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Les experts médiatiques et les glissements sémantiques

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Création et manipulations au quotidien de concepts devenus explosifs

Par ARM

      L’Allemande Sigrid Hunke (1913-1999) est incontestablement l’auteure qui a trouvé les meilleurs mots pour mieux rappeler la grandeur de la civilisation arabo-islamique, ses grands mérites et ses apports les plus significatifs à l’humanité, lors de l’âge d’or de l’Islam, au Moyen-âge, période d’engourdissement intellectuel en Europe. Dans un livre d’anthologie au titre très évocateur, elle rappelle les grandes inventions et découvertes faites dans le monde arabo-musulman au cours de cette période épique, et insiste à la fois sur l’implication personnelle du Khalife dans le développement du savoir et sur la tolérance qui a caractérisé l’Islam à l’époque, tolérance qui tranche singulièrement avec la barbarie criminelle et terroriste qu’on observe aujourd’hui dans un certain nombre de pays musulmans. Prenant l’exemple de la cohabitation entre Juifs, Chrétiens et Musulmans dans la ville de Jérusalem, conquise par les Musulmans dès 637, Sigrid Hunke signale que «les nouveaux maîtres Musulmans ne s’immiscent pas dans les affaires privées de leurs sujets. “Ils sont équitables, écrit au IXème siècle le patriarche de Jérusalem à celui de Constantinople, ne nous font aucun tort et ne se livrent à aucun acte de violence envers nous”. Ils accordent aux non-Musulmans de leur empire toutes les libertés religieuses et civiques, pourvu qu’ils paient leurs impôts et obéissent leurs maîtres. […]. Sans qu’il soit jamais question de contrainte, les adeptes du Christ fondent comme neige au soleil. […]. La tolérance proverbiale des Arabes est d’une autre nature que l’indifférence religieuse des Romains décadents qui, sur le Forum, offraient une petite place aux dieux de toute autre origine»: Sigrid Hunke: Le soleil d’Allah brille sur l’Occident. Notre héritage arabe, Albin Michel, Paris, 1963, pp. 218-219.

      Déjà à l’époque du Prophète, en 622, avait été adoptée la Constitution de Médine, sur laquelle on lit des clauses révolutionnaires, des merveilles de tolérance, la quintessence de l’éthique et de l’esthétique de l’Islam: «Aux Juifs leur religion et aux Musulmans leur religion, qu’il s’agisse de leurs maula [clients], ou protégés, ou d’eux-mêmes» (article 25), «Aux Juifs leurs dépenses et aux Musulmans leurs dépenses. Qu’il ait entre eux entraide contre quiconque combattra ceux que vise cet écrit. Qu’il y ait entre les Juifs et les Musulmans bienveillance et bonne disposition, observance, non-violence» (article 27), «Le voisin protégé tient la place de protecteur lui-même, à condition qu’il ne fasse aucun mal et qu’il n’agisse pas traîtreusement» (article 40). Aux Juifs de Médine qui avaient agi contre l’Islam, après avoir été des alliés des Musulmans, le Prophète Mohammad dit: «[…] L’Envoyé de Dieu vous pardonne vos méfaits et toutes vos fautes; et à vous iront la protection de Dieu et la protection de Son Envoyé. Nulle oppression ne pèsera sur vous, ni nulle violation. Et l’Envoyé de Dieu est votre défenseur contre cela dont il se protège lui-même».

      Aujourd’hui, en terre d’Islam, ces valeurs de tolérance sont oubliées par ceux qu’on nomme abusivement et fallacieusement «islamistes», «djihadistes» et «salafistes», et dont la principale activité se résume à des scènes d’égorgement, décapitation et immolation par le feu de Musulmans et d’adeptes d’autres religions qui n’ont commis aucune faute, à des attentats à la bombe d’une rare violence contre des innocents, à des tueries que rien ne justifie, à des mariages forcés de filles mineures et de femmes déjà mariées et dont les époux sont vivants, alors que seul le père a le droit de donner l’autorisation de mariage pour sa fille pour la protection de celle-ci. L’Islam est dénaturé et souillé par des assassins et des criminels qui s’en servent comme arme. Malheureusement, par ignorance, les journalistes et les «“experts” médiatiques» ne veulent pas comprendre que l’Islam n’est pas concerné par cette sauvagerie.

      Le 27 septembre 2003, M. Bouhout El Mellouki Riffi, grand universitaire marocain, a dit: «Jacques Berque, le célèbre orientaliste et traducteur du Coran, maîtrisait tellement bien la langue arabe qu’on se demande pourquoi il n’est pas devenu musulman». Ce constat rejoint celui fait sur Louis Massignon, qui n’aimait parler des merveilles de l’orientalisme avec son ami Abdelkhalek Torrès, homme d’État marocain, qu’en arabe. Ces deux exemples sont cités pour mettre en exergue l’intimité entre les anciens spécialistes du monde arabe et musulman et la langue arabe, à un moment où ceux qui ont pris la relève n’affichent pas toujours un attachement pour cet instrument de travail pourtant indispensable qu’est la langue arabe. En tout état de cause, on reste perplexe quand un expert en orientalisme qualifie d’autres d’ignorance et de manipulation. C’est ainsi qu’Olivier Carré qualifie un livre écrit par un journaliste français de «pamphlet sous-informé et pouvant nourrir l’arabicide», avant de fustiger un autre livre, qualifié de «pamphlet écrit avec une ignorance revendiquée en islamologie», et avant de s’en prendre à l’ouvrage d’un célèbre orientaliste, «qui, comme ses autres articles et livres, fourmille d’erreurs graves de compréhension des termes arabes utilisés et cités». Il accusera le même orientaliste de «confusion»: Olivier Carré: L’Islam laïque ou le retour à la Grande Tradition, Armand Colin, Paris, 1993, pp. 154, 155 et 156.

