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Mission de l’Union africaine à Moroni. Que retenir?

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Mission de l’Union africaine à Moroni. Que retenir?

Assoumani Azali dans l’impasse aventurière et absolutiste

Par Soilih Mohamed Soilihi

       Du 12 au 15 septembre 2021, une mission de l’Union africaine (UA), dirigée par le Commissaire Bankolé Adoye, a séjourné à Moroni, conformément à la décision prise par le Conseil en charge des Affaires politiques, de la Paix et de la Sécurité, le 1er juin 2021. Cette décision a été confirmée et notifiée à l’ambassade des Comores, après un entretien avec le Colonel Assoumani Azali, alors en transit à l’aéroport d’Addis-Abeba. Le protocole diplomatique, basé sur la souveraineté des États, voulait que le pays hôte informe la population de la non-objection et en fasse l’invitation officielle. Mais, comme à ses habitudes mensongères, le Colonel n’hésita pas à s’en attribuer l’initiative, en pleine cérémonie d’awwal muharram, le 1er jour de l’an musulman, en pays musulman. Passons!

De ce séjour, il convient de retenir, principalement, les faits et propos suivants.

1.- C’est l’opposition politique et les organisations de la société civile qui n’ont eu de cesse d’alerter l’opinion publique et solliciter la Communauté internationale notamment les Nations Unies, l’Union européenne et l’Union africaine, sachant que les us en matière de situations conflictuelles exigent que ce soit l’organisation régionale directement concernée qui en prenne les devants.

2.- La mission n’a jugé utile de consulter ni l’Assemblée de l’Union des Comores, ni la Cour Suprême, pour les raisons que chacun peut deviner aisément.

3.- Contrairement à ce qui fut annoncé, la mission ne s’est rendue ni à Mohéli, ni à Anjouan. Les semblants et prétendus Gouverneurs des îles «constitutionnellement “autonomes”» furent ainsi réduits au statut de supplétifs qu’on convoque pour un bref entretien. Ne pouvait-on pas y conduire la mission sans devoir afficher un déploiement sécuritaire disproportionné et injustifiable?

4.- Juste après l’entretien à Beït-Salam, le locataire se montra nerveux, menaçant un journaliste d’un média d’État et toute personne qui lui parlerait de prisonniers politiques. Il insiste sur son crédo de «l’inter-comorien» comme seul cadre de règlement de toute crise politico-institutionnelle, nul autre ne pouvant s’avérer judicieux, selon ses vœux. C’est à se demander pourquoi il aurait alors pris le soin de «rencontrer et inviter» un émissaire de si haut niveau. Toujours est-il que, depuis, on n’entend guère le pouvoir et ses thuriféraires pavoiser, cherchant plutôt à convaincre (pour ne pas dire prier) l’opposition de ne pas pratiquer la politique de la chaise vide. Curieuse sollicitation tout de même pour un régime politique qui a tout fait pour qu’il n’y ait aucune expression dissonante, ni dans la rue, ni à l’Assemblée, ni à l’échelle des communes, encore moins dans l’appareil judiciaire, l’ordre des avocats y compris.

Pour sa part, à sa conférence de presse, le Commissaire Bankolé Adoye s’est livré à un véritable exercice d’équilibrisme, jonglant entre la courtoisie diplomatique, l’énonciation des motifs de la mission, et les résultats de ses consultations, à savoir:

a.- Il s’agirait d’un «pays calme» mais nécessitant pourtant le déplacement d’une forte délégation continentale afin de permettre un «dialogue» devenu impossible entre insulaires, subissant le recours permanent et violent des forces de répression. Un calme plus que relatif, d’autant que les organisations politiques et socioéconomiques avaient choisi une trêve, le temps des consultations diplomatiques correspondant aux premières journées des épreuves du baccalauréat, en retard de 3 mois!

b.- Il ne saurait être question de concevoir un État démocratique sans une opposition solide et constructive. C’est une manière de rappeler, sans crier gare, l’impératif du respect des libertés publiques et constitutionnelles d’expression, de réunion et de manifestation, comme seule garantie de toute concorde nationale.

c.- Le pouvoir nie l’existence de prisonniers politiques. De mauvaise foi ou de bonne guerre? Soit! Le Commissaire insista sur la nécessité de procéder au jugement des «détenus», selon les normes judiciaires équitables. Lesquelles? Pourquoi parler devant la presse de ce qui n’existerait point, les prisonniers politiques, jusqu’à évoquer les jeunes Mabedja, tel un clin d’œil à la diaspora? Bref, il ne faisait peut-être que discourir sur le principe universel selon lequel toute personne est innocente jusqu’à preuve du contraire, et ne saurait donc être emprisonnée sans procès équitable. À moins que la justice locale ne se déshonore, ce que nul n’ignore. À l’évidence, la mission de l’UA ne pouvait donc point méconnaître le Rapport accablant de l’Envoyé spécial du Secrétaire général de l’ONU à Moroni sur ce sujet précis, ni celui du Conseil africain des Droits de l’Homme et des Peuples, encore moins les multiples condamnations du gouvernement comorien par le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, à Genève, à cause des violations constantes des droits de l’Homme.

