La dette africaine: le fardeau du siècle

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La dette africaine: le fardeau du siècle

La spirale du rééchelonnement des rééchelonnements

Par Omar Ibn Abdillah

     «De même, les Français cultivés et informés savaient ce que faisaient leurs troupes au Viêtnam et en Algérie. De même, les Russes cultivés et informés savaient ce que faisaient leurs troupes en Afghanistan, les Sud-Africains et les Américains cultivés et informés savaient ce que leurs ‘‘auxiliaires’’ faisaient au Mozambique et en Amérique centrale. De même aujourd’hui, les Européens cultivés et informés savent comment les enfants meurent lorsque le fouet de la dette siffle au-dessus des pays pauvres»: Sven Lindqvist.

     La dette africaine est une dette qui écrase l’économie du continent et aspire les revenus des matières premières au point qu’au jour le jour bien de pays ne remboursent plus la dette originale, mais les intérêts d’une autre dette elle-même contractée pour rembourser la dette originale. Beaucoup de clans se présentent; certains demandent l’annulation simple des dettes, d’autres l’allègement, mais une autre partie émerge, demandant tout simplement de revoir les conditions même de la dette et d’observer où nous en sommes avec ces créanciers.

Les origines stockholmiques de la dette

     Après la Seconde Guerre mondiale, l’Europe s’est retrouvée anéantie. Les États-Unis ont mis en place le Plan Marshall pour la reconstruction de l’Europe. Ils ont investi lourdement dans l’économie européenne pour l’accompagner dans son redressement. Ainsi, les pays européens sont-ils redevenus très vite des partenaires commerciaux privilégiés. Dans ces temps, les billets de dollars se sont mis à circuler à travers le monde. Les autorités monétaires américaines ont encouragé alors les investissements des entreprises américaines à l’étranger, afin d’éviter le retour des dollars en excès et une flambée de l’inflation. Elles les ont prêtés alors à des conditions avantageuses aux pays du Sud, qui cherchaient à financer leur développement, notamment les États africains nouvellement indépendants à la recherche de fonds pour imprimer les bases d’une économie presque inexistante et qui n’ont d’autres choix que de se tourner vers ces anciens colonisateurs.

     La mise en place en 1944 des institutions de Bretton Woods, Le FMI et la Banque mondiale, selon la charte établie par les participants à cette conférence de New Hampshire, sont ainsi présentées: «Ces institutions œuvrent ensemble à la réduction de la charge de la dette extérieure des pays pauvres les plus lourdement endettés, dans le cadre de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) et de l’Initiative d’allègement de la dette multilatérale (IADM). Le but visé est d’aider les pays à faible revenu à atteindre leurs objectifs de développement sans retomber dans une situation de surendettement. Les services du FMI et de la Banque mondiale préparent ensemble les analyses de viabilité de la dette, guidés par le Cadre de viabilité de la dette (CVD) élaboré par les deux institutions».

     Toutefois, ce sont ces organismes qui sont à l’origine de la presque totalité de la dette africaine, mise à part la partie privée provenant des prêts octroyés par banques privées européens et aussi bilatérale de pays à pays. Ces dettes pèsent sur l’économie africaine. Si l’on ne se réfère qu’à la dette publique rapportée au PIB (agrégat économique qui mesure la richesse nationale d’un pays), l’Érythrée, le Cap-Vert et la Gambie sont les pays les plus endettés d’Afrique subsaharienne avec respectivement 126%, 122% et 97% de dette publique. Outre les 3 pays précités, les taux d’endettement de São Tomé-et-Príncipe (92%), du Congo (79%), du Ghana (74%), du Malawi (73%), de l’Angola (70) et des Seychelles (65%), et beaucoup d’autres pays voient l’espoir d’un développement partir à l’horizon avec leurs lois de finances qui priorisent en premier le paiement de ces dettes par peur de l’austérité des institutions financières mondiales.

Une dette africaine illégitime, illégale, odieuse et insoutenable

     On est effaré quand on demande aux pays africains de rembourser leurs emprunts, dettes qui sont obtenues par recours à la corruption, à la menace et à l’abus d’influences, dette qui a été contractée en violation des principes démocratiques dans une période où les États africains fraîchement sortant d’une colonisation étaient plus que vulnérables avec une instabilité politique, dette dont les conséquences virent à dénier les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels de la population, dette dont les pays africains ne peuvent honorer sans attenter gravement à l’aptitude, à la capacité de l’Afrique à assurer ses obligations en matière de droits humains fondamentaux, comme ceux relevant du domaine de l’Éducation, de l’eau, des soins de santé, de la fourniture de logements décents, à investir dans les infrastructures publiques et les programmes nécessaires au développement économique et social.

