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Saint Thomas à Mohéli, l’île où on doute de tout

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À Mohéli, on préfère vérifier la matérialité des choses

Par ARM

   Nous vivons une période bizarre. Nous vivons une période au cours de laquelle un Ahmed Sambi, détruit moralement par une étrange maladie mentale dit des choses complètement incongrues, y compris celles-ci: «Mes frères et sœurs, vous savez que le Karthala, Gloire à Dieu, est, dans le monde, comme on le dit, c’est-à-dire que le Karthala est le plus grand. Il y a des gens qui aimeraient y accéder et l’escalader. Il y a des gens qui viendraient tout spécialement pour lui. Alors, parmi mes illusions et mes rêves, je l’ai dit, et certains dirigeants le savent, les gens peuvent aller à Anjouan. J’ai également dit que nous pourrions construire des tunnels, et parmi les choses que j’avais dites et qui avaient donné lieu à des études, il y a les voitures volantes, ces voitures qui, au lieu de rouler sur terre, volent sur les routes aériennes. Tout ceci fait partie des rêves qu’a ou avait Sambi. Je souhaite vous dire, frères et sœurs que nous avons de la richesse pour transformer notre pays et en faire un vrai pays touristique». Des sornettes de ce genre sortent de la bouche d’Ahmed Sambi depuis 2004, quand il a commencé à divaguer sur la place publique pour faire croire aux gens qu’une fois il est élu Président des Comores, il était capable de tout régenter aux Comores. Les gens ont cru en son discours, et ils en paient les pots cassés. Or, normalement, les Mohéliens, s’ils avaient gardé leur scepticisme proverbial, auraient dû voir en lui un menteur professionnel, et si les Mohéliens étaient restés les Mohéliens, aucun d’entre eux n’aurait dû voter pour lui. Il y a peu, Abdou Salami, ce Djoiezien pur sucre, disait au téléphone: «Tu sais, ici, nous sommes redevenus les sceptiques que nous étions avant. Quand on annonce la conclusion d’un mariage, nous nous arrangeons pour voir si le couple supposé marié monte ensemble sur le même lit avant d’admettre la sincérité du mariage. Tant que nous n’avons rien vu, nous n’acceptons rien».

   Cette affirmation ne doit pas nous faire oublier que l’image que les dirigeants mohéliens donnent de leur île et de leur peuple aujourd’hui, cette image de crédulité et de naïveté, n’a pas toujours été celle des Mohéliens qui, jadis, ont souvent prouvé un scepticisme légendaire, une incrédulité proverbiale, une méfiance à la limite de la paranoïa aiguë. Les Mohéliens étaient les dignes héritiers de Saint Thomas: il fallait qu’ils touchent avant d’accepter ce qu’on leur racontait.

   On se souvient du débat non encore clos, suscité en décembre 1975 quand l’un de nos pères de Djoiezi, se réveillant le matin, réunit tout le monde sur la place publique et lança: «On m’a dit en rêve, la nuit dernière, que le cœur de l’homme a subi de changements importants, radicaux, il a changé de place, et cela est perceptible sur les graines du pignon d’Inde ou jatropha [Dzouwé, Ndrégué], dont le germe n’est plus orienté vers le haut, mais désormais vers le bas». Ah! Il fallait les voir courir. Ils couraient pour aller casser du «Ndrégué». Pour les uns, il y a effectivement eu changement, alors que pour les autres, rien n’a changé. Rien. Jusqu’aujourd’hui, le débat est ouvert, et chaque fois qu’on invoque le sujet, on est sur le point d’en venir aux mains. Comme de vulgaires chiffonniers. En effet, jusqu’aujourd’hui, les Mohéliens sont divisés, les uns croyant que le germe a changé d’orientation, et d’autres assurent que le germe en question n’a subi aucun changement. À ma grande honte, je dois avouer qu’il me semble qu’il y a eu un changement. De 1975 à 2015, depuis 40 ans, je vis avec ce sentiment que Dieu a voulu dire aux hommes que leurs cœurs avaient changé à travers la parabole du «Ndrégué». Oui, à ma grande honte, j’ai bien le sentiment qu’il y a eu un changement dans les graines du pignon d’Inde.

   Mais, il y a plus pittoresque. Un jour, dans un village de Mohéli, on s’est mis en tête qu’il était possible de sucrer une rivière. Une grosse discussion eut lieu et elle vira à la dispute. Une fois de plus, on voulait en venir aux mains. Pour les uns, il est possible de sucrer une rivière, pour les autres, non. Pour couper court à la dispute, il a fallu se résoudre à procéder à une grosse cotisation et à acheter 10 sacs de sucre, soit 500 kilogrammes du produit. Auteurs de la dispute, témoins, badauds et curieux, les sacs de sucre sur les épaules, se rendirent à la rivière, sur laquelle les sacs de sucre ont été versés. Miracle des miracles, la rivière devient sucrée! Les partisans de la possibilité de sucrer la rivière pavoisaient, bombaient leur torse et affichaient sur leurs lèvres ce sourire de satisfaction qu’ont ceux qui ont la conscience du devoir accompli. Seulement, leur joie a été de courte, de très courte durée: au bout de quelques minutes, il n’y avait pas une goutte de sucre sur l’eau de la rivière.

