Accusateurs et accusés de tous les pays, unissez-vous sur la culpabilité aux Comores
L’accusation sur Ali Soilihi ne doit nullement occulter la responsabilité d’Ahmed Abdallah
Par ARM
Voici une scène du film Les Évadés (1995). Le fameux acteur Morgan Freeman joue le rôle de Red, un criminel endurci jeté en prison. Dans la cour de la prison, il voit arriver vers lui Andy Dufresne, un comptable au physique de gendre idéal, accusé d’avoir assassiné son épouse. Un dialogue d’anthologie s’engage:
Andy Dufresne: Je suis Andy Dufresne.
Red: Donc, celui qui a tué sa femme? Pourquoi t’as fait ça?
Andy Dufresne: Je ne l’ai pas fait, si tu veux le savoir.
Red: (Rire sceptique): Tu vas te plaire ici. Tout le monde est innocent. Tu sais ça?
Red, s’adressant à un autre prisonnier: Et pourquoi t’es là, toi?
L’autre prisonnier: J’ai rien fait. C’est l’Avocat qui m’a baisé.
Cette banale scène de film résume parfaitement la malédiction des Comores, un pays ayant sombré dans les bas-fonds de la dictature, de la corruption, de l’incompétence et du sous-développement, synonyme de misère noire, dans l’obscurité, la faim et la soif. Cet échec patent n’est pas tombé du ciel, mais est le résultat de l’incurie et de la concussion d’une classe politique peuplée en grande partie d’escrocs irresponsables. Or, tous ces voleurs de poules et de linceuls de morts se disent innocents et vantent leurs «exploits» assurément imaginaires. Le Professeur Mohamed Abdou Soimadou, grand militant de l’État de Droit et de la démocratie, a récemment rappelé la responsabilité d’Ali Soilihi. Un grand débat, dans un pays sans débat public, mais des injures et menaces, est lancé. Sur les dirigeants comoriens, les accusations, les accusateurs et les accusés ne manquent pas. Examinons certaines de ces accusations.
1.- Mohamed Abdou Soimadou accuse Ali Soilihi: Ses accusations sont sur une vidéo postée sur YouTube le lundi 13 octobre 2025: «Cela veut dire que, par moments, nous autres Comoriens, nous nous demandons quel genre de personnes sommes-nous. L’Histoire, certains la mettent debout par la tête. C’est le cas des personnes qui font des célébrations pour Ali Soilihi. Au vu de ce qui s’est passé, cependant, je ferai rappeler pour que les gens soient parfaitement conscients qu’au moment de la proclamation de l’indépendance, Ali Soilihi était Député. Ses collègues – que Dieu les ait en Sa Sainte Miséricorde – Mouzaoir, Mohamed Taki et d’autres, étaient Députés. Ali Mroudjaé et tous les autres aussi.
Or, le 6 juillet [1975], rappelez-vous de cette page d’Histoire, le 6-Juillet, les Députés se sont rencontrés pour réclamer l’indépendance de notre pays. Ali Soilihi n’y était pas. Allez examiner attentivement les images, puisqu’elles existent. On y voit les Députés présents. Ali Soilihi n’y était pas. Dès lors, il était où, alors qu’il était Député? Il s’avéra qu’il était à Paris, ce 6-Juillet. Il faisait quoi en là-bas? C’est le moment qu’il avait choisi pour faire des complots et des magouilles pour briser l’indépendance de notre pays. Il ne faisait pas partie de ceux qui ont proclamé l’indépendance de notre pays, mais était en France.
De fait, son coup d’État [du 3 août 1975] n’a pas renversé un régime politique, n’était pas destiné à destituer celui qui était au pouvoir depuis 3 mois, non depuis 3 semaines; il avait pour but de briser l’indépendance elle-même. Ce coup d’État était dirigé contre l’indépendance elle-même et non contre un régime politique. C’est lui qui a ouvert à Mayotte la voie qu’elle a suivie jusqu’en ce moment. Alors, un homme comme celui-là, quand les gens lui font des célébrations, quand on sait qu’à cette époque, la viande coûtait moins cher, le riz coûtait moins cher. L’indépendance est pour tous, ainsi que l’unité de la nation. Et le kg de viande, et le kg de riz. En réalité, moi, dans mes souvenirs, je ne vois pas quelqu’un qui a plus nui à notre pays qu’Ali Soilihi. Plus de 50 ans plus tard, nous sommes en train de payer les malheurs qu’il a causés à cette époque. Et ces malheurs ne disparaîtront que quand Mayotte sera avec les trois autres îles. C’est alors seulement qu’on pourra dire que ces malheurs ont pris fin. Et, il y a ces gens qui font des célébrations… Les Comoriens avons mis debout notre Histoire par la tête».