     On peut bien se demander que si l’Afrique a reçu autant d’aides et de prêts pour son développement, pourquoi sommes-nous toujours si pauvres. Certains amèneront la faute aux dirigeants africains qui se remplissent les poches par la corruption, mais les vrais responsables sont les créanciers occidentaux qui, en connaissance de cause, sans étudier la solvabilité des pays africains, nous contraignent jusqu’à maintenant à emprunter pour le prétendu bien de l’Afrique. En réalité, les créanciers de la dette africaine fonctionnent comme des banques impérialistes: ils réalisent une maximisation de leurs propres intérêts et ceux de leurs partenaires commerciaux.

     Plusieurs pays dans le monde ont fait l’expérience de ce néocolonialisme financier, certains restent sous l’égide de cette suprématie occidentale, d’autres ont dit non à la dette. Dans certains cas, il peut y avoir annulation de dette dite odieuse, notamment lorsqu’un pays l’a héritée d’un régime dictatorial, par exemple, l’annulation de la dette tunisienne laissée par Zine El Abidine Ben Ali à l’égard de la France. La situation de l’Irlande en 2013 ne peut que donner raison à ces propos. La Banque centrale européenne (BCE) qui, avec une pression du gouvernement irlandais s’est vu obligé d’accepter de restructurer la dette pour éviter au pays de payer chaque année un coûteux service de la dette lié à de l’argent emprunté en 2008 par Dublin pour sauver Anglo Irish Bank et Irish Nationwide de la faillite, est un cas d’école.

     Comment venir à bout de la dette? En l’annulant, en refusant tout simplement de payer ses créanciers. C’est ce qu’a préconisé de faire – ou du moins de ne pas faire – le président de l’Équateur, Rafael Correa en 2008. Le président équatorien a décrété que son pays n’honorerait pas une partie de sa dette (39% appartenant à des investisseurs étrangers), qu’il trouvait «illégitime, malhonnête et illégale». Pour lui, ces mêmes institutions financières détentrices des obligations des États sont en partie responsables du creusement de la dette équatorienne dans la mesure où elles spéculent sur son dos.

     Le cas le plus important est celui de l’Islande, où les Islandais refusent de payer pour les banques privées qui ont fait couler l’économie de leur pays. En 2008, le pays s’est retrouvé face au plus grand effondrement bancaire de son histoire. Son PIB a chuté de 6,6% en 2009, et le chômage a décollé. Le refus de paiement de la dette étrangère en majeure partie envers le Royaume-Uni et les Pays-Bas a pu injecter et concentrer leur budget dans l’économie nationale. L’Islande a laissé son système bancaire exploser, et a emprisonné les manipulateurs du marché. Le pays n’a pas introduit des mesures d’austérité alors que d’autres pays ont été forcés de le faire par les plans d’ajustements structurels du FMI et la Banque mondiale. Sept ans après, l’Islande est un des meilleurs pays pour le business. Son PIB est en augmentation, ses réserves de changes sont remplies, et le pays a même enregistré un excédent budgétaire. L’inflation est à son niveau le plus bas depuis la période de récession.

L’échec des programmes d’ajustements structurels (PAS) du FMI et la Banque mondiale

     Conçus au départ pour répondre aux difficultés de solvabilité des pays endettés faisant face à une crise économico-financière consécutive à la dégradation de l’environnement international (double choc pétrolier, inflation, fluctuations des prix des matières premières), les programmes d’ajustement structurel (PAS) sous la houlette des institutions de Bretton Woods (IBW) – FMI, Banque Mondiale – sont, par la suite, étendus à l’ensemble des pays pauvres bénéficiant de l’aide financière internationale. Il s’agissait pour ces pays, selon les objectifs déclarés, de renouer avec la croissance économique, de rétablir les dynamiques de développement mis à mal par les politiques interventionnistes de l’État, de les insérer davantage dans l’économie mondiale, les ouvrir à la concurrence internationale. Par le biais de ces programmes d’inspiration néolibérale, il fallait rendre ces pays plus compétitifs sur la base de leurs avantages comparatifs.

     Ces programmes sont appliqués en deux volets complémentaires (phase de stabilité, phase d’ajustement structurel proprement dite) et se déclinent en une série de mesures (dévaluation, libéralisation des prix, ouverture des frontières, privatisation, etc.) visant le retour à l’équilibre budgétaire, de la balance commerciale et de la balance des paiements. Ces institutions ont pour mandat le financement de projets favorisant l’essor économique des pays en voie de développement en accordant des emprunts. Ces prêts sont généralement octroyés en tranches et sont conditionnels à l’établissement de PAS.

