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«Ayons pitié de ce pauvre pays et de son peuple»

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«Ayons pitié de ce pauvre pays et de son peuple»

Interview exclusive de Saïd-Ahmed Saïd-Abdillah

Président du Parti Comores Alternatives (PCA)

      www.lemohelien.com: Que vous inspire la situation politique du Zimbabwe?

      Saïd-Ahmed Saïd-Abdillah: Je vous remercie, vous et votre équipe gérant ce site. Robert Mugabe a été un grand leader de la cause de l’Afrique pour l’indépendance. Il a été l’un des soutiens solides de la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. Mais, il a oublié une notion fondamentale de la vie et de tout homme politique: le temps. Tout homme politique doit savoir que le temps est à la fois pour lui et contre lui. Il faut, donc, savoir s’arrêter à temps.

www.lemohelien.com: Tiens! On dirait que vous vous adressez perfidement et diplomatiquement à votre chef, Azali Assoumani, qui se veut maître des Comores jusqu’à «l’horizon 2030», sous les applaudissements béats et serviles de votre allié Saïd Larifou.

Saïd-Ahmed Saïd-Abdillah: Je n’ai rien dit de tel, et vous êtes responsable de vos propos malveillants et sarcastiques. Vous ne voulez pas évoluer. Pour revenir à Robert Mugabe, et sans entraîner Azali Assoumani dans vos insinuations haineuses, j’insiste sur la notion de mandat dans nos Constitutions et de la mort dans notre vie. Dans la sourate La Royauté, verset 2, Allah dit: «Celui qui a créé la mort et la vie afin de vous éprouver (et de savoir) qui de vous est le meilleur en œuvre, et c’est Lui le Puissant, Celui qui pardonne». Ce verset montre le mandat de notre existence limitée dans le temps. Robert Mugabe a ignoré le temps qui passe et valorisait ses actions et a détruit l’œuvre qu’il avait construite en voulant rester au pouvoir à vie. Les militaires – à défaut des politiciens et du peuple – ont fait leur devoir, que je trouve de manière tardive, mais nécessaire et salutaire pour l’avenir de leur pays.

www.lemohelien.com: Pourriez-vous dire la même chose des Comores d’aujourd’hui?

Saïd-Ahmed Saïd-Abdillah: Je vous vois venir, et je ne vous laisserai pas me piéger avec votre langue de vipère. Quand allez-vous cesser de charrier la haine envers nos dirigeants?

www.lemohelien.com: Je fais comme si je n’avais pas entendu votre question. Passons. Partout, les acteurs politiques aiment le pouvoir, mais pourquoi faut-il que ça soit en Afrique, y compris aux Comores, où les dirigeants tripatouillent la Constitution et les élections pour rester indéfiniment au pouvoir, et toujours pour le malheur de leurs peuples?

      Saïd-Ahmed Saïd-Abdillah: L’amélioration d’une Constitution n’est pas l’apanage de l’Afrique. Il n’est pas mauvais en soi de le faire afin de l’adapter aux besoins et réalités du moment. Nous avons vu qu’en France, la Constitution du 4 octobre 1958 a été modifiée le 6 novembre 1962. Le Général de Gaulle voulait la modifier en 1969, mais les Français ont dit non et il a démissionné. Cela n’a pas empêché d’autres révisions de cette même Constitution, notamment le 26 octobre 1974. Il ne faut pas voir le diable partout et surtout le situer uniquement dans nos pays d’Afrique noire, notamment aux Comores.

La volonté de rester d’une manière permanente au pouvoir est une question de culture, une question liée au peuple, aux hommes politiques et aux dirigeants. Elle n’est pas ancrée chez les Africains seulement. Elle est également présente chez les Orientaux, les Asiatiques, les Américains (Amérique Latine) et chez les Européens. Vous pouvez regarder l’Allemagne d’Angela Merkel. La question n’est donc pas la durée, mais l’action que mènent ces dirigeants politiques au pouvoir. On peut prendre l’exemple de 3 dirigeants qui sont restés longtemps au pouvoir. Fidel Castro, Président de Cuba du 16 février 1959 au 24 février 2008, Lee Kuan Wee, Premier ministre de Singapour du 5 juin 1959 au 28 novembre 1990, soit 31 ans et 5 mois de pouvoir, et Robert Mugabe, Président du Zimbabwe pendant 37 ans, de 1980 à 2017. Le seul qui a transformé son pays en modèle économique est le Singapourien, et les deux autres leaders sont restés dans l’Histoire comme des vautours, malgré leurs débuts glorieux, pleins d’espoirs et enthousiasme.

www.lemohelien.com: Vous suivez avec une attention soutenue les déboires des assises. N’avez-vous pas le sentiment qu’elles partent en charpie, surtout à la suite de leur sévère condamnation par Anjouan, Mohéli et une bonne partie de la classe politique de la Grande-Comore? Des absences très symboliques ont été remarquées au cours de l’investiture du Comité du Pilotage, et cela ne vous inquiète pas?

