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Fahmi Saïd Ibrahim réfute le primat de la Constitution

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Fahmi Saïd Ibrahim réfute le primat de la Constitution

Et s’il laissait les juristes s’occuper des questions juridiques?

Par ARM

     Ça y est! Cette fois, les Comores ont définitivement touché le fond. Et quand on est juriste, il fallait avoir le cœur bien accroché et en bon état pour ne pas faire un infarctus ce matin, vers 3 heures 45 GMT, quand Fahmi Saïd Ibrahim, chef crypto-sambiste du Parti de l’Entente comorienne (PEC), s’est exprimé sur Radio France Internationale (RFI) pour dire, à la face du monde, qu’il rejetait tout ce qu’on enseigne en première année de Droit aux étudiants du monde entier sur le primat et le contenu de la Constitution. Ce lundi 30 novembre 2015, à l’aube donc, Fahmi Saïd Ibrahim a dit que la fameuse pyramide sur laquelle Hans Kelsen a placé la Constitution au-dessus de toutes les normes juridiques de l’État moderne, c’est du gnangnan, une immense foutaise. Pour soutenir la folie furieuse d’Ahmed Sambi, qui veut être candidat à l’élection présidentielle de 2016, alors que la Constitution, norme juridique supérieure de l’État comorien, le lui interdit, il a tout dit, tout essayé, tout tenté sans peur du ridicule. Cette fois-ci, il va très loin et nie l’existence même du mot «îles» figurant à l’article 13 de la Constitution comorienne, «la présidence est tournante entre les îles», réinvente le Droit et crée son Droit constitutionnel à lui, prétendant sans rire que la Constitution n’a pas à évoquer des conditions d’éligibilité du chef de l’État, chasse gardée de la loi, alors que dans la Constitution, on peut tout écrire, comme c’est le cas de la Constitution suisse, qui interdit la vente de l’absinthe, même s’il s’agit d’une question qui n’a pas une signification politique particulière. En d’autres termes, Fahmi Saïd Ibrahim brûle le Droit et le Droit constitutionnel.

     Et, pour comprendre le non-sens juridique de la contrebande extra-juridique de Fahmi Saïd Ibrahim, nous devons prendre connaissance de sa nouvelle découverte. Voici ce qu’il dit sur les ondes de RFI à l’aube de ce lundi 30 novembre 2015: «Le Président ne peut pas prendre l’initiative d’un référendum dès lors que nous avons déjà initié sur le sujet un Congrès. C’est pour clarifier afin d’éviter une lecture erronée par le gouvernement. Sinon, pour nous, cela n’empêche en rien que le Président Sambi dépose sa candidature. Nulle part, il n’a été stipulé qu’il faille être originaire de telle ou telle autre île. Il faut savoir que dans aucun autre pays au monde, les conditions sont fixées dans une Constitution. C’est toujours dans une loi. Chez nous, c’est une loi organique». Faux, archifaux!

     C’est ahurissant, hallucinant et hallucinogène. Bien évidemment, l’affirmation un peu trop facile selon laquelle «le Président ne peut pas prendre l’initiative d’un référendum» est sans fondement juridique puisque «l’initiative des lois appartient concurremment au Président de l’Union et aux députés. Les projets de loi sont délibérés en Conseil des ministres et déposés sur le bureau de l’Assemblée de l’Union. Les députés et l’Exécutif ont le droit d’amendement. Les propositions de loi et amendements des membres de l’Assemblée de l’Union ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence, soit une diminution des ressources publiques de l’Union, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique de l’Union. Les projets et propositions de loi sont, à la demande de l’exécutif ou de l’Assemblée de l’Union, envoyés pour examen à des commissions créées par le règlement intérieur de l’Assemblée de l’Union ou spécialement établies à cet effet» (article 25 de la Constitution du 23 décembre 2001). En plus, toute révision constitutionnelle touchant une règle fondamentale passe par un référendum, et c’est le Président de la République qui en prend l’initiative.