      Tendance à l’exagération d’orientaliste? Même s’il vaut mieux éviter de prendre position sur ce genre de polémique, force est de reconnaître que quand il s’agit du monde arabo-musulman, les fameux «spécialistes» ne maîtrisent pas les concepts arabes qu’ils manipulent avec une imprudence confondante. Un terroriste sera qualifié d’«islamiste», «djihadiste» ou «salafiste». En tombant dans de tels pièges, les experts se situent dans le travers dénoncé par Edward W. Saïd, celui de «L’Orient créé par l’Occident», dans la confusion.

    «Islamiste». Le terme procède d’une invention occidentale et concerne le Musulman se caractérisant par son passéisme obscurantiste et irrationnel, son radicalisme et sa prédilection pour le terrorisme, l’usage de la force l’emportant. Or, l’Islam prohibe toute forme de violence au nom de la religion, et on n’use pas de violence au nom et sous couvert de l’Islam:

«Pas de contrainte en religion» (Coran, II, La Vache, 256).

      Comme la contrainte est interdite, une laïcité qui ne porte pas son nom est décrétée pour que chacun vive sa religion sans pression, dans une liberté totale, y compris dans le même espace, comme cela se faisait en terre d’Islam de la période classique, où les chefs musulmans laissaient les non-musulmans diriger leurs pays, conquis, avant de se convertir à l’Islam:

«À vous votre religion et à moi ma religion» (Coran, 108, Les Infidèles, 6).

      Donc, le terroriste ne peut se réclamer de l’Islam, et l’«isme» qui provoque le glissement sémantique conduisant l’Islam à l’«islamisme» n’a aucun sens, et les deux versets coraniques précités sont là pour le prouver.

      Et voilà qu’un autre raccourci fait d’un terroriste un «djihadiste», un adepte du «Djihad», qu’on s’acharne obstinément à définir comme une «guerre sainte», dans le cadre d’une religion qui interdit la contrainte en religion. En réalité, «Djihad» signifie l’effort intellectuel que l’homme déploie pour lutter contre ses propres excès. La guerre sur la voie de Dieu est appelée «Petit Djihad», puisque le «Grand Djihad» est intellectuel, par excellence. Et ce petit «Djihad» ne peut avoir lieu que pour faire face à l’impératif de la légitime défense:

«Toute autorisation de se défendre est donnée à ceux qui ont été attaqués parce qu’ils ont été injustement opprimés. – Dieu est puissant pour les secourir – et à ceux qui sont chassés injustement de leurs maisons pour avoir dit seulement “Notre Seigneur est Dieu!” […]» (Coran, XXII, Le Pèlerinage, 40).

«[…] Soyez hostiles envers quiconque vous est hostile, dans la mesure où il vous est hostile» (Coran, II, La Vache, 194).

      Comme «Ijtihad», effort intellectuel et recours à la raison, notamment pour mieux comprendre le Message de Dieu, «Djihad» vient de l’arabe «Jahd», l’effort, et ce dernier n’a aucune connotation physique et coercitive, et se veut avant tout intellectuel. Dieu refuse d’être adoré dans l’ignorance, et tient à ce qu’on le connaisse avant de l’adorer, ce que ne font pas les terroristes, qui parlent d’un Dieu qu’ils ne connaissent pas. La connaissance vient du «Djihad» et de «Ijtihad», synonymes d’effort intellectuel. Pourtant, cela n’empêchera pas le «spécialiste» qu’on appelle chaque fois à la télévision et à la radio de parler de «djihadiste» pour désigner celui qui se revendique de l’Islam tout en commettant un acte terroriste cruel, incompatible avec la lettre et l’esprit de l’Islam. Cet acte criminel est commis contre de vrais Musulmans et contre d’innocents adeptes d’autres religions, et cela, en violation totale des règles de l’Islam et contre l’humanisme et l’humanité véhiculés par cette religion.

      Pourquoi ne pas qualifier le terroriste de «salafiste» alors? Voilà encore un concept à la mode, de préférence, dans la bouche des «spécialistes» institutionnels et médiatiques, qui expliquent toujours tout sur les médias, mais sans parler un mot arabe, ou parlant arabe mais endormis par la paresse intellectuelle qui les empêche d’aller au-delà des schémas réducteurs.

      En réalité, quand les vrais orientalistes avaient encore le droit de s’exprimer sur les sujets touchant le domaine de leur compétence, le «salafisme» venait de «Salaf», «prédécesseurs» ou «ancêtres», étant noté que les premières générations musulmanes constituaient la source la plus autorisée en ce qui concerne la direction spirituelle de l’Islam. Ces ancêtres étaient les puristes de l’Islam, et aucun parmi eux n’était un terroriste. Les vrais islamologues se posent alors la question de savoir comment la manipulation des concepts a-t-elle conduit à des monstruosités terminologiques qui ne suscitent que des sentiments de peur? La réponse est simple: les concepts ne sont plus innocents mais explosifs, à force d’instrumentalisation et de manipulation. Or, les glissements sémantiques signalés n’aident pas l’humanité à vivre en paix, chacun devant supporter l’adepte de l’autre religion, l’athée ou l’agnostique. Les glissements sémantiques donnent mauvaise presse à l’Islam, religion de tolérance, et au Musulman, pendant que le faux Musulman accentue la confusion, par son obscurantisme, sa violence physique et verbale et son enfermement dans un ghetto mental. En même temps, on doit s’interroger sur l’opportunité d’octroyer le titre de «spécialiste de…» à l’auteur de chaque mauvais livre sur l’Islam et le monde arabo-musulman.

Par ARM

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© www.lemohelien.com – Dimanche 26 juillet 2015.


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