C’est la France qui a interdit à Anjouan la guerre civile et contre les îles voisines
1294-1816, Anjouan dans «le désordre de l’anarchie», favorise les razzias malgaches
Par ARM
Ceux qui disent, à raison d’ailleurs, que les quatre îles de l’archipel des Comores n’ont jamais constitué une unité politique avant la colonisation française sont sereins. Ils sont d’autant plus sereins qu’ils savent que toute prétention tendant à faire admettre l’opinion selon laquelle la France aurait trouvé sur place, au moment de la conclusion de son traité avec Mayotte du 25 avril 1841 pour la cession de l’île à son profit, quatre îles unies politiquement, est une allégation mensongère, prétentieuse et déformatrice de la réalité historique.
Mansour Kamardine, emblématique ancien Député de Mayotte et ténor du Barreau de l’île, a eu l’heureuse idée de faire rééditer L’archipel aux sultans batailleurs, le livre qu’Urbain Faurec a publié en 1941 à l’Imprimerie Officielle, à Tananarive, Madagascar, et qui a avait été réimprimé par Promo Al Camar, à Moroni, en 1971, épuisé depuis: Urbain Faurec: L’archipel aux sultans batailleurs, Préface de Mansour Kamardine, édition nouvelle, Les Éditions Sépia, Paris, 2025 (208 p.).
À elle seule, la Préface de grande qualité de Mansour Kamardine est une mémorable leçon d’Histoire, l’Histoire séparée des quatre îles d’un archipel des Comores aux sultanats pluriels dont aucun souverain n’a régné en même temps sur ces quatre îles antagoniques.
On découvre de belles perles dans ce livre.
Tout d’abord, l’état de désordre monumental dans lequel se trouvait lugubrement Anjouan.
1.- «Pendant des siècles, des sultans rivaux livrent Anjouan aux désordres de l’anarchie et aux pillages des envahisseurs malgaches (1294 (?) – 1816)»
Le mot, désespérant est d’Urbain Faurec, qui avait effectué un voyage scientifique sur les quatre îles de l’archipel des Comores: «Pendant des siècles, des sultans rivaux livrent Anjouan aux désordres de l’anarchie et aux pillages des envahisseurs malgaches (1294 (?) – 1816)»: Urbain Faurec: L’archipel aux sultans batailleurs, Préface de Mansour Kamardine, édition nouvelle, Les Éditions Sépia, Paris, 2025, p. 55.
Toujours selon Urbain Faurec, «dès cette époque – et ceci est très important pour la compréhension des événements et des troubles qui vont se produire à Anjouan – deux dynasties vont se partager le pouvoir dans l’île: la dynastie des sultans de Mutsamudu, issue des anciens maîtres Bedjas et Fanis, qui constitua la famille des Halmassalas [El Massela] ou “gens du Palais”, et la dynastie des sultans de Domoni, issue des descendants des Chiraziens, qui prit le nom d’Halmauas [Al Madoua] ou “gens venus de la mer”. Cette première manifestation de nationalisme anjouanais permit aux maîtres légitimes du pays de s’insurger contre les usurpateurs étrangers. La dualité du pouvoir et les rivalités entre ces deux dynasties furent, pendant des siècles, à la base même de toute l’histoire du pays: elles furent en outre à l’origine de haines si tenaces que certaines se sont maintenues jusqu’à la domination française, et se font encore sentir de nos jours, interdisant notamment les mariages entre jeunes gens issus des deux clans ennemis»: U. Faurec: L’archipel aux sultans batailleurs, p. 60.
2.- Sale temps à Mohéli pour l’envahisseur et pilleur anjouanais et sa coalition internationale
Le sultan pilleur d’Anjouan, un prédateur sadique, réunit ses troupes ainsi que des mercenaires venus de Grande-Comore (à l’époque appelée «Comore» et ses habitants monopolisant le nom «Comoriens») et Mayotte pour attaquer Mohéli. L’affaire finira dans un désastre total: «La petite troupe gagna Anjouan où le sultan Abdallah lui accorda l’hospitalité. Au bout de quelques mois, Ramanatéka se mit à conspirer contre son hôte avec Seïd Ali, frère du sultan, qui cherchait à le renverser et à prendre sa place; mais le complot échoua et Ramanatéka s’enfuit à Mohéli où le sultan régnant, ennemi du sultan d’Anjouan, fut assez confiant pour le recevoir. L’année suivante, 1830, Abdallah vint attaquer Mohéli qui refusait de reconnaître sa souveraineté; Ramanatéka offrit ses services au sultan de Mohéli; grâce à son concours et à celui de ses Hovas, les Anjouanais furent repoussés. Après la victoire, Ramanatéka chassa son hôte et se fit proclamer roi de Mohéli.