Saïd-Ahmed Saïd-Abdillah: L’évolution de la situation inquiète tout homme politique digne de ce nom. Mais on ne parlera pas de «déboires». Il y a eu des absences remarquées, que je regrette beaucoup, surtout celle du Gouverneur d’Anjouan, qui n’a été pas été à son honneur, ni celui de l’île qu’il représente. Il y a d’abord le respect à la nation, représentée par le chef de l’État, et au peuple comorien. Il y a eu une mauvaise interprétation de ces assises, et cela brouille leur image. Vous ne cessez pas de confondre les Comoriens qui vivent dans les îles et ces îles. Ce sont tous des Comoriens, et on doit tenir compte de leurs sensibilités. Il y a plusieurs acteurs politiques comoriens qui confondent leurs personnes et leurs responsabilités nationales ou insulaires. Vous ne pouvez mélanger votre position politique, qui désapprouve le pouvoir en place, et les assises et leurs objectifs. Rien n’est mauvais que de jouer avec la saleté. Il faudra qu’on travaille sérieusement ensemble pour notre pays.

www.lemohelien.com: Pourquoi restez-vous dans cette fuite en avant qui vous pousse à ne pas admettre le caractère insulaire des assises?

      Saïd-Ahmed Saïd-Abdillah: Les assises, je ne cesse de vous le répéter n’ont aucune connotation insulaire. D’ailleurs, je propose aux membres du Comité de Pilotage de choisir comme Président un homme ou une femme de Mohéli ou Anjouan. Tenir ces assises est très important pour l’avenir de notre pays. On ne peut pas reculer pour l’égo des uns et des autres.

www.lemohelien.com: N’aurait-il pas fallu un consensus national renforcé avant de tenter d’organiser ces assises, afin d’éviter les haines, cassures et distorsions dans un pays qui a tant souffert d’instabilité institutionnelle et politique?

      Saïd-Ahmed Saïd-Abdillah: Selon l’adage, «on peut forcer les vaches à aller à la rivière mais on ne peut pas les forcer à boire». Ces assises ont été largement médiatisées, et chacun a pu comprendre leurs objectifs. Il y a eu des gens qui ont tout fait, du moment où ce ne sont pas eux qui les soutiennent et l’accompagnent, pour les saboter. Au fond, ils ne visent pas les assises, dont certains ont cru trouver leur cheval de Troie, mais Azali Assoumani. On ne peut pas réduire l’avenir de notre pays à notre haine et mépris envers une personne. Il est d’une grande valeur pour un homme politique de se maîtriser et de se surpasser, en faisant passer d’abord l’intérêt national et de la majorité du peuple.

www.lemohelien.com: Vous rêvez ou quoi? À votre âge, vous êtes déjà gaga? Vous racontez quoi là?

Saïd-Ahmed Saïd-Abdillah: Vous tuez volontairement tout ce qu’il y a de bien en vous. Moi, j’insiste sur le fait que les hommes politiques comoriens doivent savoir que notre pays manque de tout, et même l’État n’y est pas bien bâti. Ayons pitié de ce pauvre pays et de son peuple. Soyons sérieux. C’est dans la confrontation des idées et projets et non la fuite qu’on pourra trouver des solutions pour notre pays.

www.lemohelien.com: Que viennent faire encore les notables et Oulémas de Grande-Comore dans cette affaire déjà très compliquée d’associer, sans associer Anjouan et Mohéli?

      Saïd-Ahmed Saïd-Abdillah: Quand les politiques manquent de tact et de courage, les autres prennent la suite. Ils pensent peut-être qu’ils peuvent constituer un pont entre les politiciens. Nous devons éviter de trop brouiller cette histoire des assises. Ça risque de nous mener en arrière, avant 2002. Nous devons aller vite, en essayant encore de convaincre les hésitants et les sceptiques. C’est le premier devoir du Comité de Pilotage. On ne peut pas laisser certains errer et envoyer de lettres à l’Union africaine. Nous sommes entre Comoriens. Parlons et trouvons un terrain d’entente en mettant fin à nos calculs de politique politicienne.

www.lemohelien.com: Votre allié Saïd Larifou dit dans les hameaux et villages que la présidence tournante est un obstacle à son «émergence», réduite à des discours creux et à de la danse? Le suivez-vous dans cette direction mensongère, raciste et haineuse?

      Saïd-Ahmed Saïd-Abdillah: Je pense que chaque d’entre nous a sa manière de voir la situation de notre pays. Il explique son point de vue en apportant sa contribution et sa vision des choses aux Comoriens. Je le respecte et je l’encourage à continuer. Est-ce que la présidence tournante est un obstacle à l’«émergence» de notre pays? Je pense qu’il n’est pas la seule personne à y penser, sauf qu’il le lie à un objectif précis. Ce qui est noble de sa part.

www.lemohelien.com: Il fut un temps, vous étiez un politicien courageux. Maintenant, vous êtes devenu un petit mendiant politique qui ne reçoit rien du pouvoir honni. Quelle pitié!

