympathique, parfait juriste et très modéré, et par la suite j’apprends que vous étiez devenu un «dur» à Anjouan, accusé d’être un ministre de l’Intérieur d’un gouvernement qui n’échappe pas à des accusations d’assassinats, tortures, viols et autres sévices corporels. D’où viennent toutes ces accusations infamantes?
Djaffar Salim Allaoui: Je mets au défi celui qui peut apporter la moindre preuve de ces accusations ridicules. Qu’on me prouve un seul assassinat commis sous la présidence de Mohamed Bacar, un seul assassinat m’incriminant moi-même. Qu’on m’apporte une preuve formelle de tout cela devant l’autorité comorienne. Il en est de même des autres accusations de violations de droits de l’Homme.
www.lemohelien: Pourtant, la Fondation comorienne des Droits de l’Homme (FCDH) a rédigé des rapports accablants en matière de violation de droits de l’Homme sous Mohamed Bacar à Anjouan, des rapports repris par les chancelleries et la presse internationale.
Djaffar Salim Allaoui: La question des prétendues violations des droits de l’Homme ne m’a jamais été posée auparavant sous l’angle des accusations figurant dans les rapports de la FCDH. En réalité, la FCDH a servi sous Ahmed Sambi comme instrument de propagande du régime politique en place et comme moyen d’aliénation et de désinformation de l’opinion publique, en montant des dossiers graves et accablants contre l’autorité d’Anjouan afin de pouvoir justifier l’invasion armée et le coup d’État militaire du 25 mars 2008 par les Forces Armées comoriennes, tanzaniennes et soudanaises, sur la petite île de 424 km² qu’est Anjouan. Ahmed Sambi était obsédé par la volonté de faire couler le sang à Anjouan et d’y provoquer des malheurs et des deuils. Nous avons tout fait pour éviter une logique d’affrontement entre les Forces de la Gendarmerie d’Anjouan (FGA) et les troupes d’invasion. Ordre avait même été donné formellement aux membres des FGA pour ne pas tirer sur les Forces Armées d’invasion et pour ne leur opposer la moindre résistance. Mais, il n’y avait pas que la FCDH qui nous calomniait. Tous les médias étaient aux ordres pour diaboliser et noircir l’autorité anjouanaise, pour faire de nous les bannis et les pestiférés de la République. Oui, je n’étais pas un voyou quand nous étions au Maroc, et je ne le suis pas devenu. Je n’ai jamais porté l’étiquette de voyou. J’étais tout sauf un voyou, et je ne le suis pas devenu.
www.lemohelien: Le 25 mars 2008, il y a eu le débarquement militaire et le renversement de l’autorité d’Anjouan. Par la suite, vous vous évadèrent de l’île d’Anjouan, Mohamed Bacar se retrouve au Bénin après Mayotte et la Réunion. Qui vous a aidé à fuir? De quoi viviez-vous à Mayotte? De quoi vit Mohamed Bacar au Bénin? Il y a une main étrangère dans tout ça, non?
Djaffar Salim Allaoui: Je m’étais interdit de fuir la Justice de mon pays car je n’avais rien à me reprocher. Mais, quand, le 14 juillet 2008, on a comparu devant le Tribunal de Mutsamudu face à deux magistrats venus spécialement de Ngazidja pour nous juger, nous en sortîmes après 6 heures d’audition, au Parquet de Mutsamudu, avec une ordonnance de remise en liberté immédiate. Le dossier était vide. La plainte était inutile. Nous avions subi quatre mois de détention arbitraire, avaient relevé les 2 magistrats dépêchés spécialement de Moroni. Nous sommes donc repartis à la Gendarmerie d’Anjouan avec notre ordonnance de remise en liberté pour récupérer nos affaires et rentrer chez nous. Mais, à la Gendarmerie, quelle a été notre surprise d’apprendre qu’un contrordre était venu du sommet de l’État! C’était hallucinant. On nous avait remis en cellules d’isolement. Ahmed Sambi piétinait une décision judiciaire, revêtue de l’autorité de la chose jugée. Les deux juges, Jeannot Bazi et Mohamed Abdou ont été relevés de leurs fonctions, le tout pour avoir dit le Droit. Devant cette situation de persécution, discrimination et arbitraire, nous avons fui la tyrannie pour nous abriter à Mayotte. Nous n’avons bénéficié d’aucune complicité extérieure, même française. Notre geôlier nous a aidés à nous évader, à condition de l’embarquer dans l’aventure avec lui et avec sa mère, qui était en soins intensifs à l’hôpital de Domoni. Nous avons tout organisé par nous-mêmes. Je le jure sur Dieu et sur la tête de mes enfants. Nous n’avons bénéficié d’aucune complicité extérieure. À Mayotte, nous n’avons bénéficié de l’aide de personne, et c’est cela qui m’a incité à rentrer à Anjouan, car je ne pouvais plus supporter certains regards obliques et vivre dans la précarité. Pour sa part, au Bénin, Mohamed Bacar vit de ses propres subsides.
