Les secrets d’une tragédie. Ahmed Sambi-Anjouan: La sale guerre
Chronologie et aspects factuels de la crise à Anjouan
Il est un devoir pour tout un chacun d’entre nous de donner l’éclairage nécessaire à l’opinion publique afin de l’aider à mieux cerner les prémices du contentieux électoral du 10 juin 2007 à Anjouan, source d’opposition à l’origine du recours à la force par Ahmed Sambi contre l’Ile Autonome d’Anjouan. Je vous invite à nouveau à une visite guidée sur les dessous et les non-dits de la crise anjouanaise dont ma préoccupation majeure est de rétablir la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. En effet, nous sommes face à la double énigme de faire valider le scrutin présidentiel du 10 juin 2007 à Anjouan et la démarche défendue par l’exécutif de l’Union des Comores de refaire uniquement l’élection à Anjouan, ce qui, électoralement parlant, n’est pas du ressort du gouvernement central. À ce défi, j’ai vu, en ma qualité de ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation, s’opposer deux courants de pensée politico-juridique ceci en tenant compte que durant la période de transition, Ahmed Sambi, alors Président de l’Union, à travers les Accords de Dar-Nadjah avait explicitement intimé l’ordre à la communauté internationale d’insérer une disposition dans ledit Accord obligeant le Président Mohamed Bacar à céder son fauteuil et en m’interdisant personnellement de ne plus occuper un portefeuille ministériel, et ce n’importe lequel, à l’opposé des dispositions de la Loi fondamentale de l’Ile Autonome d’Anjouan. Ce qui bafouait de manière flagrante toute forme de démocratie.
En fait, que me reproche Ahmed Sambi? Tout simplement de ne pas adhérer à sa vision des choses. C’est là une façon pour lui d’étouffer la contradiction et toute opposition. Qu’a fait la communauté internationale face à un tel comportement antidémocratique? Et que fait-on de l’autonomie des îles et de la présidence tournante, constitutionnellement consacrées? Il faut rappeler que c’est cette même communauté internationale, en harmonie avec les parties comoriennes en conflit, qui a initié, financé et organisé la mise en place des Nouvelles Institutions comoriennes (NIC), parmi lesquelles on trouve en premier lieu l’autonomie des îles, la présidence tournante et l’unité et la solidarité des Comores. Tout cela a donné lieu à la tenue des deux réunions ad hoc, sous les auspices de l’Afrique du Sud, pays coordonnateur du processus de réconciliation nationale aux Comores, au pays de la nation arc-en-ciel.
D’entrée de jeu, une première réunion d’échanges de bons procédés a eu lieu à Anjouan à la Présidence de l’île, convoquée en urgence par l’Afrique du Sud, en présence des États membres du Comité des pays de la région de l’Union africaine sur les efforts aux Comores. Ce mini-sommet avait regroupé presque une dizaine de pays riverains de l’océan Indien venus s’enquérir des derniers développements liés à l’élection à Anjouan du 10 juin 2007. À l’issue de ces travaux préliminaires qui avaient tenu en haleine tous les participants, l’espace d’un après-midi du 24 juin 2007, est ressortie l’idée de faire tenir des assises sur la problématique électorale à Anjouan en terre sud-africaine, une fois les contours posés afin d’asseoir les bases d’une discussion franche et sereine entre parties comoriennes.
D’abord, du 7 au 9 juillet 2007 à Pretoria, s’est tenue une réunion d’information de l’Union africaine, placée sous la Présidence du pays hôte et regroupant les différents protagonistes c’est-à-dire une délégation de l’Union des Comores, une délégation de l’île autonome d’Anjouan et le Comité des pays de la région, en présence du Conseil Paix et Sécurité de l’Union africaine. Ces premiers échanges faisant suite à l’élection contestée du 10 juin 2007 ont permis d’instaurer un dialogue certes indirect, mais constructif entre les intervenants impliqués dans la médiation même si les résultats escomptés n’ont pas été au rendez-vous. Et enfin, du 27 au 28 septembre de la même année, encore une fois en Afrique du Sud mais cette fois dans une ville symbolique de l’ex-régime de l’apartheid à quelques encablures de l’îlot de Robben Island, où se situe la célèbre prison qui a abrité en son temps Nelson Mandela. J’ai cité la ville du Cap, où a eu lieu une réunion de l’Union africaine, la troisième du genre pour semble-t-il ,sceller définitivement le sort des pourparlers inter-comoriens sous la menace à peine voilée de l’Union africaine en direction de la délégation anjouanaise. Cette démarche partiale de l’Union africaine avait son explication sur la fin du terme du mandat d’Alpha Oumar Konaré, alors Président de la Commission de l’Union africaine, et de ses collaborateurs, lesquels s’apprêtaient à quelques mois près à passer le témoin à la nouvelle équipe du Gabonais Jean Ping.