S’attendant bien à être attaqué par Abdallah, il s’empressa de fortifier Fomboni; sa position était, toutefois, précaire; les Sakalaves le détestaient en sa qualité de Hova; d’un autre côté, les Arabes le considéraient comme un infidèle et leur défection était certaine en cas de guerre avec Anjouan; le rusé Hova sut habilement rallier à lui tous les partis; il se fit Mahométan et changea son nom de Ramanatéka contre celui de Sultan Abdel-El-Rahaman.
En 1833, il posséda un instant Mayotte que Boina Combo, chassé par Andriansouli, lui avait cédée; mais il ne put s’y maintenir.
La guerre prévue avec Anjouan éclata bientôt. En décembre 1835, Abdallah organisa contre Ramanatéka une expédition formidable composée d’Anjouanais, de Comoriens [Grands-Comoriens], de Mahorais et de Sakalaves. Cette armée, la plus considérable qu’on eût jamais vue dans les Comores, se réunit à M’Samoudou [= Mutsamudu]. Abdallah partit d’Anjouan, le 20 janvier 1836, avec un seul boutre et aborda à Numa-Choa où il avait des intelligences et où Boina Combo, le souverain dépossédé de Mayotte, se joignit à lui avec ses partisans. Le gros des boutres, retenu à M’Samoudou par les vents contraires, n’arriva à Numa-Choa que deux jours après.
On commença aussitôt les hostilités car il ne suffisait pas de posséder Numa-Choa, il fallait s’emparer de Fomboni. Après avoir vainement tenté de forcer les sentiers qui y conduisent de Numa-Choa, à travers des gorges et des escarpements faciles à défendre, Abdallah voulut opérer une diversion en se rendant par mer auprès de Fomboni avec la moitié de ses troupes, mais pendant le trajet un coup de vent terrible jeta tous les boutres à la côte. Les naufragés tombèrent au pouvoir des Mohéliens et furent conduits à Fomboni. À leur arrivée au palais, Ramanatéka fit tout d’abord massacrer Boina Combo et tous les Mahorais qui l’avaient accompagné. Il rendit la liberté à Saïd Hassani, père de Saïd Omar, à Saïd Ouazir Zouber, oncle d’Abdallah, et à Salim, frère de ce dernier, qui lui avait rendu de grands services lors de son séjour à Anjouan; Andriansouli était parvenu à s’échapper on ne sait comment; tous les autres furent déclarés prisonniers de guerre et vendus. Quant au malheureux sultan Abdallah, après lui avoir fait subir toutes sortes d’outrages et de mauvais traitements, Ramanatéka le fit enfermer dans un cachot où il le laissa lentement mourir de faim.
De ce moment, personne, dans les Comores, n’osa plus attaquer Ramanatéka ou plutôt le sultan Abdel-El-Rahaman, car on ne lui donnait plus que ce nom»: Alfred Gevrey: Essai sur les Comores, Pondichéry, 1870, Nouvelle édition, Les Éditions du Baobab, Mamoudzou, 1997, pp. 92-93.
