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Migration et développement, un couple fertile?

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(Le cas de la Mauritanie, Comores, Sénégal et Mali)

Par Ismaël Ali

   Le mois de décembre 1948 se prépara dans les coulisses de la «White House», le discours d’investiture du président américain Harry S. Truman. L’ère du développement y fut affichée. Les pays désormais qualifiés de sous-développement ont finalement le droit d’intégrer le processus d’une organisation sociale qui concerna le monde entier. Aucun programme ponctuant le développement ne fut réellement associé à ce point IV. Ce discours a juste posé les jalons de ce qu’il allait devenir une vision politique mondiale. Ainsi, il ouvra un champ peu connu institutionnellement dans les siècles qui le précédèrent, celui du développement international. Ce dernier prendra des proportions importantes au fil du temps. Les Tiers-États qui firent allusion aux pays sous-développés y trouvèrent le soutien et la légitimité d’être secourus et orientés par les programmes conçus en Occident. Une véritable méga machine politique, économique, culturelle naquit et organisa la vie sociale totale. Depuis les années 1960, cette politique d’assistance oppose dans les faits un Nord à un Sud, un monde riche à un monde pauvre. Un continent qui donne et un continent qui reçoit. Le couple migration-développement prend alors à partir des années 1970 une vitesse de croisière servant à maintenir l’équilibre des activités génératrices de revenu notamment l’agriculture dans les régions africaines.

   «Partir pour aider ceux qui restent au pays ou la dépendance face aux migrations», texte de F. Boyer et H. Mounkaïla, se base sur cette dimension agricole régionale pour analyse les phénomènes migratoires dans cette région de l’Afrique où les paysans avaient déjà fait de la mobilité territoriale une de leur pratique quotidienne pour réguler les déficits alimentaires, démographies et socioéconomiques. Ces pratiques saisonnières séculaires traduisent une réalité climatologique dans cette région sahélienne entre une saison de pluie qui dure «trois mois» et une saison sèche. L’alternance entre les deux saisons impose un rythme de travail complémentaire aux activités agricoles et engendre la migration de main-d’œuvre d’une région à une autre, puis d’un continent à un autre. Ce type de migration endogène-exogène positionne les individus dans un va et vient spatial en refondant l’envie de partir pour mieux revenir. Dans les régions sahéliennes, le sort des paysans est étroitement lié à leur mobilité spatiale. Les pénuries alimentaires fréquentes et la croissance démographique poussent de nombreux hommes à migrer de manière temporaire afin de pallier les déficiences de l’agriculture en place dans les villages, car c’est lui que dépend la capacité de financement de la migration. Ces mobilités circulaires dévoilent ainsi une relation d’interdépendance inédite avec leurs espaces de départ (Boyer, Mounkaila: 2010, 212).

   La migration non seulement répond dans ce cas à un besoin saisonnier, territorial, démographie et économique, mais aussi ajuste une pratique sociale agricole traversant l’espace tout en se fondant sur le principe d’héritage culturel qui se transmet d’une génération aux suivantes. Cette mode d’organisation sociale et économique a fait ses preuves en Afrique et même en Asie, où les ruraux circulaient vers les villes où ils pouvaient travailler ou vendre leurs récoltes. Se déplacer était une nécessité humaine qui a longtemps été pratiquée par tous. Elle se transforme dans les années des indépendances à une migration étudiante beaucoup plus prononcée en réponse aux doléances des pays jadis colonisés pour pallier les insuffisances de l’administration postcoloniale. Ainsi, l’aide au développement octroyée au pays sous-développés est orientée sur la formation de leurs futures élites. Une autoroute migratoire est ouverte entre les pays développés et les pays sous-développés. Elle entraînera une masse humaine considérable qui pense l’ailleurs non seulement comme le lieu où tout est possible, mais aussi comme le lieu où la performance de l’individu, la réussite de son esthétique intellectuelle dans un environnement approprié permet de partager les compétences (économique, intellectuelle) entre «le-ici» et «le-là-bas». Un pays comme le Sénégal est une illustration de ce phénomène de migration qui part de la campagne à la ville et de la ville à l’étranger dans le but d’étudier mais aussi de travailler pour aider leur famille restée au pays.

