«Ahmed Abdallah contrôle les urnes et ce qu’il y a dedans» (François Mitterrand)
Référendum et scrutin présidentiel aux Comores en 1974: une mascarade sans nom
Par ARM
Le mot, repris par Alain Deschamps, ambassadeur de France aux Comores de 1983 à 1987, concerne Ahmed Abdallah Abderemane, président du Conseil de Gouvernement des Comores de 1972 à 1975, président de la République fédérale islamique des Comores de 1978 à 1989, auprès de qui il avait été accrédité: «Il n’avait pas perdu l’habitude, acquise avant l’indépendance, de contrôler les urnes et ce qu’il y a dedans»: Alain Deschamps: Les Comores d’Ahmed Abdallah. Mercenaires, révolutionnaires et cœlacanthe, Les Éditions Karthala, Collection «Tropiques», Paris, 2005, p. 67.
En réalité, ce mot savoureux est de François Mitterrand, victime des tripatouillages électoraux d’Ahmed Abdallah Abderemane, qui avait perverti, aux Comores, le scrutin présidentiel français des 5 et 19 mai 1974: «Dans un de ses écrits, le Français accusa l’Anjouanais de contrôler aux Comores, les urnes et ce qu’il y a dedans»: A. Deschamps: Les Comores d’Ahmed Abdallah. Mercenaires, révolutionnaires et cœlacanthe, op. cit., p. 58.
Le référendum d’autodétermination des Comores du 22 décembre 1974 relevait également du gangstérisme électoral, suite aux manœuvres du même Ahmed Abdallah Abderemane.
1.- Danse du scalp autour des suffrages des Comores lors du scrutin présidentiel français de 1974
Au second tour du scrutin présidentiel de 1974, Valéry Giscard d’Estaing a obtenu 13.396.203 voix, et François Mitterrand 12.971.604 voix, soit un écart de 424.599 suffrages.
Suivons l’émission C à Vous, présentée par Anne-Élisabeth Lemoine, sur France 5, le 24 avril 2023, émission ayant pour thème, ce jour-là, «Pourquoi Mayotte est-elle restée française contrairement aux Comores?». Patrick Cohen en expose les données principales.
Anne-Élisabeth Lemoine: «Avant d’en venir à la situation actuelle à Mayotte, Patrick, vous posez cette question»: «Pourquoi Mayotte est-elle restée française contrairement aux Comores?».
Patrick Cohen: «Alors, il y a une réponse évidente qui va dans ce sens: parce que les Mahorais l’ont voulu, qu’ils l’ont redit de référendum en référendum, depuis la première consultation de 1974. Mais, en vérité, ça n’allait pas de soi, pas du tout, parce que les Comores formaient un ensemble, un archipel indivisible, qu’il semblait incohérent de vouloir démanteler île par île. C’est ce que le président Valéry Giscard d’Estaing expliquait lors d’une conférence de presse, deux mois avant le référendum [Le 24 octobre 1974]».
Le président Valéry Giscard d’Estaing, lors de la conférence de presse du 24 octobre 1974: «Pour ce qui est de l’île de Mayotte, est-il raisonnable d’imaginer qu’une partie de l’archipel devienne indépendante et qu’une île, quelle que soit la sympathie qu’on puisse éprouver pour ses habitants, conserve un statut différent? Je crois qu’il faut accepter les réalités contemporaines: les Comores sont une unité, ont toujours été une unité, et il est naturel que leur sort soit un sort commun. Nous n’avons pas, à l’occasion de l’indépendance d’un territoire, à proposer de briser l’unité de ce qui a toujours été l’unique archipel des Comores».
Patrick Cohen: Voilà: «“On est très sensible à la singularité de Mayotte, à son amour pour la France, mais on ne va pas saucissonner ou balkaniser les Comores à la faveur de leur indépendance”. Ça, c’était la position du président de la République et du Parlement, puisque la loi prévoyait un référendum global, sur les quatre îles des Comores, dont l’issue, l’issue du référendum ne faisait d’ailleurs guère de doute».
Anne-Élisabeth Lemoine: «Qu’est-ce qui s’est passé alors?».