     D’ailleurs, pour prouver que les prétentions «juridiques» de Fahmi Saïd Ibrahim n’ont aucun sens en Droit et qu’il s’agit d’un tissu de mensonges et d’élucubrations, nous devons ouvrir les ouvrages de Droit et prendre connaissance de la position prise par les spécialistes sur la place des élections dans une Constitution. On apprend ainsi que la Constitution est «au sens matériel: ensemble des règles écrites ou coutumières qui déterminent la forme de l’État (unitaire ou fédéral), la dévolution et l’exercice du pouvoir»: Raymond Guillien, Jean Vincent et autres: Lexique des termes juridiques, 15ème édition, Dalloz, Paris, 2005, p. 164. Dès lors, il faudra que Fahmi Saïd Ibrahim explique aux Comoriens pourquoi les grands juristes reconnaissent à la Constitution le pouvoir de déterminer «les règles écrites ou coutumières […] de dévolution du pouvoir» alors que lui s’y oppose. Et quand il attribue ce pouvoir aux seules lois organiques, pourquoi ne précise-t-il pas que ces dernières ont pour rôle de préciser ou de compléter la Constitution et qu’elles se situent entre les lois constitutionnelles et les lois ordinaires, en ayant une autorité supérieure à celle des lois ordinaires? Que vaut une loi organique sans une Constitution au préalable? Elle n’existerait même pas.

     En tout état de cause, il faudra signaler à Fahmi Saïd Ibrahim que «le formalisme permet de tout mettre dans une Constitution et, par là-même, de rendre constitutionnel tout ce qui s’y trouve. Telle est la pratique des États américains (non de l’Union) qui multiplient les textes constitutionnels, afin de mettre à l’abri de la versatilité des législateurs certaines dispositions jugées importantes. […]. En Suisse, […] il en résulte un gonflement du chapitre premier de la Constitution, consacré aux “dispositions générales”, et l’insertion de textes singuliers, tel que celui destiné, en apparence tout au moins, à la protection des animaux: “Il est expressément interdit de saigner les animaux de boucherie sans les avoir étourdis préalablement; cette disposition s’applique à tout mode d’abattage et à toute espèce de bétail” (article 25 bis, amendement du 20 août 1893)»: Marcel Prélot et Jean Boulouis: Institutions politiques et Droit constitutionnel, 9ème édition, Dalloz, Paris, 1984, pp. 217-218.

     Au surplus, pour prouver, par des exemples concrets, que le chef du PEC prend trop de libertés avec la vérité et le Droit, examinons la teneur de certaines Constitutions, et ce, pour bien remarquer qu’elles évoquent bel et bien les conditions d’éligibilité du chef de l’État, puisqu’aucune norme de Droit naturel ou de Droit positif n’impose aux États de définir les modalités en question uniquement par voie législative. C’est ainsi que l’article 35 de la Constitution ivoirienne détermine les conditions d’éligibilité du chef de l’État, alors que Fahmi Saïd Ibrahim Ibrahim prétend que «dans aucun autre pays au monde, les conditions sont fixées dans une Constitution»: «Le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Il n’est rééligible qu’une fois. Le candidat à l’élection présidentielle doit être âgé de quarante ans au moins et de soixante quinze ans au plus. Il doit être Ivoirien d’origine, né de père et de mère eux-mêmes Ivoiriens d’origine. Il doit n’avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne. Il ne doit s’être jamais prévalu d’une autre nationalité. Il doit avoir résidé en Côte d’Ivoire de façon continue pendant cinq années précédant la date des élections et avoir totalisé dix ans de présence effective. L’obligation de résidence indiquée au présent article ne s’applique pas aux membres des représentations diplomatiques et consulaires, aux personnes désignées par l’État pour occuper un poste ou accomplir une mission à l’étranger, aux fonctionnaires internationaux et aux exilés politiques. Le candidat à la Présidence de la République doit présenter un état complet de bien-être physique et mental dûment constaté par un collège de trois médecins désignés par le Conseil constitutionnel sur une liste proposée par le Conseil de l’Ordre des Médecins. Ces trois médecins doivent prêter serment devant le Conseil constitutionnel. Il doit être de bonne moralité et d’une grande probité. Il doit déclarer son patrimoine et en justifier l’origine». Alors, Monsieur, et ça, c’est quoi? Pour sa part, l’article 31 de la Constitution malienne de 1992 dispose: «Tout candidat aux fonctions de Président de la République doit être de nationalité malienne d’origine et jouir de tous ses droits civiques et politiques».

