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«Le constat de l’État mort-né est mon fil conducteur»

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«Le constat de l’État mort-né est mon fil conducteur»

Interview explosive d’ARM à Wakati, une nouvelle Revue

Par Kari Kweli

      Lorsqu’il publie son ouvrage « Comores. Les Institutions d’un État mort-né » en 2001, Abdelaziz Riziki Mohamed est pris à parti par ses pairs, qui lui reprochent d’être trop dur, trop pessimiste, voire « irrévérencieux ». Il est vrai qu’il a un langage « volcanique », qu’il semble un peu provocateur, mais il démontre que ses analyses sont toujours fondées, et estime qu’aujourd’hui l’actualité lui donne raison. Il nous a accordé un entretien dans lequel il revient sur cette analogie d’un État mort-né et pas prêt d’être ressuscité.

Vous parlez d’un « État mort-né » ? Cette mort était-elle prévisible avant la naissance ? Aurait-elle pu être évitée ?

Cette mort est horrible et horrifiante. Pourquoi ? Parce que l’indépendance des Comores a été proclamée dans la précipitation et l’irresponsabilité par des gens qui voulaient des titres et des honneurs, à un moment où Mayotte était déjà dehors, dans une rupture brutale et inutile avec la France, ancienne puissance coloniale. Les autorités comoriennes firent de l’improvisation, de l’impréparation, et du manque de vision leur unique méthode de gouvernement. Les institutions léguées par la France et les autorités qui les représentaient furent vouées aux gémonies et détruites, des collégiens et des lycéens prirent d’assaut l’appareil d’État, en attendant que les mercenaires d’Ahmed Abdallah Abderemane et les gendres de Saïd Mohamed Djohar viennent parachever l’œuvre de destruction. On ne fit pas mieux après. Dans ces conditions, il était impossible de créer autre chose qu’un État enterré à la naissance.

Êtes-vous parti de ce constat pour ensuite le démontrer ou bien est-ce une chose que vous avez découvert pendant votre recherche ?

Le constat de l’État mort-né a été mon fil conducteur, la problématique et la matrice centrale de ma recherche, et je suis arrivé à le démontrer au fil des pages. Les bien-pensants m’avaient copieusement insulté pour le titre du livre, jugé provocateur et irrévérencieux, et pour le contenu explosif mon analyse. Aujourd’hui, ces chantres de la bien-pensance rasent les murs en me voyant, d’abord parce qu’ils me détestent, ensuite pour ne pas reconnaître devant moi que mon pessimisme sur le manque de viabilité de l’État comorien est entièrement fondé et d’actualité. L’actualité me donne plus que jamais raison : l’individu est au-dessus de l’État, du Droit, de la République et des institutions. En plus, les Comores régressent au lieu de progresser. Même des acquis de la période coloniale, dont l’enseignement, l’administration et la santé, ont été détruits dans l’inconscience, la violence, l’incompétence criminelle, la corruption et l’impréparation.

Est-ce un suicide ou un « État-cide » ?

Voilà une belle formule charnelle ! C’est un « État-cide ». Les dirigeants comoriens n’ont donné aucune chance au monstre qu’ils ont créé dans la précipitation le 6 juillet 1975, et dont la caractéristique est celle de « l’indépendance de drapeau » selon la formule sarcastique de l’ancien président tanzanien Julius K. Nyerere. Le juriste Mario Bettati est l’auteur d’une redoutable remarque : « Nous manifestions contre la guerre du Viêt-Nam ou contre d’autres conflits de décolonisation au nom du “droit des peuples à disposer d’eux-mêmes”, et puis nous avons découvert qu’il s’agissait du “droit des mêmes à disposer de leurs peuples” ». En la matière, les dirigeants comoriens ont fait ce qu’il y a de pire.

Y a-t-il eu des gens qui se souciaient sincèrement de réanimer le cadavre ou comme vous semblez le montrer ont-ils tous participé à le tuer plus d’une fois ?

Aucune autorité comorienne n’est dans une logique de réanimation ou de résurrection de l’enfant mort-né qu’est l’État comorien. Ces gens-là ne s’intéressent qu’à l’autorité et aux avantages matériels et financiers qui en découlent. J’ai beaucoup voyagé à travers le monde, et je n’ai vu nulle part la folie destructrice des autorités comoriennes, des autorités qui ne soucient jamais de « leur » pays et de « leur » peuple.

