• Home
  • /
  • actualite
  • /
  • Le Président Ali Soilihi, d’hier à aujourd’hui, hélas!

Le Président Ali Soilihi, d’hier à aujourd’hui, hélas!

Partagez sur

Il y a 40 ans, oui, 40 ans, l’avènement d’un patriote visionnaire

Par ARM

  «Leader (mwongozi) mythique, rédempteur, accoucheur d’une société plus juste et plus solidaire, vengeur de toutes les injustices et inégalités […]»: Salim Hadj Himidi: Plaidoyer pour Ali Soilih, Al-Watwany n°161, Moroni, 25-31 mai 1991, p. 9. C’est en ces termes que le Cher et Grand Maître Salim H. Himidi avait présenté Ali Soilihi, s’attirant une accusation d’«envolée lyrique» de la part de l’un de ses amis les plus sincères, qu’il qualifiera par la suite d’«auteur sulfureux». Quand il s’agit d’Ali Soilihi, alors que ce lundi 3 août 2015, les Comores célèbrent le 40ème anniversaire de son avènement dans la spoliation de sa mémoire, on peut se permettre quelques superlatifs laudateurs, et le Grand et Précieux Maître Salim H. Himidi ne s’est pas trompé. Le 3 août 1975, Ali Soilihi est arrivé au pouvoir sans qu’un coup de feu ne soit tiré. Le 13 mai 1978, il est renversé. Hélas! Le 29 mai 1978, un acteur politique originaire de Moroni qui avait tenté de faire assassiner Ali Soilihi et qui avait été emprisonné durant la Révolution, s’emparant par surprise du pistolet d’un militaire comorien, a abattu à bout portant le chef de la Révolution. Cet assassinat maquillé en «tentative d’évasion» ayant tourné au drame avait soulevé beaucoup de questions aux Comores et au sein de la communauté comorienne vivant à l’étranger, en France essentiellement.

  Dans l’euphorie qui avait suivi le renversement d’Ali Soilihi, le 13 mai 1978, les Comoriens, qui se croyaient libérés d’un régime politique, célébraient leur propre renversement et leur propre capture dans les filets de systèmes politiques sans imagination, ni âme. Quand, le 29 mai 1978, on annonça la mort d’Ali Soilihi, qui voulait prétendument s’évader de sa prison, les Comoriens n’étaient plus dans la liesse populaire du 13 mai 1978 et des jours suivants, mais dans une phase d’interrogations et de réflexions, ignorant jusqu’aujourd’hui que ce n’est pas Robert «Bob» Denard qui a été l’auteur de cet assassinat, mais un politicien de Moroni. Les Comoriens ne savaient pas encore qu’un Comorien venait d’ôter la vie à un Président sincère, intelligent, intègre, désintéressé (on ne lui connaît aucune richesse acquise pendant qu’il était au pouvoir), entreprenant, pédagogue, créatif et visionnaire. Tout a commencé ou s’est accéléré le 3 août 1975.

  Le 13 août 1975, donc. Avec une facilité déconcertante, sans mort, ni blessé, avec des carabines de chasse aux pigeons, probablement sans cartouches, Ali Soilihi prenait le pouvoir, en renversant Ahmed Abdallah, auteur d’une proclamation unilatérale d’indépendance, 1 mois et 3 jours auparavant, le 6 juillet 1975, à un moment où l’agitation politique aux Comores était à son comble, à un moment où les Mahorais disaient à qui voulait les entendre qu’ils tenaient à «rester Français pour être libres», eux qui, dès 1956 avaient dit ne pas être concernés par une évolution des Comores vers l’indépendance, eux qui disaient n’avoir connu de l’autonomie interne, sous l’autorité d’autres Comoriens, que de blessures dans leur amour-propre, que d’humiliations, avanies, discriminations et privations, eux qui disaient ne pas vouloir voir leur île faire partie d’un État comorien indépendant, eux dont on a souvent piétiné la susceptibilité, personnalité et sensibilité, eux avec qui on ne veut toujours pas discuter.