   Le phénomène de l’exode des étudiants prend des proportions alarmantes dans les pays en voie de développement et en particulier au Sénégal. Ceci est d’autant plus préoccupant qu’il touche des secteurs et des activités de haute technologie à forte valeur ajoutée. Chaque année, des centaines d’étudiants sénégalais, titulaires de bourses subventionnées par l’État, partent étudier à l’étranger. Peu d’entre eux reviennent à la fin de leurs études, mais leurs transferts de capitaux concourent au développement économique de leur pays d’origine (Fall: 2010, 222).

   Le phénomène de la migration étudiante évoqué par Fall dans son texte montre combien l’État sénégalais subit de plein fouet des pertes énormes quant à l’envoi de ses étudiants à l’étranger pour acquérir de connaissances. Mais, l’identité de l’homme n’est-elle pas constitutive de la migration multiforme et pluridimensionnelle? Est-ce qu’elle n’est pas une scène sociale et un univers de sens multi-situé dont villages et villes sont orbites où gravitent et pavanent les actions des migrants en faveur des locaux? Ne peut-on pas lire dans ce non-retour le sens de l’homme appartenant au cosmos comme le rhizome appartient au souterrain, dans un monde pluriel, où l’individu tend à dépasser les réductions territoriales pour épouser le «tout-monde»?

   L’articulation des différents espaces met en mouvement les hommes-femmes et leur espace de naissance-de vie avec l’espace d’accueil. Les zones rurales, jadis pionnières de l’exode rural, élaborent avec soin une identité propre à leur mobilité qui porte la marque parfois des groupes précis et enracinés dans les territoires à partir desquels ils se déploient à travers le monde. Des «réseaux-villages» se créent et s’organisent autour des projets qui articulent le local, le régional, le national et l’international. Des territoires en mouvements créent de lien social, jouent des distances et excèdent le territoire national (Lima: 2010, 258).

   Arrivés ailleurs, les migrants se regroupent en communauté. Ils impliquent leur descendants forces vives qui connaissent généralement le pays alors les démarches nécessaires pour l’aboutissement de leur cause. Ces réseaux-villages dépassent le cadre d’un pays, d’un groupe de personne se trouvant sur un même territoire. Ils mettent en revanche en communication l’ensemble des habitants d’un même village-ville pour qu’ils puissent, en commun accord, apporter leur contribution au village. C’est le cas des «villages multi-situés», qui comprennent les habitants du site originel d’où sont partis des migrants, ceux qui restent au pays ou dans des autres villes d’installation en Afrique, avec ceux qui sont partis en Occident. Ceux-là forment un gigantesque pin d’appartenance et de réseaux militant pour la cause de leur lieux de naissance en y créant des activités de l’ordre à réduire les problèmes quotidiens généralement liés à l’eau, à l’électricité, à la santé (…) portés par leurs structures associatives «multi-situées» et «multi-identitaires». Ces actions ont la bénédiction des réseaux humanitaires du monde, qui les accompagnent aussi dans leur processus et réalisation en leur apportant dans certains cas expertises et financements. Loin des temples politiciens français, qui stratifient les migrants selon leur provenance, le texte de Kotlok met l’accent sur la politique publique de développement à destination de l’Afrique qui, selon elle, concerne «la gestion des flux migratoires et l’appui de projets initiés par les migrant dans leur région d’origine» (Kotlok: 2012, 268).

   Les migrants originaires de la vallée du fleuve Sénégal développent des structures d’organisation en réseau dont le cœur est constitué par leur village de départ. Des associations sont crées en fonction des liens de parenté et de leur situation géographique. D’un point de vue social et économique, le partage d’une communauté d’origine s’avère décisif à la fois dans la vie en migration et dans les sites de départ. Mais, confrontés à l’individualisation des parcours et à leur perte d’influence face à d’autres pouvoirs, ces espaces de solidarité sans frontière sont aujourd’hui menacés (Dia: 2010,234).

