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Le faux débat sur la présidence tournante à Mayotte

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Le faux débat sur la présidence tournante à Mayotte

Aux vrais problèmes, de vraies solutions et non de fuites en avant

Par ARM

   Parfois, pour comprendre ce qui se passe aux Comores, il faut se libérer du temps et même de l’espace. Il faut aller ailleurs. Et, à tous points de vue, le Sénégalais Birago Diop (1906-1989), une des meilleures plumes de l’Afrique moderne, peut enseigner beaucoup de choses aux Comoriens. D’ailleurs, on a la nette impression qu’il a anticipé les comportements d’un certain nombre d’acteurs politiques comoriens, quand il a écrit en 1961: «Esclave de la tête, la bouche commande au reste du monde, parle et crie en son nom, souvent à tort, parfois avec raison, sans demander leur avis ni au ventre, qui mangerait encore alors qu’elle se déclare rassasiée, ni aux jambes, qui voudraient ne plus marcher quand elle se dit capable d’aller plus loin. La bouche prit tout le pouvoir du corps le jour où elle se sut indispensable. Elle sauve l’homme quelquefois et plus souvent le mène à sa perte, car il lui est difficile de se contenter de: “Je ne sais pas”. Trop parler est toujours mauvais; ne point se faire entendre est souvent source de désagréments, de même que ne pas comprendre ce que dit une autre bouche»: Birago Diop: Les Contes d’Amadou Koumba, Présence Africaine, Paris, 1961, p. 131. Naturellement, ces mots font penser à l’«apatrîle» français Ahmed Sambi, mais, aux Comores, il n’est pas le seul à faire un usage immodéré, exagéré et diarrhéique de sa bouche. En effet, quand on suit les récentes déclarations politiques faites aux Comores, il est impossible de ne pas tomber sur celle du Mahorais Zirari Madi, Président de l’Association Suluhu («Réconciliation», en comorien) qui, dans un message adressé aux partis politiques comoriens, pontifie en ces termes: «Au nom des associations mahoraises que je représente et au nom de tous les patriotes comoriens, j’ai l’honneur de vous rappeler que le moment est venu pour l’île comorienne de Mayotte de proposer au peuple comorien son candidat à l’élection présidentielle». Voilà qui est vraiment sympa, mais relevant de la pure provocation démagogique et utopique.

   Avec beaucoup de culot, le même Zirari Madi continue à ergoter: «Je suis venu saisir la Cour constitutionnelle, mais après avoir constaté que cette institution ne s’était pas encore prononcée sur l’île devant organiser la primaire de 2016, j’ai pris la décision de saisir le Président de la République et demander sa position sur le sujet». Monsieur, on connaît «l’île devant organiser la primaire de 2016»: la Grande-Comore, et on n’a pas besoin de poser la question à la Cour constitutionnelle, puisque la chose se sait déjà. De toute manière, le Mahorais Zirari Madi, qui ne s’est même pas donné la peine de lire la Constitution comorienne, continue sa provocation: «Le tour de Mohéli s’achève. Mayotte, selon l’article 13 de la Constitution, doit impérativement prendre la relève». Cet homme qui appartient à la catégorie des perturbateurs qui ne veulent pas d’une élection présidentielle en 2016 dans la sérénité martèle que «le gouvernement s’achemine en ce moment vers un second tour de l’île de Ngazidja», et estime, selon une lecture complètement biaisée, incomplète et surréaliste qu’il fait de la Constitution, que si la Grande-Comore organise pour la deuxième fois l’élection primaire, cela serait «contraire à la Loi». Avec la même duplicité, Zirari Madi continue sa littérature en ces termes: «Nous nous en tenons à la loi. Nous demandons le tour de Mayotte ou qu’on nous fasse clairement savoir que ce n’est pas notre droit».

   En choisissant d’invoquer une Constitution qu’il s’est abstenu de lire, Zirari Madi s’est comporté en bon Comorien et en «Comoricain». On comprend la volonté de tous ceux qui sont prêts à tout pour semer les troubles aux Comores et empêcher la tenue de l’élection présidentielle de 2016: le prétendu «Comité Maoré», les crypto-sambistes et les radicaux mahorais. Pourtant, ils sont montés sur une échelle en ratant plusieurs marches, dont celle de l’article 39 de la Constitution, qui dispose: «Les institutions de Maoré (Mayotte) seront mises en place dans un délai n’excédant pas six mois à compter du jour où prendra fin la situation qui empêche cette île de rejoindre effectivement l’Union des Comores. La présente Constitution sera révisée afin de tirer les conséquences institutionnelles du retour de Maoré (Mayotte) au sein de l’Union». La question qui se pose donc est celle de savoir pourquoi les perturbateurs haineux font tout pour ne pas lire l’article 39 de la Constitution, un article pourtant dépourvu de toute ambiguïté sur les plans sémantique et juridique. Comment dans un pays entier, des gens qui se prennent pour les meilleurs donneurs de leçons font tout pour ignorer la teneur réelle des textes juridiques, sans lesquels il est impossible de vivre en harmonie dans une société organisée?