  Arrivé au pouvoir dans un contexte politique houleux et, après avoir constaté amèrement l’impossibilité de concilier les positions de franco-mahoraises et celles des Comores sur Mayotte, Ali Soilihi en tira d’importantes conséquences diplomatiques à l’égard de la France, mais on soupçonne son ministre des Affaires étrangères de trahison. Voici ce qu’en dit Alain Deschamps, Ambassadeur de France à Moroni en 1983-1987: «Mouzaoir Abdallah, ancien président de la Chambre des Députés, passait pour le Comorien politicien le plus subtil de tout l’archipel. Il est vrai qu’il avait trahi Saïd Ibrahim puis Ahmed Abdallah et que, ministre des Affaires étrangères d’Ali Soilihi, il avait, aux Nations Unies, défendu si mollement la cause de ce dernier qu’on avait pu le croire, sans doute à tort, stipendié par les services français»: Alain Deschamps: Les Comores d’Ahmed Abdallah. Mercenaires, révolutionnaires et cœlacanthe, Éditions Karthala, Collection «Tropiques», Paris, 2005, p. 76.

  Le Front de Libération de Mayotte (FROLIMA), créé par Ali Soilihi, sera dissous dès le putsch du 13 mai 1978. Ses proclamations véhémentes et émouvantes sur Mayotte sont vite oubliées, lui qui, en 1975, avait nommé des cadres mahorais à d’importantes fonctions pour tenter de faire oublier les humiliations du passé, pour tenter de créer les conditions d’une nouvelle confiance et des retrouvailles.

  Du 3 août 1975 au 13 mai 1978, Ali Soilihi a beaucoup fait pour les Comores sans endettement excessif, ni vente des Comores à des aventuriers étrangers, ni livraison des Comores à un État étranger, ni vente de passeports comoriens à des étrangers. Ali Soilihi était un homme pressé, qui voulait tout refaire, très vite, qui ne supportait pas de voir le Comorien croupir dans la misère et l’ignorance, ni vivre dans l’inculture, superstitions, pauvreté et médiocrité. C’était un perfectionniste qui voulait tout changer, sans attendre. Même les collégiens travaillaient, parfois avec des salaires de collégiens. Quand il le fallait, on lançait une journée de solidarité nationale pour le bétonnage de la terrasse d’un «Moudiriya».

  Agronome de formation et de profession, on lui doit la création de la Société pour le Développement des Comores (SODÉC), avant même l’indépendance des Comores, et Saïd-Mohamed Cheikh avait déjà remarqué son intelligence politique, allant jusqu’à manifester une crainte intellectuelle et politique à son endroit… Il avait fait de la sécurité alimentaire un idéal, visant ouvertement le rêve irréalisable de l’autosuffisance alimentaire dans un pays qui doit exporter ses denrées alimentaires. Il avait développé les activités agropastorales et, dans un excès de rationalisme quelque peu romantique et sentimental, voulait révolutionner même les habitudes culinaires et alimentaires des Comoriens et les adapter aux produits agricoles et aux dures réalités socioéconomiques du pays.

  Il réhabilita la culture comorienne et s’employa à la promotion de la langue, qui lui doit beaucoup de mots, souvent à son ministre de l’Intérieur Salim Himidi. C’était l’âge d’or de la chanson comorienne, une chanson vantant les mérites du civisme et du patriotisme, sans qu’une seule chanson ne soit dédiée au «Guide», contrairement à la misère intellectuelle conduisant à un infamant culte de la personnalité par la suite. Sans faire dans le patriotisme de fin de semaine, il avait su susciter un sentiment de fierté nationale, même dans le rang de ses détracteurs. Sous Ali Soilihi, on connaissait et respectait l’hymne national – dont aujourd’hui, des dirigeants de premier plan ne connaissent pas les paroles, et ne savent donc pas le chanter, à en croire Hamada Madi Boléro. Jugeant d’un œil sévère l’héritage administratif colonial, il le critiqua sans nuances, en fit une «table rase», renvoya les fonctionnaires «auprès de leur maman pour qu’ils aillent téter», et mit en place de nouvelles institutions, à la tête desquelles il plaça collégiens et lycéens, créant le fameux «État lycéen» cher à Jean-Claude Pomonti.