   Incorrigibles, les Mohéliens. Les voilà, dans le même village, embarqués dans une nouvelle aventure. La question était simple: combien de feuilles peut avoir l’arbre appelé badamier («Mkadaré» à Mohéli, «Mgnamba» à Anjouan)? Une discussion interminable commença, et les gens commençaient à s’énerver. On assista même à un début de dispute. Chacun prétendait avoir raison. En désespoir de cause, il a fallu abattre le badamier qui déclenchait autant de passion. Après, on a dû compter une à une toutes les feuilles. Toutes. Très pragmatiques, les Mohéliens qui, s’ils avaient gardé leur scepticisme traditionnel, n’auraient jamais élu un de ces radoteurs de village qui causent le malheur des Comoriens.

   Dans le même village, une autre fois, on a évité de justesse une autre bagarre. Le sujet était simple: combien de fidèles priaient à la Grande Mosquée de Moroni, lors de la grande prière collective du vendredi à midi? 20.000. 2.000. Impossible. Possible. Les injures fusèrent de toutes parts. Les insultes suivirent. Des familles commencèrent à se déchirer, des amis s’envoyèrent des noms d’oiseaux à la figure, on commença à invoquer les origines généalogiques des uns, on parla de la paternité douteuse des autres, on jeta aux orties la noblesse supposée de certains, d’aucuns qui avaient l’habitude de s’attribuer des origines du Hadramaout ou du Chiraz se firent traiter d’ignobles descendants d’ignobles Makoa, l’injure suprême… On était au bord de la guerre civile, et on craignait un génocide. Attention au nettoyage ethnique. Un sage du village demanda une collecte de fonds par cotisation pour expédier à Moroni, sur-le-champ, un notable devant prêter serment au préalable. Aussitôt dit, aussitôt fait. Et c’est ainsi qu’un Mohélien sain de corps et d’esprit (du moins, c’est ce qu’on a prétendu) partit de son île pour aller compter le nombre de paires de chaussures devant la Grande Mosquée de Moroni.

   À Djoiezi, un Cheikh né au XIXème dans l’une des plus vieilles familles de Mohéli ne pouvait comprendre comment l’avion arrive à voler alors qu’il est fait d’une matière qui pourrait être métallique, donc plus lourde que l’air. Pour lui, il ne s’agissait que d’un revêtement à base de papier pour cigarettes. Finalement, le Cheikh, habillé de la plus belle manière, se rendit à l’aéroport de Bandar-Es-Salam accompagné de ses contradicteurs, fendit la foule, et se jeta en courant sur la piste pour ne pas être arrêté par les policiers présents, et alla toquer sur l’avion, avant de s’écrier: «C’est vrai, l’avion est fait d’une matière métallique».

   Mais, à Djoiezi, on a échappé de justesse à une grosse bagarre quand, revenant de France, un agent des Travaux publics ramena un exemplaire des contes des «Mille et une Nuits». Sur le titre des fameux contes, les Djoieziens ne voyaient qu’«Une Nuits» et se fichaient comme d’une guigne de «Mille» qui, ajouté à «Une» faisait, en chiffre, 1001, les «1001 Nuits». La dispute avait duré des semaines. Le pugilat avait été évité de justesse. Pourquoi? Parce que certains prétendaient qu’on devait écrire au singulier «Les mille et une nuit», pour «une nuit».

   Toujours à Djoiezi, un matin on se réveilla avec une nouvelle dispute sur les bras. C’est que certains disaient qu’un kilogramme de fer pesait plus lourd qu’un kilogramme de coton. Quoi? Et voilà les Djoieziens lancés dans une nouvelle dispute sans fin. On en parla pendant une semaine, et l’affaire se termina devant une balance, où il s’avéra qu’un kilogramme de fer équivalait à un kilogramme de coton. Le poids est le même, mais ce qui change, c’est tout simplement le volume.

   Mais, le plus amusant dans tout ça est arrivé ce jour de 1975, quand Djoiezi fut déclarée ville pétrolifère, une «nappe de pétrole» à l’appui. Oui, on voyait la «nappe de pétrole». 40 ans après, l’affaire fait toujours rire. C’était en face de la maison de mes parents, devant notre porte. Ah, les garnements! Un futur Ambassadeur et un futur Président de la Fondation comorienne des Droits de l’Homme avaient versé du pétrole lampant sur une fissure dans le béton de la chaussée, une fissure qui laissait passer de l’eau provenant d’un tuyau crevé, et tout le monde était venu admirer l’apparition du pétrole à Djoiezi, salivant à l’avance et faisant des comptes d’apothicaire sur les revenus faramineux que les Djoieziens allaient désormais toucher. Et nous qui étions en face du «champ de pétrole», on rêvait débout, car c’était, avant tout, notre pétrole à nous…

   Une question se pose alors: comment un peuple aussi sceptique et tatillon peut-il se laisser tromper par de vulgaires menteurs et voter pour des ruffians débauchés?

Par ARM

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© www.lemohelien.com – Mardi 28 juillet 2015.


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One Comment

  • Abdourahamane Cheikh Ali

    juillet 28, 2015 at 9:27

    Cher frère,
    Tu nous apprends des choses. Les histoires mohéliennes n’ont rien à envier aux histoires belges. Un frère de Ndzuani a la réponse à ta question : ceux qui ont voté pour SAMBI auraient bu de l’eau mélangée avec de la sorcellerie.

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