   Ces menaces sont souvent réelles à cause de la velléité dont le pouvoir public africain profile dans la société. Ils prennent la population en otage et en font leur bouc émissaire. En démissionnant de leurs responsabilités, les États africains portent leur espoir sur la société civile, laquelle compte sur les migrants pour survivre. Alors qu’en Occident une autre logique, cette fois-ci vernaculaire, apparaît sur les discours politiques comme l’expression résolument dirigée sur la gestion du flux monétaire à destination des pays en voie de développement sous forme d’aide au développement. Les flux financiers affluent considérablement, à telle enseigne que les institutions internationales (FMI et Banque mondiale), nationale (Agence française de Développement, AFD) et régionale (Union européenne) s’intéressent activement aux projets des migrants en faveur de leur pays, en voulant instaurer des programmes pour contrôler les transferts d’argent. Des contrôles aux frontières, voire au corps, sous-tendent ces mesures structurelles et des outils de gouvernance sont mis en place en particulier la décentralisation dont le but, semble-t-il, accompagner l’administration à faire participer la population dans leur développement local. Le cas de la Mauritanie, analysé dans le texte de Diagara, montre la limite des programmes extraterritoriaux qui heurtent le mur des initiatives des territoriaux à cause de la méconnaissance, de l’Histoire et des habitudes. L’échec cuisant des programmes des Nations-Unies et de l’Union européenne en Afrique expliquent les relations parfois tendues et incomprises entre les deux pôles. Les Africains demandent une lecture cohérente de l’objectif affiché par les institutions de Bretton-Woods. La mauvaise gestion des dirigeants africains, jusqu’ici soutenue par les puissances du monde, développe une crise profonde en Afrique. La transposition des modèles conçus ailleurs sur les territoires africains fabrique des tumultes financiers entraînant les États du Sud dans des crises chroniques et la population dans le cafouillage total. C’est le cas de la reforme du foncier en Mauritanie (du 5 juin 1983) qui amène un réel changement, en supprimant la propriété collective de la terre et en individualisant les droits fonciers. Une mutation profonde a été engagée en redistribuant la terre pour la réorganisation des pratiques sociales. «Mais, mal préparée, cette loi donnait l’occasion aux grandes fortunes de s’engouffrer dans la brèche en faisant la promotion de l’agrobusiness sans volonté de créer une réelle dynamique de développement du secteur agricole» (Diagara: 2010, 253).

   Dans pareille situation, la population se pense cobaye au système et refuse le plus souvent de participer au financement du développement local. Par son caractère incompris, aujourd’hui «la contribution du citoyen au financement du développement local est quasi nulle» (Diagara, 2010).

   On peut aussi souligner l’effet bâtard de la décentralisation aux Comores (2011) qui plonge la population dans une confusion totale quant au fonctionnement du dispositif et instaure une guerre de compétence entre les trois administrations: l’administration de l’Union, l’administration insulaire et l’administration régionale, que toutes les trois attendent les transferts d’argent du migrant pour fonctionner. Pareillement pour un pays comme le Mali, dont le développement dépend beaucoup plus des transferts d’argent, se voit contraint dans les années 1990 d’appliquer la décentralisation comme antidote pour guérir ses maux. Ces initiatives nouvelles créent des conflits internes entre les décideurs qui connaissent et manient allégrement la langue de Molière et la population qui s’accroche à ses habitudes héritées de ses ancêtres. Le développement solidaire brandi par les instances internationales devient le slogan qui articule initiatives de migrant et volonté politique. Les migrants s’accaparent du discours officiel en en faisant un instrument de sensibilisation et de propagande. À titre d’exemple, les différentes tentatives amorcées par la Mission de Décentralisation (MDD) en 1994 avaient pour objectif l’implication des associations des ressortissants maliens en France «dans l’application de la décentralisation et dans la mise en œuvre du découpage communal». En 1996 la MDD se rendit à Kayes pour s’imprégner de l’état d’avancement du découpage communal. Le constat est d’une nature amère: face aux changements annoncés, les premières réactions des migrants en France sont teintées d’inquiétude et de méfiance par rapport à la politique de décentralisation et au projet de réorganisation territoriale. Les associations ne vont pas financer la politique communale de l’État, même s’il y a un partenariat entre les associations et les communes. Mais, il est hors de question de financer la commune en tant que telle. (Lima: 2010, 262,263).