2.- Saïd Ali Mohamed, ancien Premier ministre, accuse Ali Soilihi: «Mais, qui a introduit ce monstre [putschisme et mercenariat] dans notre pays? Pour répondre à cette question, il faudra signaler que cette monstruosité est imputable à Ali Soilihi, un intellectuel “progressisteˮ des années 1960-1970. C’est Ali Soilihi qui a placé le pays dans le sillage du mercenariat. En ces années 1960-1970, Ali Soilihi est considéré comme l’un des Comoriens les plus intelligents, les plus brillants, les plus imaginatifs, les plus créatifs et les plus prometteurs. Mais, ce cadre de qui on attendait ce qu’il y avait de meilleur a eu recours aux forces occultes du mercenariat pour des décennies de destruction des chances d’édification d’une nation réconciliée avec elle-même, et un pays dynamique et prospère. Profitant des faiblesses et lacunes structurelles d’une Armée comorienne inexistante et bénéficiant d’un “encadrement sûrˮ, le 3 août 1975, soit moins d’un mois après la proclamation de l’indépendance, Ali Soilihi a renversé le pouvoir légitime des Comores, incarné par le président Ahmed Abdallah Abderemane, l’auteur de la déclaration unilatérale d’indépendance du pays. Il avait bénéficié du soutien de ses maîtres, soutien renforcé par l’entrée en scène aux Comores de Robert “Bobˮ Denard et de sa bande de mercenaires. C’est ainsi qu’Ali Soilihi avait transformé les Comores en bastion de mercenaires. Du fait de ces criminels, les Comoriens ont connu les atrocités, les humiliations, les souffrances physiques et morales, donc les traitements les plus dégradants et les plus inhumains»: Saïd Ali Mohamed: Une oasis dans le désert des Comores. Histoire et refondation citoyenne, Les Éditions L’Harmattan, Paris, 2021, pp. 126-127.
3.- Idriss Mohamed Chanfi accuse Ali Soilihi: «3.- La lutte contre le régime d’Ali Swalihi. L’installation du régime et ses conséquences. À l’issue du coup d’État du 3 août 1975, Ali Swalihi s’installa au pouvoir à Moroni tandis que de son côté, Marcel Henry et ses hommes de main, encadrés par les forces françaises présentes à Maore, chassaient les fonctionnaires comoriens et installaient une administration parallèle, marquant le début de la balkanisation du pays. La France dépêcha ses mercenaires, Bob Denard et ses affreux pour asseoir le pouvoir putschiste. Il était clair pour nous qu’Ali Swalihi venait de commettre un crime inexpiable contre le jeune État, son putsch s’apparentait à un coup de massue asséné à un enfant qui venait de naître et qui allait en porter les stigmates pendant longtemps. Près de 40 ans se sont écoulés et le pays continue à saigner en abondance.
L’Histoire du pays retiendra que c’est le putsch d’Ali Swalihi qui créa une situation qui a permis à la France et à ses laquais du MPM [Mouvement populaire mahorais] d’installer à Maore une administration séparée de celle du pays; que c’est Ali Swalihi qui inaugura la série des putschs dévastateurs; que c’est Ali Swalihi qui ouvrit les portes du pays aux affreux de Bob Denard et on connaît la suite»: Idriss Mohamed Chanfi: Fragments d’expérience. Parcours d’un révolutionnaire comorien, Les Éditions Cœlacanthe, ville de publication non indiquée, 2014, p. 35.