www.lemohelien: L’ancien Premier ministre Mohamed Abdou Madi dit «Mjamaoué» se dit lui aussi proche de Mohamed Bacar et est considéré comme tel. Pourtant, vous n’êtes pas les meilleurs amis du monde et vous n’incarnez pas le même bacarisme.
Djaffar Salim Allaoui: Oh! Mohamed Abdou Madi! Est-ce nécessaire d’en parler? Tout ce qui relève de lui est un non-événement et je préfère ne pas polémiquer là-dessus.
www.lemohelien: Les Comoriens disent que vous faites l’objet d’une bienveillance particulière de la part de l’État comorien sous Ikililou Dhoinine. On vous dit proche de Hamada Madi Boléro, mais que vous avez fait l’objet d’une tentative de récupération politicienne de la part du Gouverneur Anissi Chamssidine d’Anjouan, affreusement phagocyté et instrumentalisé par Ahmed Sambi. Est-ce que tout cela est vrai?
Djaffar Salim Allaoui: Au sujet de Hamada Madi Boléro, on a tendance à l’oublier, quand en janvier 2002, Azali Assoumani a démissionné pour se présenter aux élections présidentielles, j’ai été comme lui membre du gouvernement d’union nationale de transition (GUNT), la même appellation qu’au Tchad aux temps de Goukouni Wedeye et Hissène Habré. Je me suis retrouvé dans le même gouvernement que Hamada Madi Boléro, avec le titre de Vice-Premier ministre. Sous Azali Assoumani, Hamada Madi Boléro était Premier ministre avant de devenir Président de la République par intérim. Je me suis retrouvé face à Hamada Madi Boléro dans toutes les étapes des négociations de réconciliation nationale. Nous nous retrouvions avec d’autres. Est-ce un crime de lèse-majesté si je suis proche de lui? Par contre, je démens toute tentative de récupération politicienne par le Gouverneur d’Anjouan, car nous sommes à tous points opposés. Aucune cohabitation n’aurait été possible et efficace entre nous, car tout nous sépare.
www.lemohelien: Le séparatisme est présenté comme un mal anjouanais et mohélien. Or, la déclaration de Hamada Madi Boléro sur le transfert de la capitale des Comores de Mayotte vers la Grande-Comore par Saïd Mohamed Cheikh a fait resurgir chez certains à la Grande-Comore un sentiment d’appartenance insulaire s’apparentant à une incitation au séparatisme et à une apologie de ce dernier. Est-ce que l’insularité est devenue le seul fondement de la vie politique aux Comores?