Patrick Cohen: «Un vote global, mais avec un décompte île par île. C’était aussi dans la loi. Résultat: Mayotte dit “Non” à l’indépendance à 63%, quand les autres îles votent “Oui” à 95%. Les Mahorais disent “Non” pas seulement à une idée, mais à un homme en particulier, celui que la France choisit de placer à la tête du futur État comorien. Il s’appelle Ahmed Abdallah. C’est un riche commerçant anjouanais, de l’île d’Anjouan, la plus proche de Mayotte et la plus peuplée, qui est regardée avec un peu de crainte par les Mahorais, Abdallah qui s’oppose ainsi à l’amputation des Comores».
Ahmed Abdallah, président du Conseil de Gouvernement des Comores: «Pourquoi Mayotte seulement? Est-ce que les trois autres îles n’ont pas été des enfants français? Est-ce que ces trois autres îles n’ont pas été aimées par la France? Est-ce que ces trois autres îles, pendant les heures difficiles de la France, n’ont pas versé leur sang comme les autres? Est-ce qu’il n’y a pas eu plus de Grands-Comoriens, plus d’Anjouanais, plus qu’à Mayotte, qui ont versé le sang en 1914 et en 1941? Et pourquoi aujourd’hui, uniquement Mayotte? C’est un esprit colonial».
Patrick Cohen: «Ahmed Abdallah qui est d’autant plus furieux du possible largage de Mayotte que le sujet a fait l’objet d’un marchandage électoral au plus haut niveau de l’État français».
Anne-Élisabeth Lemoine: «Un marchandage pour la présidentielle de 1974».
Patrick Cohen: «Exactement. François Mitterrand l’a raconté dans son livre Ma part de vérité. Ahmed Abdallah est venu le rencontrer au domicile d’André Rousselet, rue Domat, à 8 jours du second tour, pour lui dire qu’il avait dans la poche 75.000 suffrages tout cuits, mais que, désolé, il les avait déjà promis à Giscard contre l’engagement d’une indépendance des Comores, Mayotte comprise.
Et, le 19 mai [1974] au soir, effectivement – j’ai vérifié les résultats –, Giscard obtenait aux Comores 73.700 voix de plus qu’au premier tour, soit à peu près 20% de ce qui a manqué à Mitterrand pour être élu président cette année-là, et Giscard a annoncé – on l’a entendu tout à l’heure – que les Comores resteraient unies, indivisibles».
Anne-Élisabeth Lemoine: «Et, finalement, la promesse des Comores indivisibles n’a pas été tenue».
Patrick Cohen: «Non. C’est au Parlement que le dilemme est allé grandissant, face à l’activisme du Mouvement populaire mahorais. En juin 1975, les Députés exigent que la future Constitution des Comores soit approuvée île par île. Ce qui revient à refuser d’abandonner Mayotte. Abdallah, qui se sent floué, et on peut le comprendre, proclame unilatéralement l’indépendance des Comores. Les Mahorais se placent alors sous protection de la France. L’Afrique quasi-unanime dénonce “le colonialisme français”. Un mois plus tard, Abdallah est opportunément renversé. Et voilà comment Mayotte est restée française. […]».
Ce ne sont pas des «bavardages» et «supputations» de salon de journalistes parisiens.
2.- Dénonciation par la gauche d’une «cuisine peu conforme aux règles de la démocratie»
Lors de la 1ère séance du 17 octobre 1974 à l’Assemblée nationale (Journal officiel, pp. 5171-5172.), le Député socialiste Alain Vivien (vivant aujourd’hui à Melun), avait dénoncé une «cuisine peu conforme aux règles de la démocratie»: «Mes chers collègues, après ces débats juridiques, s’il fallait qualifier les conditions dans lesquelles nous sommes appelés à débattre du projet de loi tendant à instituer, dans l’archipel des Comores, un référendum sur le thème de l’indépendance, les mots d’incertitude et d’impréparation viendraient à coup sûr à l’esprit. Comment en serait-il autrement? Il y a six mois à peine, en effet, les quatre îles des Comores ont été consultées, comme les autres départements et territoires d’outre-mer, à l’occasion du scrutin présidentiel, sur le destin politique commun à tous ceux qui portent, jusqu’à présent, le nom de “Français”. C’est donc sur des choix essentiels pour la nation que l’avis des Comoriens a été sollicité.