   Les questions juridiques soulevées par l’éventualité d’une présidence mahoraise des Comores relèvent à la fois du Droit constitutionnel et du Droit international car on est en présence d’un problème électoral et d’un problème territorial. La présidence sui generis des Comores débouche artificiellement donc sur l’affaire de Mayotte, qui oppose les Comores, d’une part, et Mayotte et la France, d’autre part. Cela fait des décennies que les Comores sont confrontées à cette équation qui se heurte au refus de la majorité des Mahorais et des Mahoraises de voir leur île faire partie de l’État comorien. Or, aujourd’hui, des provocateurs mahorais estiment que leur île, sous administration française, doit désigner un des siens pour diriger le pays dont ils ne veulent pas entendre parler: les Comores. Ce qui est une manière de couper les cheveux en quatre sans rien proposer de sérieux aux Comoriens.

   Une fois de plus, il faudra reconnaître que, pour se conformer à leur Constitution, les Comores doivent s’assumer et cela, en refusant l’élection primaire à Mayotte, puisqu’il se pose les problèmes de la nationalité comorienne, que n’ont pas les Mahorais dans leur immense majorité, qui, par contre, n’ont que leur nationalité française. S’en ajoute le problème d’inscription sur les listes électorales. Et, surtout, il y a le problème de la libre circulation à Mayotte lors de la campagne électorale. En effet, on sait que partout où il y a des élections, les gens circulent librement pour les besoins de la campagne électorale. Or, en cas d’élection sur les quatre îles de l’Archipel des Comores, les Grands-Comoriens, Mohéliens et Anjouanais qui n’ont pas la nationalité française souhaiteraient se rendre à Mayotte pour les besoins de la campagne électorale. De ce fait, ils devront demander aux autorités consulaires françaises un aléatoire visa d’entrer à Mayotte. «Aléatoire», parce que ce visa ne sera pas accordé systématiquement aux demandeurs. En plus, pour aller soutenir son candidat sur «son propre territoire», on ne sollicite jamais de visa. Cela ne s’est jamais fait, sauf si on se rend sur un territoire étranger. Pourtant, ceux des Mahorais qui sèment les troubles en invoquant la tenue de l’élection présidentielle devant porter un Mahorais à la tête des Comores sont les plus hostiles envers les Comores et ne disent rien sur les conditions de nationalité, de libre circulation des Comoriens à Mayotte et d’inscription sur les listes électorales. Cela étant, si les Mahorais acceptent les trois conditions (redevenir Comoriens, autoriser la libre circulation de tous les Comoriens à Mayotte et l’inscription des Mahorais sur les listes électorales), l’organisation des élections à Mayotte ne posera pas de «problèmes particuliers», si l’on fait abstraction de l’autorité qui doit organiser un scrutin présidentiel comorien sur une île placée sous administration française. Si les Mahorais eux-mêmes ne veulent pas réunir les conditions pour la tenue du scrutin, cela sera de leur seule responsabilité. Mais, on ne pourra en parler sérieusement que quand «prendra fin la situation qui empêche cette île de rejoindre effectivement l’Union des Comores». Que ceux qui invoquent hypocritement la Constitution sachent qu’on ne lit pas les parties qu’on veut d’un texte juridique, mais qu’on doit se livrer à une lecture totale et entière de la Loi. Et, dans l’état actuel des choses, cette Loi ne permet pas l’organisation de l’élection présidentielle comorienne à Mayotte.

   En même temps, on constate que ceux qui soutiennent la présidence mahoraise et qui se drapent dans un nationalisme qui se veut sincère ne sont pas toujours vertueux, et bénissent le Ciel de leur avoir donné une nouvelle «cause» à défendre. Une fois de plus, et sans peur de faire des répétitions, il faudra rappeler que dans les pays institutionnellement développés, les problèmes constitutionnels sont laissés à l’appréciation des constitutionnalistes. Cependant, aux Comores, tout le monde est en même temps pilote, cosmonaute, juriste, économiste, mécanicien, médecin, proviseur des proviseurs, Docteur des Docteurs, écrivain des écrivains, diplomate, polytechnicien et même chef d’État. Mais, ceux qui sont en mesure de travailler sérieusement pour le bien commun du pays se comptent sur les doigts d’une main, et encore.

   En tout état de cause, l’analyste politique Saïd-Omar Allaoui s’emporte chaque fois que le sujet de la présidence tournante à Mayotte est évoqué devant lui: «Je n’ai jamais compris l’intérêt d’un débat sur une élection qui est impossible à organiser. Il ne faut pas perdre son temps et son énergie pour parler d’un sujet sans importance. Ça n’a pas de sens. Il faut carrément oublier ce projet chimérique d’organisation d’une élection impossible à envisager et à tenter d’organiser à Mayotte. Personnellement, je ne m’intéresse pas à ce genre de feu de paille. C’est un “trucˮ sans importance, qui sert juste à animer des discussions de salon et de places publiques».

Par ARM

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© www.lemohelien.com – Samedi 7 novembre 2015.


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