      Saïd-Ahmed Saïd-Abdillah: Vous êtes maître de vos propos. Pour continuer, je ne vous rappelle pas que le premier à mobiliser les Comoriens pour supprimer la présidence tournante est le Président Ahmed Abdallah Mohamed Sambi. Faute d’avoir réussi, il s’est octroyé une année de plus au pouvoir, en violant la notion élémentaire de Droit que vous connaissez mieux. Je vous le redis: les bruits que vous entendez aujourd’hui ne sont pas liés aux assises, ni aux projets. Il y a des gens aux Comores qui croient qu’ils peuvent tout faire et tout réclamer, et les autres non. Nous ne pouvons pas accepter cela, jamais.

L’émergence, c’est quoi? C’est le développement économique et social de notre pays jusqu’à arriver à un niveau plus proche des pays développés. Pour cela, nous devons avoir une politique économique nationale en harmonie avec une croissance élevée, plus de 5% comme actuellement. Pour y arriver, nous devons favoriser la production en ayant une gestion saine de nos ressources et surtout en mettant de l’ordre dans nos institutions et dans notre administration. On peut avoir le plein-emploi aux Comores d’aujourd’hui, en mettant tout le monde au travail mais pas avec nos institutions d’aujourd’hui: 4 exécutifs, 4 Parlements, 4 gouvernements et 3 vice-présidents pour juste 856.000 habitants et moins de 20.000 fonctionnaires. Vous pensez réellement qu’on peut faire émerger un pays dans ce désordre?

Nous sommes dans un pays où l’horaire hebdomadaire de travail n’est pas connu: 35 heures, 45 heures comme nous le proposons, ou 15 heures comme nous le voyons? Dans nos villes et villages, nous ne connaissons pas qui est agriculteur, qui est pêcheur, qui est qui et combien il gagne par mois. Comment établir une analyse économique fiable et réelle dans ce désordre? Il nous faut nous asseoir, et les assises sont une chance pour nous afin de nous parler et de trouver une solution réelle pour mettre en place des institutions et un État viable et fiable. Nous avons beaucoup de chantiers devant nous. Arrêtons les palabres et travaillons.

www.lemohelien.com: Si je comprends bien, les Comores étaient un pays presque développé jusqu’à l’instauration de la présidence tournante le 23 décembre 2001?

Saïd-Ahmed Saïd-Abdillah: Je n’ai jamais dit cela. Vous êtes cruel et injuste.

www.lemohelien.com: Le désastre économique, social et institutionnel actuel (n’oublions pas la suppression de la Commission anticorruption et de la Cour constitutionnelle) ne vous inquiète toujours pas, et y continuez-vous à soutenir «l’émergence verbale et dansante»?

Saïd-Ahmed Saïd-Abdillah: Les Comores se portent mieux aujourd’hui qu’hier même si tout n’est pas rose. Pour la Commission anticorruption, elle n’avait aucune utilité, et creusait encore plus le déficit. Le problème de notre pays n’est pas lié aux pléthores des institutions qui n’ont aucun rôle en dehors de la figuration, en augmentant la corruption. Je m’inquiète plus pour vos attitudes à vouloir voir le mal partout et en essayant de l’attiser un peu plus.

www.lemohelien.com: Donc, je suis responsable de l’échec total des Comores?

Saïd-Ahmed Saïd-Abdillah: Où ai-je dit cela? Je pense et j’en suis convaincu que les Comores ont plus besoin de notre unité que de notre division. Personne n’est un Saint, et chacun a un lot de défauts lui collant à la peau. Mais, prenons l’homme d’action comme un bœuf qu’on a égorgé mais dont aucun organe n’a été jeté. Même la bouse sert à fabriquer des engrais. Ayons un esprit d’unité et d’implication dans le travail, et surtout tenons compte de la parole de notre Prophète Mohammed, paix et bénédictions d’Allah sur lui et sa famille: «Soutiens ton frère lorsque il accomplit la justice et l’injustice». Les Compagnons du Prophète lui disaient que la justice était à soutenir, mais que faire de l’injustice? Il a répondu: «Il faut empêcher sa commission». En aucun cas, nous ne pouvons manquer à notre devoir, celui de servir notre pays. Certes, en servant le pays, on aide Azali Assoumani, mais pensons avant tout aux Comores et au peuple comorien. N’ayons pas toujours le regard sur les personnes devant nous, mais sur la tâche qui nous incombe afin d’accomplir notre devoir. Si chaque soldat qui s’engage regarde d’abord qui est son commandant, aucune guerre ne sera gagnée.

Propos recueillis par ARM

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© www.lemohelien.com – Mardi 21 novembre 2017.


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