  Estimant qu’il fallait une profonde révolution des mentalités et des mœurs, il se lança dans une implacable chasse aux sorciers et sorcières, au sens propre du terme, s’attaqua aux coutumes ostentatoires, surannées et budgétivores, s’interrogea sur de pratiques liées nolens volens à l’Islam, fustigea les «radoteurs des mosquées» enturbannés, accusés d’être de dangereux notables rétrogrades, conservateurs, réactionnaires, bref des bien-pensants dans un pays dont la jeunesse de l’époque, l’une des plus éveillées sur le plan intellectuel et politique à travers le Tiers-Monde, était gagnée aux idées progressistes, émancipatrices et avant-gardistes du PASOCO, MOLINACO et ASÉC, dans une société à deux vitesses intellectuelles et idéologiques. Mais, justement, c’est sur ce chapitre que la Révolution comorienne a connu son passif, et ce, par des violations irraisonnées de droits de l’Homme. Le Commando Moissi et la Jeunesse révolutionnaire ont été à l’origine de ce chapitre douloureux sur lequel se focalisent les critiques des ennemis de la Révolution pour lui nier crédit et crédibilité. Mais, les régimes politiques qui se succèdent à la tête des Comores depuis le 13 mai 1978 ont fini par faire oublier toutes les erreurs d’Ali Soilihi qui avaient conduit aux réserves envers cette expérience exaltante et intéressante.

  Connaissant les ressorts intimes de la société comorienne et les problèmes réels vécus par les Comoriens, Ali Soilihi avait donné vie et vitalité au monde rural, par l’activité agropastorale, mais aussi par une intelligente et audacieuse politique de décentralisation, voire de fédéralisme contrôlé et limité, incarnée par le «Moudriya», ces imposants et fonctionnels bâtiments implantés en milieu rural et urbain et comportant des locaux administratifs et un collège. Il inversa une vieille tendance quand il amena l’administration et l’École au paysan et au «campagnard», jusqu’alors marginalisés, méprisés et confinés dans l’obscurantisme d’État. Il ouvrit au paysan et à son enfant les portes d’une École pour adultes et pour enfants. C’était l’âge d’or de l’École publique.

  Sur le plan idéologique et dans la critique de la société traditionnelle et ses pesanteurs, Ali Soilihi rappelle le Tanzanien Julius K. Nyerere, le Mozambicain Samora M. Machel et, bien évidemment, l’incontournable Thomas Sankara, qui a fait de la Haute-Volta, le Burkina Faso, «Le Pays des Hommes intègres». Lors de la Révolution comorienne, on a beaucoup parlé de Salim H. Himidi, le ministre de l’Intérieur, mais on a complètement laissé dans l’ombre de l’oubli et de l’ignorance un intellectuel à l’intelligence acérée et vive, une intelligence aux arêtes vives. Salim H. Himidi a fait découvrir à Ali Soilihi une foisonnante littérature progressiste, mais surtout les écrits du regretté Maxime Rodinson (1914-2004) sur l’Islam et le socialisme. Salim H. Himidi, idéologue d’Ali Soilihi? C’était plutôt la rencontre de deux esprits au tranchant du laser, des esprits très acérés, brillants qui, s’ils n’étaient pas accaparés par d’intenses activités étatiques de haut niveau, auraient pu produire davantage d’étincelles intellectuelles.