4.- Ali Soilihi accuse Saïd Mohamed Cheikh et Ahmed Abdallah, s’attribuant le beau rôle: «Une autre raison majeure a été Mayotte; Ahmed Abdallah allait publier le 4 août son décret sur la nouvelle Constitution et préparait une “solution” pour les trois îles, laissant Mayotte à l’écart… Nous ne pouvions rester impassibles. Il fallait lever l’obstacle Abdallah à l’intégrité territoriale. Depuis plus de dix ans, l’erreur du clan “vert” a été de vouloir imposer à Mayotte un groupement en y mettant les moyens contre la majorité qui soutient le Mouvement populaire mahorais. Le 6 août, je suis arrivé à Mayotte et j’ai rencontré Marcel Henry, que je connais de longue date, lui et le Conseil de son mouvement semblaient d’accord pour collaborer avec nous. Mais le lendemain, malgré ses promesses, Henry a fait un discours très dur contre nous, qui m’avait fait un coup. On dira que je suis un idéaliste, mais je crois à la parole des amis, et si on ne peut plus croire les gens, inutile de continuer. Je suis donc retourné les voir. Je voulais avoir dans l’exécutif provisoire Christian Novou, ingénieur des Travaux Publics, membre du MPM, mais aussi quelqu’un de l’autre bord. Ils ont délibéré et donné leur accord. Aujourd’hui, pour la première fois, Mayotte est représentée dans un exécutif comorien. À l’égard du Mouvement mahorais, nous procédons à l’inverse du clan “vert”, de Saïd Mohamed Cheikh à Ahmed Abdallah. Ce clan avait considéré une fois pour toutes que Marcel Henry et les autres étaient des gens de mauvaise foi, que la discussion était impossible avec eux. Ce jugement les a amenés à essayer de créer un noyau de leur parti à Mayotte, qu’ils ont essayé de faire vivre par tous les moyens… Nous nous sommes dit: après dix ans d’expérience sur cette voie, puisque le MPM demeure aussi vivace, avec un pourcentage de voix apparemment important, il est peut-être possible de discuter avec eux»: Ali Soilihi, interview accordée à Félix Germain et publiée dans les numéros des 8 et 12 septembre 1975 du journal Libération, cité par: Emmanuel et Pierre Vérin: Archives de la révolution comorienne 1975-1978. Le verbe contre la coutume, Les Éditions L’Harmattan, Collection «Archipel des Comores», Paris, 1999, pp. 13-14.
5.- L’historien Jean Martin, auteur d’une grosse Thèse de Doctorat en Histoire sur les Comores, accuse Ahmed Abdallah Abderemane: «Ce personnage est un être extrêmement limité, un mercanti tout juste apte à gérer une entreprise commerciale et il a fait une faute que ses prédécesseurs Saïd Mohamed Cheikh et Saïd Ibrahim n’auraient jamais faite. Avec un homme politique plus habile, la cause de Mayotte aurait sans doute été perdue, parce qu’il aurait temporisé et négocié une solution avec la République française. D’autres arrangements auraient pu être mis en place, notamment un statut de double nationalité pour les Mahorais, un peu comparable à celui qui a été mis en place dans 4 communes du Sénégal. Les originaires des communes de Dakar, Goré, Saint-Louis et Rufisque bénéficiaient, à condition d’y être établis de longue date, d’un régime de double nationalité dans les décennies qui ont suivi l’indépendance, parce qu’ils étaient déjà Français sous l’Ancien Régime. Les Mahorais auraient pu bénéficier d’un régime semblable, car le gouvernement n’était guère favorable à la sécession de Mayotte, c’est-à-dire à son maintien dans la République. Abdallah, par sa bêtise, il faut bien le dire, a proclamé l’indépendance unilatérale parce qu’il savait que le gouvernement français voulait l’écarter des affaires. En proclamant l’indépendance unilatérale, il a fait la bêtise de sa vie. Il aurait voulu offrir Mayotte à la France qu’il ne s’y serait pas pris autrement… Ce personnage s’est fait appeler le “père de l’indépendance”, mais je crois que dans le long terme, sa mémoire sera honnie – s’il a pour lui une mémoire, ce qui serait lui faire un grand honneur»: Julie Perrot: Entretien avec Jean Martin, historien: «Les élus de Mayotte ont fait preuve d’une infinie ténacité», in Mayotte 1974 – 1975 – 1976, Mayotte Hebdo hors-série n°7, Mamoudzou, mars 2011, p. 26.
Au vu de ce qui précède, chacun pourra situer la responsabilité d’Ahmed Abdallah Abderemane et celle d’Ali Soilihi. C’est une responsabilité entièrement partagée. D’une part, la proclamation de l’indépendance des Comores, le 6 juillet 1975, alors que Mayotte ne faisait déjà plus partie du Territoire des Comores dans les faits, est un crime commis dans une irresponsabilité totale. D’autre part, introduire le mercenariat et le putschisme aux Comores trois semaines après la proclamation de l’indépendance des Comores est un deuxième crime commis dans une irresponsabilité totale. Donc, Ahmed Abdallah Abderemane et Ali Soilihi, c’est Hadj Moussa et Moussa Hadj. Ils sont dans une lugubre égalité complémentaire dans l’irresponsabilité et l’insouciance.
Par ARM
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© www.lemohelien.com – Mercredi 22 octobre 2025.