Y’a-t-il eu des choses dans votre recherche qui vous ont choqué, surpris plus que d’autres ?

Je suis dégoûté par l’inconscience criminelle, l’insouciance également criminelle, le racisme insulaire, l’incompétence institutionnalisée et la corruption sanctifiée par les dirigeants comoriens. Je suis scandalisé par le refus des autorités de mettre en place de vraies institutions. Je suis horrifié par le mépris des autorités des grandes îles envers les minorités insulaires. Je suis effondré face à l’incompétence et à la corruption. Or, malgré les horreurs vécues en la matière, la dictature actuelle s’enfonce dans l’œuvre de destruction. Assoumani Azali est un destructeur pathologique, un j’en-foutre.

Dressez-nous l’acte de décès.

L’acte de décès de ce qui tient lieu d’État aux Comores a été dressé par Ahmed Abdallah Abderemane le 6 juillet 1975, quand il a proclamé l’indépendance dans une précipitation suspecte. Il fallait unir le pays d’abord, former les cadres et créer les conditions d’une indépendance économique et financière. On ne proclame pas une indépendance juste pour amuser le tapis. L’indépendance est une chose sérieuse. La résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale de l’ONU aurait dû être appliquée de manière à aider les peuples et non à les envoyer à la misère et à la ruine.

Peut-il y avoir résurrection ou est-ce une « mort éternelle » ?

Les « bons et vrais Comoriens » me haïssent à mort car j’ai une langue droite. Je la maintiens pour dire ceci. Assoumani Azali est resté dans son rôle de destructeur, fossoyeur et croquemort de l’État. Tant que les Comores ne se débarrassent pas de gens comme lui dans les plus brefs délais, elles seront dans une « mort éternelle », sans possibilité de résurrection. Comment peut-on prétendre diriger un État dans l’ignorance, l’obscurantisme et le mépris de l’intelligence ? Je n’ai jamais vu un cadre valable auprès d’Assoumani Azali, même 41 ans après le retentissant fiasco de « l’État lycéen » d’Ali Soilihi. Ahmed Abdallah Abderemane avait créé des institutions, mais qui sont emportées par la gabegie, le mercenariat, la corruption et la dictature. Saïd Mohamed Djohar et ses gendres ont été des destructeurs irresponsables. Mohamed Taki Abdoulkarim est mort prématurément, et son projet de « Paradis » manquait de réalisme. Assoumani Azali est un aventurier ignorant. Ahmed Abdallah Mohamed Sambi avait de bonnes intentions mais n’avait pas adopté la gouvernance susceptible de favoriser ses desseins programmatiques. Ikililou Dhoinine était trop incohérent et haineux. La mort éternelle de l’État comorien est le résultat d’une série d’accidents de l’Histoire et d’erreurs d’aiguillage de l’Histoire ayant conduit à la tête de ce pays des amateurs. Ce qui me pousse à travailler pour 2020 à la publication d’un ouvrage que je vais intituler « Impossible nation et introuvable État aux Comores », 45 ans après une imprudente indépendance de façade.

Propos recueillis par Kari Kweli

Le copier-coller a définitivement tué la blogosphère comorienne. Cela étant, il est demandé amicalement aux administrateurs des sites Internet et blogs de ne pas reproduire sur leurs médias l’intégralité des articles du site www.lemohelien.com – Il s’agit d’une propriété intellectuelle.

© www.lemohelien.com – Samedi 15 février 2020.


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2 Comments

  • AZIZ

    février 15, 2020 at 2:34

    Je dois avouez qu’avant je vous detesté mais je doit reconnaitre que vous avez entierement raisonsur toute la ligne je vous souhaite le meilleur