d.- Nul besoin de conditions préalables au dialogue, souligna-t-il, tout en proposant plutôt d’incontournables «mesures de confiance». Pardi! «Un pouvoir populaire» aurait-il recours à la Communauté internationale pour espérer diluer la méfiance du peuple à son égard? En son temps et pour sa vaine tentative de dialogue, le Commissaire Ramlatane Lamamra ne réclamait que 4 «mesures d’apaisement», qui lui firent subir un traitement indigne à Beït-Salam, le conduisant à refuser toute autre mission aux Comores. C’est une position réitérée par son compatriote et successeur Ismaïl Chergui jusqu’à la fin de son mandat, laissant le Colonel Assoumani Azali s’enfoncer dans l’impasse aventurière et absolutiste de la mascarade référendaire et des élections «mon bon plaisir» qui ne débouchèrent que sur la non-reconnaissance de toute légalité et légitimité par les citoyens. Malheureusement pour la population en souffrances, prise en tenailles par les exigences quotidiennes de la survie, l’action diplomatique se projette sur le temps long. Tant pis aussi pour tout autocrate autiste, dont l’évolution rend inexorablement le pouvoir politique entièrement dépendant du corps militaire, le hissant sur le piédestal illusoire du colosse aux pieds d’argile, avec en prime, dans le contexte actuel, la crise sanitaire mondiale amplifiant les fragilités socioéconomiques.

Last but not least, parmi ses échanges avec le milieu diplomatique, le Commissaire fit une mention particulière pour les deux chancelleries africaines présentes. On pourrait déduire qu’il s’agit d’une valorisation de soi, somme toute naturelle. Mais, cela n’exclut nullement le fait que, d’une part, la diplomatie sud-africaine ne manque jamais de souligner, publiquement, aux Comores comme ailleurs, son attachement aux libertés et aux valeurs démocratiques, devenues les piliers de la Nation Arc-en-Ciel, pour lesquels Nelson Mandela et les siens s’attellent au prix de tant de sacrifices. D’autre part, la Tanzanie voisine, aux liens fraternels, économiques et socioculturels pluriséculaires avec notre archipel, se refuse à violer la convention internationale sur les réfugiés pour plaire au gouvernement du Colonel Assoumani Azali. Par ailleurs, contrairement à ses habitudes vaniteuses pour la moindre apparence de succès, ce dernier se garda de toute communication portant sur la mission-éclair à Moroni de l’ancien Président Jakwaya Mrisho Kikwete, qui s’était rendu dans l’archipel à maintes reprises, depuis la crise séparatiste d’Anjouan.

Au bout du compte, la mission de l’UA aux Comores serait-elle donc d’évaluer et prévenir les risques et conséquences d’une éventuelle reproduction du scenario-catastrophe en cours sur le continent (tripatouillage constitutionnel, situation pré-insurrectionnelle, répression violente, putsch militaire)? Quadrature du cercle vicieux dans la hantise (et une certaine impuissance?) à Addis-Abeba, suite aux événements du Mali, du Tchad et de la Guinée-Conakry, après ceux du Burkina-Faso, notamment avec un environnement sous-régional marqué, à l’instar du Sahel, par l’émergence du terrorisme, notamment dans les localités tanzaniennes et surtout kenyanes et mozambicaines les plus proches de l’archipel.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il est clair que «l’inter-comorien» du Gozibiland se place désormais sous l’œil de l’international, et ce, juste à la veille d’une Assemblée générale de l’ONU qui ne se saurait guère se contenter d’un sempiternel discours-fleuve d’autoglorification, pour scruter l’état effectif des rapports de forces dans une société comorienne en ébullition, qui fonctionne avec ses implosions-explosions, à l’image du Karthala.

Une petite interrogation pour clore ce propos: pourquoi a-t-il fallu que «Mister Allocations étrangères du RSA et de la CMU à la Réunion» s’incruste dans une conférence de presse où il devait solliciter la parole, comme «un invité chez soi», en affichant le visage des jours de mauvais augure et des mauvais jours, comme si une invisible épée de Damoclès planait en l’air? Peut-être qu’il songeait tout simplement au fait que son boss préféra ne placer que son clan familial, à la tête des Finances publiques et des juteuses sociétés d’État, en échange des strapontins pour ceux qui, comme lui, ont hypothéqué l’ordre constitutionnel garantissant la présidence tournante, l’autonomie des îles, ainsi que la stabilité et les alternances démocratiques régulières et pacifiques.

Par Soilih Mohamed Soilihi

Ancien Ambassadeur auprès des Nations Unies et des États-Unis

Président du Mouvement démocratique alternatif pour l’Innovation et l’Écologie

Membre du Front Commun des Forces vives comoriennes.

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© www.lemohelien.com – Lundi 20 septembre 2021.


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