Quelle ironie, quelle gageure si le poids de ces quatre îles dans une élection aussi serrée, avait pesé d’une manière déterminante! Le président de la République, la majorité présidentielle auraient dépendu des quelques dizaines de milliers de voix d’un territoire d’outre-mer sur le point de solliciter son indépendance. Au reste, les Comoriens, quelque fraction qu’ils appartiennent, ne semblent pas s’être trompés sur les privilèges d’une situation politique aussi inespérée. Tandis qu’à Mohéli, à Anjouan et à la Grande-Comore, on votait dès le premier tour pour le candidat UDR, à Mayotte, plus de 60 p. 100 des suffrages se portaient sur Giscard d’Estaing dont on espérait sur place une attitude différente devant le problème mahorais.
À l’occasion du second tour de scrutin, les leaders des trois îles indépendantistes se demandaient quelles seraient les intentions de M. Giscard d’Estaing, puisque M. Chaban-Delmas se trouvait hors de cause et que les Mahorais avaient, si je puis dire, quelques longueurs d’avance dans leur soutien à l’actuel président de la République.
Ce n’est un secret pour personne que des missionnaires d’un genre un peu particulier firent alors le voyage de Paris. M. Giscard d’Estaing, assuré de la fidélité des Mahorais, qui croyaient encore en lui, s’intéresse de fort près aux trois autres îles. Mais pour obtenir sur son nom le report des suffrages comoriens, il fallait passer sous les fourches caudines et accepter le principe de l’indépendance malgré les Mahorais. Pendant que cette cuisine peu conforme aux règles de la démocratie mijotait dans les sphères de la nouvelle majorité, le candidat de la gauche unie, sollicité de préciser sa position, répondait le 13 mai 1974 au président du Conseil de Gouvernement, M. Ahmed Abdallah, qu’en ce qui le concernait, il soutiendrait le principe de l’unité territoriale de l’archipel, si les Comores engageaient le moment venu la procédure tendant à l’indépendance. Il n’y avait donc pas d’ambiguïté de notre côté.
En revanche, si M. Giscard d’Estaing accédait au pouvoir – et il y est arrivé, comme chacun sait –, il devenait évident que, dans cette affaire, quelqu’un serait trompé: ou bien les Mahorais dont on avait obtenu les suffrages au premier tour, ou bien les autres Comoriens envers qui on s’était engagé sur des positions inverses au second tour. Le Gouvernement n’ayant pas, on le sait, l’habitude de faire du sentiment, ses choix penchèrent tout naturellement vers les “gros bataillons”, c’est-à-dire vers la thèse indépendantiste de M. Ahmed Abdallah, qui dispose à Mohéli, à Anjouan et à la Grande-Comore d’une majorité solide».
3.- Le référendum d’autodétermination des Comores, le 22 décembre 1974, objet d’une fraude immense
Le référendum d’autodétermination des Comores, organisé le 22 décembre 1974, n’était pas démocratique. Il devait juste faire accréditer l’idée selon laquelle, à 95%, les Comoriens avaient «voté» pour l’indépendance. Pour nier aux Mahorais leur droit à l’autodétermination, les augures de la politique en Grande-Comore et à Anjouan aiment s’indigner en ces termes: «Mayotte prend en otages les Comores entières pour une affaire de 4.000 voix. Tout ça pour 4.000 voix!». Ils prétendent qu’à Mayotte, le «Non» à l’indépendance l’avait emporté par fraude de la part du Mouvement populaire mahorais (MPM), qui… n’organisait par ce vote.