     Pourquoi aller en Côte-d’Ivoire et au Mali, alors qu’il y a la Constitution comorienne du 1er octobre 1978? En effet, aux termes de son article 16, «le Président de la République est élu pour six ans au suffrage direct. Il n’est rééligible qu’une seule fois. Les candidats doivent être âgés d’au moins quarante ans et jouir de leurs droits civils et politiques. Chaque candidature doit être parrainée par les signatures de cinq élus par île. […]». Alors, Monsieur, vous maintenez votre position? Là, il s’agit de la première Constitution comorienne, Monsieur!

     Dès lors, la conclusion que toute personne honnête doit tirer des prétentions et exagérations de Fahmi Saïd Ibrahim, c’est qu’il invoque le Droit, mais piétine celui-ci et reste en marge de ce dernier. Ce qu’il dit n’a aucune relation avec le Droit. Ce qu’il dit se situe en marge du Droit. Ce qu’il dit ne sortira jamais de la bouche d’un juriste. Ce qu’il dit n’a aucune relation avec ce qu’on enseigne aux étudiants inscrits en première année de Droit. Ici, il n’est même pas question d’être spécialiste de Droit privé ou de Droit public, mais d’être juriste tout court. Ceci est d’autant plus vrai que Fahmi Saïd Ibrahim commet la lourde faute sur un cours qu’on fait lors des deux premiers jours de présence dans tout établissement d’enseignement supérieur où on enseigne le Droit. En Introduction à l’étude de Droit et en Droit constitutionnel, matières de première année à la Faculté de Droit et dans toute École d’Administration, le primat et le contenu de la Constitution, notamment en relation avec les modalités de l’élection du chef de l’État, sont enseignés dès les premières secondes du premier cours.

     Au vu donc de l’inexcusable faute gravissime de Fahmi Saïd Ibrahim, il est temps de prendre en considération la nécessité de laisser l’explication et l’interprétation de la norme juridique aux seuls juristes, parce qu’à force de vouloir plier la Constitution comorienne sous le poids des divagations et aberrations d’Ahmed Sambi, le chef du PEC prend d’énormes risques pour lui-même, et ce sont des choses qui ont des répercussions désastreuses sur une réputation. Une telle faute jette le discrédit et l’opprobre sur tous les Comoriens de la Terre parce que l’étranger qui entend de telles choses, traitera ipso facto tous les Comoriens de nullissimes désespérants et désespérés. Une fois de plus, il faudra reconnaître que le Droit est une affaire de juristes et qu’il est très dangereux de s’aventurer dans cette discipline dont l’objet est notamment l’existence, l’organisation et le fonctionnement de l’État moderne. Dès lors, une seule question se pose: pourquoi Fahmi Saïd Ibrahim veut une «clarification» de l’article 13 de la Constitution comorienne alors que le monde entier sait que les Comoriens ont instauré une présidence tournante «entre les îles» pour que tous les 4 puis 5 ans une des îles de la République désigne l’un de ses enfants qui sera élu Président de la République par l’ensemble des îles indépendantes?

Par ARM

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© www.lemohelien.com – Lundi 30 novembre 2015.


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