     On peut voir actuellement le cas de Madagascar, où le ministre des Finances et du Budget, Gervais Rakotoarimanana avait jubilé après que le conseil d’administration du FMI ait approuvé le mercredi 27 juillet 2016 une facilité de crédit d’une valeur de 220 millions de droits de tirage spéciaux (304,7 millions de dollars) en faveur de Madagascar. Le FMI explique que cet accord, d’une durée de 40 mois, accompagne un programme de réformes visant à accroître la stabilité macroéconomique de Madagascar, à travers notamment une meilleure mobilisation des recettes, le renforcement de la gouvernance et la baisse des «dépenses moins prioritaires», telles que les transferts aux entreprises publiques et d’autres reformes indiquer à la lettre. Lors d’une conférence donnée récemment le 28 juin 2016 par la délégation de l’Union européenne, dirigé par la Haute Représentante de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini, sur la première Stratégie globale pour la politique étrangère et de sécurité de l’Union européenne, le conseiller de l’ancien Premier ministre malgache, Kolo Roger, a souligné le fait que les stratégies de politiques économiques menées par l’union européenne à Madagascar jusqu’à maintenant sont un échec total, étant donné la pauvreté qui gangrène la Grande Île.

     Le constat est clair. Les PAS mis en application par les différents gouvernements qui se sont succédé depuis plus de deux décennies à la tête des pays africains n’ont pas réussi à rendre compétitives leurs économies dans leurs différentes composantes. Ils n’ont pas réussi à dynamiser les secteurs privés, à relever et maintenir une croissance durable, à multiplier les exportations, à contrer la baisse des revenus, le déficit des balances commerciales et assurer la sécurité alimentaire. Charles Cadet (1996), dans une étude pour l’UNICEF, souligne que sur le plan économique, l’application aveugle du credo libéral s’est révélée désastreuse pour le pays alors qu’à l’évidence les conditions de production n’autorisaient nullement une ouverture intégrale de l’économie. Des erreurs d’appréciation grossières ont été commises par le FMI et la Banque mondiale, ces deux institutions autoproclamées références en matière d’expertise. Le bilan humain et environnemental est gravement négatif. La plupart des PED soumis à un traitement prolongé d’ajustement structurel se trouvent dans un rapport de dépendance et de subordination renforcé à l’égard des principaux pays les plus industrialisés.

Un nouveau cap pour l’Afrique

     «Tout ceci se conclut sur la nécessité impérieuse de chercher une alternative aux politiques recommandées par les institutions financières internationales. Les certitudes théoriques néolibérales affichées aujourd’hui ne valent guère plus que celles des libéraux ou des conservateurs au pouvoir dans les années 20 à la veille du krach financier. La mondialisation ne peut pas être un rouleau compresseur qui écrase tout sur son passage. Pourquoi dès lors exclure que le mécontentement social s’exprime à nouveau autour de projets émancipateurs? Il n’est pas dit que les mécontentements doivent prendre la voie du repli identitaire, “ethnique” ou religieux. Il n’y a ni fatalité économique ni situation politique qui ne peut être modifiée sous l’action des forces sociales. Une nouvelle forme de décolonisation s’impose pour sortir de l’impasse actuelle, dans laquelle les IFI et leurs principaux actionnaires ont enfermé le monde en général, et les nations de la Périphérie en particulier»: Éric Toussaint, porte-parole du réseau international du Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers-Monde.

     La prise de conscience des chercheurs et dirigeants africains est impérative pour qu’on puisse améliorer la mise en place de politique propre aux différents pays africains. Il est indispensable que l’ensemble des acteurs des pays africains se mobilisent pour débattre du futur du pays en termes d’orientations économiques, sociales et politiques. Il ne saurait être question de recette miracle pour faire sortir le continent du cercle vicieux dans lequel il se trouve. Nous sommes loin d’avoir une réponse unique et tout faite. Toutes les pistes méritent d’être explorées, discutées avant d’aboutir au choix final qui doit se faire de manière concertée avec le peuple. Ce qui devrait faciliter leur implémentation. Au-delà des nombreuses critiques formulées à l’encontre du modèle de développement d’inspiration néolibérale en place depuis plus de vingt ans, il faut admettre qu’il n’existe peu ou prou de politiques alternatives cohérentes aux réformes libérales soutenues par les institutions internationales.

     L’Afrique doit être en faveur d’un continent fort, effectif et efficace. Un continent fort, pas tellement de sa puissance de feu, mais surtout de sa légitimité et de sa capacité à forger, à établir et à renouveler un consensus démocratique autour de l’intérêt national. Un continent fort peut orienter, réguler, coordonner et garantir une authentique liberté économique… Un continent fort économiquement, administrativement, institutionnellement, politiquement. Un continent qui a les moyens de sa politique, qui peut assurer l’application de ses décisions, gérer honnêtement et efficacement l’aide internationale, s’opposer aux monopoles financiers, commerciaux, industriels, à la corruption et tous autres facteurs de blocage… Un continent au service du peuple.

Par Omar Ibn Abdillah

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© www.lemohelien.com – Jeudi 13 octobre 2016.


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