3.- La France oblige Anjouan à arrêter les guerres civiles sur son sol, et les agressions contre les autres îles
C’est tout de même curieux. Aux Comores, on crâne en prétendant que «l’usurpateur sakalava Andriantsoly a vendu Mayotte pour 1.000 piastres». Mais, personne parmi les faiseurs des histoires et destructeurs de la vérité de l’Histoire ne veut reconnaître que la cession de Mayotte à la France par le traité du 25 avril 1841 a été motivée par la volonté et la nécessité de mettre l’île à l’abri des pillages, destructions et exactions d’Anjouan, et que, avant de conclure cet accord avec la France, Mayotte avait voulu se mettre à l’abri contre Anjouan en se plaçant sous la souveraineté de la Grande-Bretagne: «Il [Andrintsoly] avait refusé de prêter allégeance au sultan Salim [d’Anjouan] qui lui avait envoyé des émissaires, mais il redoutait que tôt ou tard, celui-ci, fort de l’appui zanzibarite, ne recherchât à établir son autorité sur Mayotte. Ses craintes n’étaient d’ailleurs que trop fondées. L’ex-roi du Boina remit à Passot une lettre en arabe dans laquelle il se disait prêt à faire abandon de l’île de Mayotte au roi des Français en échange de toute compensation que ce prince voudrait bien lui donner. Il demandait seulement que des armes et des minutions lui fussent remises en acompte pour faire face à tout assaut des Anjouanais. […]. Les craintes d’Andriantsoli étaient sans doute justifiées et sa situation restait des plus précaires. En 1837 déjà il avait écrit au gouverneur de Maurice pour solliciter l’aide anglaise et offrir son île à la couronne. Mais l’année suivante le commandant [Robert] Craigie lui avait répondu que les autorités britanniques n’entendaient pas se mêler des affaires locales. En novembre 1840, il eut à faire face à un nouvel assaut des Anjouanais qui se portèrent à la rescousse d’Andriannavi. Bloqués au fond de la baie de Boëni, les partisans de ce chef étaient d’ailleurs sur le point de succomber à la famine. Les assaillants s’emparèrent de deux des quatre boutres qui barraient l’accès à la baie mais sur terre, le chef Fiunzana, à la tête de ses contingents sakalava, parvint à repousser les hommes de Salim»: Jean Martin: Comores: quatre îles entre pirates et planteurs. Tome I. Razzias malgaches et rivalités internationales (fin XVIIIème-1875), Les Éditions L’Harmattan, Paris, 1983, pp. 154-155.
Les pillages destructeurs et meurtriers d’Anjouan sur les autres îles ayant atteint un degré insupportable, et le désordre régnant à Anjouan du fait des sempiternelles guerres civiles ayant dépassé les limites de l’imaginable, il a fallu que la France impose à cette île l’arrêt de ces conflits interminables sur son propre sol et contre les autres îles.
Lisons le traité conclu le 21 avril 1886 entre la France et Anjouan. Son article 9 dispose: «Pour mettre fin aux guerres civiles qui désolent Anjouan depuis de longues années, le gouvernement français et Son Altesse déclarent que toute personne qui aura pris les armes contre un pouvoir constitué sera considérée comme rebelle et jugée conformément aux lois du pays». Quant à son article 10, il est rédigé en ces termes: «Le gouvernement de la République française s’engage à ne donner asile à aucun sujet anjouanais qui, reconnu par lui en état de rébellion, viendrait à se réfugier en France, à Mayotte ou dans toute autre possession française». Et, il y a l’article 11: «Son Altesse prend l’engagement de ne porter les armes dans aucune des îles Comores et de ne prêter à aucun parti aide et assistance sans l’approbation du commandant de Mayotte».
Les guerres d’Anjouan contre Mayotte allaient s’arrêter, certes, mais les Anjouanais arrivant à Mayotte avaient détruit cette dernière île dans des conditions qui font penser que, ce qu’a écrit le Procureur impérial Alfred Gevrey en 1870 date du 17 juin 2025: «Mais, la troisième cause d’augmentation [de la population de Mayotte] est éminemment préjudiciable à la colonie et c’est à elle qu’on peut, en grande partie, attribuer les dévastations qui se commettent depuis quelques années. Il est regrettable que les permis d’établir et de cultiver soient délivrés le plus souvent à des Anjouanais qui viennent habiter Mayotte juste le temps d’incendier et de détruire une forêt de nattes et de takamakas, et de récolter deux ou trois sacs de riz qu’ils vont consommer à Anjouan, pour revenir l’année suivante, recommencer leurs ravages et leurs récoltes. Voilà, avec les Mahoris nomades, les auteurs des incendies qui ravagent chaque année les cannes et les caféiers, des habitations, détruisent les forêts, dénudent les pentes, assèchent les rivières et font à peu de Mayotte un grand Pamandzi»: A. Gevrey: Essai sur les Comores, op. cit., pp. 150-151.
L’Histoire se répète, impitoyable et triste.
Par ARM
Le copier-coller tue la blogosphère comorienne. Cela étant, il est demandé amicalement aux administrateurs des sites Internet et blogs de ne pas reproduire sur leurs médias l’intégralité des articles du site www.lemohelien.com – Il s’agit d’une propriété intellectuelle.
© www.lemohelien.com – Mardi 17 juin 2025.