En effet, l’ancien Président malien, alors Président de la Commission de l’Union africaine et ses collaborateurs avaient juré avant de rendre leur tablier d’en découdre avec Anjouan. Dans cette optique, l’envoyé spécial du Président de la Commission de l’Union africaine, Francisco Madeira s’est exprimé sans équivoque dans la presse locale en ces termes: «[…]. Quelque chose doit être cassé à Anjouan et s’il faut passer par là…». En vérité, Francisco Madeira avait fait du litige électoral à Anjouan une affaire personnelle et s’était promis de régler son compte au Président Mohamed Bacar, allant jusqu’à déclarer publiquement qu’il va faire de sorte que Mohamed Bacar regrette d’être venu au monde. Drôle de façon d’agir pour un diplomate censé privilégier le dialogue en vue de la médiation ou de la conciliation.
Personnellement, j’aurais plutôt cru qu’en matière de diplomatie, le parti pris, les menaces, le comportement belliqueux et le chantage ne doivent pas être de mise en pareille conjoncture. C’est vrai qu’on est en Afrique, mais tout de même. Il faut dire qu’en ma qualité de responsable politique ayant pris une part active au processus de réconciliation nationale et ayant requis la caution de la communauté internationale, je déplore amèrement cette manière calamiteuse de gérer un simple malentendu par la destruction de ce qu’on a bâti dans la douleur. Dans cette affaire, chacune des parties comoriennes a eu l’opportunité de donner son point de vue, d’argumenter sur sa démarche, sur la base des faits avérés quoique séparément. Les débats contradictoires ont été le théâtre de différents acteurs, soucieux de mettre un terme au contentieux issu de l’élection du 10 juin 2007 ou de prolonger le suspens.
Irréversiblement attaché à sa position celle de ne pas reprendre l’élection, Anjouan en invoquant dans son argumentaire les faits d’unilatéralisme et de violation en série des textes en vigueur par Ahmed Sambi, continue de camper dans sa logique et ne veut rien concéder. Il faut reconnaître que la démarche aventurière d’Ahmed Sambi qui consiste à réviser le Code électoral, à faire amender le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle des Comores pour ensuite procéder à la mise d’un bureau de ladite Cour, un bureau forcément acquis à sa cause, a, de mon point de vue, sonné le glas au bon fonctionnement de cette structure ô combien importante et a planté de fait les jalons à une situation explosive en devenir.
On a tendance à ignorer, voire à occulter tous ces errements d’un monarque investi de pouvoirs divins. On retrouve aujourd’hui ce même Ahmed Sambi dans sa quête démesurée à reconquérir le pouvoir par tout moyen. Pendant toute cette période, la Cour constitutionnelle des Comores a subi de graves atteintes qui ont compromis son indépendance d’action. Ce qui constitue en soi un dysfonctionnement patent des nouvelles institutions comoriennes, et Ahmed Sambi est le responsable de ces égarements. Pour rappel, et là les faits sont indiscutables, les instances électorales, nationales et insulaires habilitées, chargées d’organiser et de conduire le scrutin du 10 juin 2007 avaient statué sur la tenue de l’élection à Anjouan. Elles ont par la suite validé l’élection et proclamé les résultats. Anjouan s’en tenait à cela.
L’île d’Anjouan soutient par ailleurs qu’à l’instar des scrutins transparents et démocratiques partout dans le monde, la suspension de plein gré à la participation au scrutin d’un candidat et l’absence volontaire de certaines catégories d’observateurs ne peuvent aucunement dicter ou conditionner le report ou encore moins l’annulation du scrutin. Telle est la lecture linéaire de toute loi électorale classique.
Outre les motifs antérieurement évoqués, Anjouan précise dans la foulée que conformément au Code électoral en vigueur, les élections doivent se tenir en s’appuyant sur les mêmes textes et que toute remise en cause éventuelle de ces mêmes élections devait être étendue aux autres composantes insulaires comoriennes, à savoir Mohéli et Ngazidja. Dans sa plateforme revendicative, Anjouan est allée loin dans sa volonté de recherche d’une solution négociée par le biais d’une conférence intra-comorienne devant s’atteler aux questions liées à la bonne gouvernance, aux dysfonctionnements institutionnels, voire du réexamen de l’élection du 10 juin 2007 et de tous les autres aspects inhérents aux élections.
De tout ce qui précède et comme si cela ne suffisait pas pour accabler et condamner au banc des accusés l’île d’Anjouan, Ahmed Sambi a conçu des plans démentiels pour discréditer et diaboliser l’île étoile au travers d’un tissu de mensonges sur des prétendues exactions, une série de viols qui n’aura obéi qu’à son imaginaire et de toute sorte de privations des droits humains afin de conditionner, d’orienter et de plier l’opinion publique nationale et internationale sur l’hypothèse d’une expédition militaire à Anjouan afin d’y couler le sang. De cette force de propositions de la partie anjouanaise, Ahmed Sambi a répondu par l’indifférence et le mépris.
Par Djaanfar Salim Allaoui
Ancien Vice-Premier ministre des Comores
Ancien ministre de l’Intérieur de l’Ile Autonome d’Anjouan
Secrétaire général et Porte-parole de GNEC Rénové
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