  Nous qui avons chanté et dansé le 13 mai 1978 et les jours qui ont suivi sommes prompts à reconnaître aujourd’hui qu’Ali Soilihi a beaucoup fait, sans faire endetter le pays, sans bavardage sambien, sans effectuer le moindre voyage à l’étranger puisqu’il avait un ministre des Affaires étrangères, même s’il était un traître. Nous qui avons chanté et dansé le 13 mai 1978 et les jours qui ont suivi avons fait nos études dans des collèges construits sans fonds par Ali Soilihi. Nos cadets ont suivi cette voie jusqu’au jour où la médiocrité des régimes politiques qui ont suivi a liquidé cet héritage national au profit d’une École privée à la qualité douteuse (le niveau des élèves, suspect, en dit long sur ce sujet). Donc, au moins, la médiocrité des autorités comoriennes, surtout depuis Saïd Mohamed Djohar, réhabilite Ali Soilihi. Étonnant retournement de situation! Ironie du sort…

  Demi-frère du Président Saïd-Mohamed Djohar, Ali Soilihi était originaire de Chouani, la Cité-aux-deux-Présidents.

  En réalité, Ali Soilihi n’a commis que trois erreurs: il était en avance sur son temps, aimait beaucoup les Comores et était trop honnête. Il ne pouvait être compris. Imaginez ce que le regretté Président Ali Soilihi aurait représenté s’il avait accédé au pouvoir maintenant, à un moment où certains esprits ont plus ou moins évolué, à un moment où les Comores comptent un nombre plus important de cadres très bien formés, et à un moment où l’ancien Président aurait eu plus de chance d’être compris

Par ARM

Le copier-coller tue la blogosphère comorienne. Cela étant, il est demandé amicalement aux administrateurs des sites Internet et blogs de ne pas reproduire sur leurs médias l’intégralité des articles du site www.lemohelien.com – Il s’agit d’une propriété intellectuelle.

© www.lemohelien.com – Dimanche 2 août 2015.


Partagez sur

2 Comments

  • alley

    août 2, 2015 at 9:13

    oui je trouve ça dommage, qu’on met de coté une personnalité telle que Mr Salim H. Himid. Je l’ai vu 2 fois et la dernière fois il y a moins d’un mois, j’ai pris plaisir et à l’écouter avec un très grande attention. c’est une personne très intelligent qui sait écouter et parler à l’autre. il a un discours raisonné claire simple et compréhensible par tout le monde ce qui est très rare parmi ces hommes politiques.je me suis posé cette question: pourquoi on met de coté ce Monsieur qui pouvait nous apprendre tant de chose? Merci cher ami Docteur, je viens de comprendre pour quoi. A cette question j’avais obtenu une réponse qui me paraissait farfelu et incroyable. Et la dernière fois, que j’ai vu ce père Mr Salim H. Himidi, j’ai su que c’étaient des choses fabriqués sans fondement qu’on l’accuse. Et d’ailleurs lui même Mr Salim H. Himidi avait évoqué ces choses là dans son discours, dans ses envolées lyriques il y a eu cette parole”contrairement à ce qu’on dit sur moi, je ne suis pas venu là pour de telles chose…..” Salim H. Himidi et là cher Docteur vous venez d’enlever mes doutes sur cette personne. Ensuite, le peuple comorien a droit de connaitre le nom de cet assassin, qui a tué l’espoir des Comores.
    ————
    Bonjour, mon ami Alley,
    On sait qui a tué Ali Soilihi, mais on fait semblant de regarder ailleurs, par hypocrisie.
    Amitiés,
    ARM

    Répondre
  • Ali

    mars 14, 2016 at 2:54

    Bonjour, je voudrai savoir savoir s’il existe des chansons en mp3 sur le régime d’Ali Soilihi? Et la plateforme sur laquelle on pourrait les télécharger. Je dois réaliser un mémoire sur cette période et il me faudrait ces genres de source pour mener à bien mon travail. Merci de votre réponse.
    ————–
    Bonjour,
    C’est curieux, et pourtant, aucune chanson n’a été composée à la gloire d’Ali Soilihi pendant son régime politique. Par contre, l’orchestre Joujou de Ouani, Anjouan, avait composé beaucoup de chansons sur la Révolution. Il existe des CD et des DVD, et on peut les retrouver sur Internet.
    Cordialement,
    ARM

    Répondre

Laisser un commentaire

Time limit is exhausted. Please reload CAPTCHA.