    Répondre
  • Fatima Karihila

    février 29, 2020 at 3:12

    Cher ARM,
    Bravo pour cet article “Loin d’être explosif”… Pas Utopique non plus. Réel dans sa forme. Concis dans son fond. Cette introspection de cet “État mort-né” vient 4 décennies après, hélas… Last but not least! Triste réalité. Ne devrions-nous pas faire les choses à l’envers ? Puisque l’Indépendance n’en est pas UNE ? On comprend l’amateurisme, risquant de se perpétuer. Je n’ai pas eu la chance de lire ton bel Ouvrage, mais cet extrait l’a si bien résumé. Trouvons une solution adaptée à ce malheureux constat. A mon humble avis, je n’hesiterais pas à proposer de faire marche arrière. Non pas pour rejetter le pseudo statut d’Indépendance, mais de donner plus de responsabilités et droit d’égards à notre pays, la France. Puisque de fait, nous y vivons à plus 400.000 et formons la 5ème Ile de l’Union des Comores. La 4ème Ile a fait son choix en tte liberté, parait définitif. De plus, nous sollicitons constamment l’Etat français et ses institutions financières. J’essaye d’être réaliste. Loin d’être défaitiste. Je relate ici le constat de beaucoup de franco comoriens. Donner plus d’espace et de partage de responsabilités à notre 2ème Patrie, changerait cet état de fait que tu démontres si bien. N’ayons peur de regarder les choses en face. D’en déduire que dans l’intérêt de notre pays, nous sommes condamnés à faire ce choix. Qui pour ma part, semble le mieux adapté pour sortir le pays de ce gouffre grandissant, afin d’espérer la fameuse Émergence tant attendue par le Président Azali Assoumani. Si le Sénégal parle d’émergence, c’est une évidence, pour ce pays qui fait la différence, de part la qualité supérieure d’ éducation des hauts cadres formés, des vraies institutions et un amour patriotique avéré. Le Sénégal que je connais a compris que pour se hisser au rang des pays émergents, il a fait appel à des entreprises françaises de renommée internationale (sans les nommer), pour construire et gérer les autoroutes, des grandes enseignes de l’hôtellerie, etc. Des cliniques et des hôpitaux de références, des grandes écoles, et J’en passe. D’autre part, ce serait aussi l’occasion de donner plus de chance à nos experts binationaux, d’accompagner nos entreprises à s’y installer, pour faire le pont entre les 2 pays, transmettre leurs connaissances, tel en France.

    Française de coeur, d’esprit et d’éducation, Je ne peux que vouloir, souhaiter une parfaite harmonie dans nos relations bilatérales. Équilibrer nos relations en accordant beaucoup plus de responsabilités aux entreprises françaises et non étrangères, dans la gestion des projets pour développer notre petit pays insulaire de seulement 800.000 âmes. On sortirait enfin de ce sous développement devenu chronique. Malgré les aides financières, les emprunts, l’argent injecté par la diaspora de France, nous avons régressé au lieu de progresser. Parlant de globalisation, on ne peut pas vivre, travailler, dans ce pays et ne pas chercher à protéger ses intérêts qui sont aussi les nôtres. Les temps ont changé. L’intérêt de la France aujourd’hui n’est plus de continuer à être donateur à perte. Soyons dans l’équité et la gratitude mon cher frère …

    Cher ARM, ton interview explosive, mais très juste car positive, m’a secouée. Elle me permet de prendre conscience de cette vérité longtemps désavouée, mise au déni. On préfère la contrecarrer, quand bien même on a tenu divers forums pas plus longtemps qu’en 2019. Je pense que le temps est venu de décider de notre sort, pour hisser les Comores au rang d’un pays recommandable, qui donne envie aux investisseurs étrangers de venir y investir, aux touristes fortunés de venir y laisser leurs devises. Bref, nous devrons oeuvrer pour que notre pays la France soit au 1er rang duquel, les Comores prendra sa revanche pour son développement et son émergence tant attendue. D’autant plus qu’elle sert de levier financier pour l’émergence des Comores. ena mdru ngu kuwo opva mwawawo…
    C’est en osant secouer nos esprits comme tu viens de le faire que nous prenons conscience de cette triste réalité. Merci pour cet espace d’échanges qui nous permet de nous exprimer. A suivre…
    ———————–
    Chère sœur Fatima,
    Merci beaucoup pour cette belle remarque.
    Les bien-pensants qui me poursuivent de leur belle haine ne reconnaissent toujours pas la réalité. Pourtant, elle est la réalité.
    La politique de l’autruche n’apporte pas des solutions aux problèmes.
    Par ailleurs, je te prie de bien vouloir me communiquer ton numéro de téléphone via l’adresse du site: lemohelien@yahoo.fr. J’ai perdu une partie notable de mon répertoire téléphonique lors d’une opération technique. Ton numéro y était.
    Salutations fraternelles,
    ARM

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