Djaffar Salim Allaoui: Non! Je ne le pense pas. Je ne pense pas qu’on soit arrivé à une attitude aussi radicale à Ngazidja. Je reste serein et garde ma confiance envers la sagesse de Ngazidja. J’ai eu à exprimer mon opinion sur les critiques injustifiées dont fait l’objet Hamada Madi Boléro, Directeur de Cabinet du Président Ikililou chargé de la Défense. C’est incroyable et inadmissible!!!… Comment est-ce possible? Notre pays va mal, très mal même. Certains ont le droit de critiquer et d’invectiver d’autres Comoriens, sans états d’âme, sans foi, ni Loi. Pour quel droit et en vertu de quoi? Pis, on peut même s’arroger le droit de dire des grossièretés à l’endroit du chef de l’État, d’en diffamer l’institution sans être inquiété outre mesure. Ce n’est pas normal! Ce n’est pas normal! Ce pays est à nous tous, dois-je le rappeler? Aux yeux de la Loi, nous avons les mêmes droits et les mêmes devoirs, entre Comoriens. C’est tout simplement scandaleux, ce qui se passe dans l’impunité et dans l’indifférence la plus totale. Comment concevoir à Ndzuwani ou à Mwali que d’honorables dignitaires et notables rythment à leur guise la vie institutionnelle, politique et économique sans avoir à tenir compte de l’État lui-même? Comment s’imaginer un seul instant qu’à Ndzuwani et Mwali, des notables parlent au nom des deux îles, sans aucune concertation? Ce n’est pas normal, ce que font les notables de la Grande-Comore, qui se croient tout permis. Hamada Madi Boléro, que je sache, n’a pas blasphémé. Il n’a pas non plus commis de crime. Il a le plus fidèlement possible restitué l’Histoire, et cela blesse et choque une partie de l’opinion nationale. Dans tout cela, malgré tout, les faits historiques sont têtus. Ils parlent d’eux-mêmes, bon gré, mal gré. À nous autres, il est permis de nous assimiler à des rebelles, et de nous qualifier de tous les noms d’oiseaux, et d’autres, quand bien même ils viennent à commettre des actes répréhensibles, il est interdit de relever ne serait-ce que les faits, leurs faits. De quel statut jouissent-ils? Tout ça sent très mauvais pour notre pays et je m’y interroge. Y a-t-il des Comoriens nantis et des Comoriens de seconde zone? C’est quoi, ce délire? De toute façon, les Comores appartiennent à tous les Comoriens, qu’ils soient de Ngazidja, de Mwali, de Ndzuwani et même de Mayotte, et tout le prouve par l’Histoire, la culture, la tradition, la religion et le contexte géographique. Aucun citoyen comorien n’a la priorité sur l’autre. Nous avons encore du chemin à faire dans notre dynamique de réconciliation nationale, et je n’ai pas cessé de dire que nous devons respecter nos institutions et nos dirigeants.
www.lemohelien: Vous considérez donc que les notables abusent de leur position sociale et s’ingèrent dans des affaires d’État qui ne les regardent pas?
Djaffar Salim Allaoui: À Ngazidja, les notables dépassent les limites et ne veulent pas s’en rendre compte. Ils interviennent même dans les affaires de distribution de vin. Cette posture constitue une question qui en appelle d’autres:
1.- Sur le régime du monopole dans notre pays.
2.- Sur le rôle des officines dans les affaires courantes de l’État.
3.- Sur nos engagements envers une institution internationale qu’est l’Organisation mondiale du Commerce (OMC), au regard des règles de la concurrence qu’elle impose aux États.
www.lemohelien: Vous venez de créer un parti politique, Génération Nouvel Ensemble comorien rénové, déjà qualifié de «séparatisme». Est-il vrai qu’il s’agit d’un parti politique séparatiste?
Djaffar Salim Allaoui: Ah bon? Ce parti politique n’a rien de séparatiste, puisqu’il a une dimension nationale de par ses structures et sa vocation, à moins que ceux créés à Ngazidja ne soient séparatistes aussi. Comment peut-on admettre que sur la seule île de Ngazidja, on puisse avoir une trentaine de partis, mais dès qu’il est créé un parti politique à Ndzuwani ou Mwali, il est assimilé au séparatisme? Nous sommes trop portés sur les exagérations. Nous sommes trop animés par des préjugés, des clichés et des idées reçues, et avec cette manière de faire, nous ne pouvons pas faire avancer le pays.
www.lemohelien: On dit que votre parti politique est proche du gouvernement actuel. Est-ce vrai ou s’agit-il d’une nouvelle affabulation?
Djaffar Salim Allaoui: Nous n’avons rien conclu avec le gouvernement comorien, encore moins avec les entités insulaires, mais tout de même avec le gouvernement de l’Union des Comores, nous partageons des valeurs communes et avons également en partage des convictions cohérentes.
www.lemohelien: Aujourd’hui, quelles sont vos relations avec l’ancien Président Ahmed Sambi, de Mutsamudu comme vous, mais qui a renversé le gouvernement insulaire dont vous étiez l’emblématique ministre de l’Intérieur?
Djaffar Salim Allaoui: Sans tergiverser, aucune relation! Je n’entretiens aucune relation avec Ahmed Sambi. Personne n’adresse la parole à l’autre quand il lui arrive de le croiser dans les rues de Mutsamudu ou d’ailleurs. Nous sommes opposés à tous points de vue, qu’il s’agisse du style ou de l’approche en matière de gouvernance.
Propos recueillis par ARM
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