   La population locale ne s’est jamais doutée qu’elle serait le bailleur de fonds de la décentralisation, qui est normalement à la charge naturelle de l’État. La politique de l’autruche jetée sur les yeux de la population et les régions a eu comme effet corolaire l’illusion, d’un côté, et l’utopie de l’optimum territorial, des figures spatiales ancrées dans le temps long, celui des anciens «pays» précoloniaux et aux réseaux discontinus, de l’autre côté (Lima: 2010).

   Le développement, bien qu’il paraît sous forme de réponse aux questions que les pays occidentaux profilent pour l’Afrique, il n’en demeure pas moins qu’il est évocateur des écueils dont le sens perfore «les politiques publiques de développement à destination des pays africains qui concernent le contrôle des flux migratoires et l’appui de projets initiés par les migrants dans leur région d’origine. Avec le durcissement de la politique migratoire française, ce double objectif révèle son ambigüité: une franche distorsion entre les discours et la réalité. Derrière les intensions proclamées, loin de toujours favoriser la mobilité et les initiatives des migrants, le développement solidaire sert avant tout les intérêts des pays “donateur”» (Kotlok: 2010, 268).

   Les raisons qui poussent les pays donateurs (les pays du G8, G20) à ériger leur modèle politique, qu’eux-mêmes n’arrivent pas à maîtriser, en modèle planétaire et par voie de conséquence création de marché favorisant le pillage des matérielles premières en Afrique pour réguler les déficits budgétaires en Occident, se lisent par les lunettes d’une vision paternaliste imposée aux pays sous-développés comme gage de leur avenir.

   Des programmes en programmes les pays développés confisquent la diversité de la pensée, de l’organisation sociétale et de la culture, en imposant le modèle occidental en référence universelle. Cet idéal de société mondialisée non seulement pose problème à l’économie, à la mobilité des hommes sur la terre, mais soulève également un cortège des questionnements qui n’ont pas encore trouvé de réponses satisfaisantes (le réchauffement climatique, l’environnement, la gestion du nucléaire, la progression scientifique, la liberté des peuples à décider par eux-mêmes et pour eux-mêmes…). Ce système énergétivore et déshumanisant est le résultat d’une politique mondiale pensée en Occident par les Occidentaux et imposée à l’Afrique. Ce qui explique que les relations sociales entre les continents, entre les humains et les territoires dans le système monde ne sont pas équilibrées. Une symétrie de rapport de forces entre la croissance et les conditions de vie de gens réels se hisse.

   En somme, avec le recul, le discours du Président Harry S. Truman, qui a lancé le bal du développement international, suivi des discours tenus par les autres États développés (la France, Les États-Unis, l’Angleterre, l’Allemagne, etc.), a fait en réalité un vrai chemin. Il a permis la naissance d’un ensemble de programme et des institutions humanitaires, sociales et étatiques. Mais, beaucoup de choses restent à faire. Il faudrait arriver avant toute chose à réduire la distance encore agrandie entre le Sud et le Nord, en banalisant les «conditionnalités» et l’ouverture des frontières pour permettre la libre circulation des biens et des hommes, et mettre aussi en place une politique de libre échange qui tiendra compte de spécificités de chacun et les conditions historiques dans lesquelles ce chacun a été confronté. Ce qu’il faut retenir, dans un cas ou dans un autre, les maîtres du monde feront tout pour sauvegarder leur système et leurs intérêts. Car, à la lecture du décret n°2007 du 31 mai 2007 relatif aux attributions du ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire et de la distribution des fonds financiers engagés pour atteindre les objectif désignés, il est permis de mettre en cause les fondements même de cette politique que les experts en communication de l’action politique habillent d’un discours humaniste de la solidarité avec les pays du Sud et notamment l’Afrique subsaharienne. Le texte se concentrent sur les thématiques, de diaspora qualifiée, de coopérations bilatérales via le «codéveloppement», de «transferts de fonds» et de «trafics d’êtres humains», autant des sujets qui pourraient être traités autrement pour améliorer les droits des migrants et les intérêts de leurs régions voire pays d’origine (Kotlok: 2010, 277).

Par Ismaël Ali

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© www.lemohelien.com – Mercredi 23 septembre 2015.


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