À Mayotte, les résultats de deux bureaux de vote ont été invalidés du fait d’actes de fraudes et de violences des indépendantistes procomoriens. D’une part, à Acoua, où votaient aussi les électeurs de Mtsangadoua et Chembenyoumba, des militants du MPM avaient été privés d’élection car on avait frauduleusement voté pour eux. Ahmed Fadhul Soilihi Ahmed dit Soilihi Henry, assesseur suicidaire du MPM au bureau de vote d’Acoua le 22 décembre 1974, avait noté toutes les irrégularités, et les résultats de la localité, d’ailleurs rejetant l’indépendance et l’appartenance de Mayotte aux Comores, avaient été invalidés à cause de ces cas de fraude organisés par les Comores et leurs indépendantistes à Mayotte. D’autre part, à Mtsapéré, la Citroën Méhari de Zoubert Adinani (parti en pèlerinage en Arabie Saoudite), conduite par Adrien Giraud, assesseur du MPM, avait été jetée dans les eaux de l’océan par des jeunes indépendantistes, procomoriens, qui allaient déclencher partout à Mtsapéré d’autres actes de violence, d’intimidation et de fraude. Pour ces raisons, les résultats du bureau de vote de Mtsapéré avaient été invalidés, et pas par le MPM. Qu’on se le dise!
Par ailleurs, les Mohéliens avaient organisé pour les femmes militantes de Mayotte en 1974 le plus grand accueil populaire de toute l’Histoire des Comores. Bien qu’étant gamin, j’avais suivi ce spectacle grandiose caractérisé par une très longue procession, dont la destination était le domicile, à Djoiezi, de la regrettée Raoudhoi Ali dite Dada, fille du surnommé Ba Magoa, que les Anciens de Sada connaissent très bien pour son talent de constructeur de navires. La classe politique de Mohéli n’avait pas reçu les Mahoraises, mais celles-ci furent reçues par la population mohélienne dans un accueil de très haute tenue, quand Mohéli répétait le mot d’ordre de Mayotte: «Le Comorien est incapable de nourrir un autre Comorien». Le policier Hadj Ousseine Mkandra avait lancé une boutade ayant fleuri comme jardin au printemps à Mohéli, transformant le slogan «Indépendance et travail» en «Est-ce vraiment indépendance et travail ou indépendance et vol?». Madi Soilihi, influent notable et grand propriétaire terrien de Djoiezi, avait dit préférer mourir plutôt que de voir les Comores dans l’indépendance. Il est mort en janvier 1975, avant la proclamation de l’indépendance, le 6 juillet. Ahmed Abdallah Abderemane demandera à son Préfet à Mohéli de faire voter le «Oui» à 100%. Le «Non» obtiendra quand même… 5 voix dans la honte! Ridicule!
4.- Faire fausser les résultats à Mayotte en faveur de l’indépendance et de l’appartenance aux Comores
Contrairement à ceux qui parlent d’une «manipulations de la France» pour que les résultats du scrutin du 22 décembre 1974 soient comptés île par île et non dans un cadre territorial global, Ahmed Abdallah Abderemane avait accepté le principe des résultats île par île, comptant sur sa sempiternelle fraude électorale pour imposer le «Oui» à Mayotte. Sa fraude incluait l’envoi de nombreux Anjouanais à Mayotte, pour y fausser l’équilibre démographique. Il avait également empêché des milliers de Mahorais proches du MPM de voter, pendant que les électeurs de Grande-Comore et d’Anjouan qui ne figuraient pas sur les listes électorales étaient tous inscrits sur celles-ci, dans la précipitation douteuse.
Prenons connaissance de quelques passages du Rapport de la Commission parlementaire française qui avait effectué une mission aux Comores du 10 au 23 mars 1975:
- «Des manœuvres d’obstruction de toutes sortes exercées par les fonctionnaires pour qu’elle [“la population de Mayotte”] ne puisse participer à la consultation».
- «À tous les niveaux, des coupes sombres sont opérées au détriment des électeurs suspectés d’apporter leurs suffrages au Mouvement populaire mahorais […]».
- «Des milliers d’électeurs favorables au Mouvement populaire mahorais» sont privés de vote.
- «Tous ces citoyens n’ayant pu participer à ce scrutin étaient partisans du Mouvement populaire mahorais, les autres ayant bénéficié de toutes facilités à la Préfecture pour obtenir leur inscription… ou leur double inscription».
- Du 3 au 7 décembre 1974, quelque 3.000 électeurs ont été exclus des listes, et le Tribunal de Mamoudzou refusa de statuer sur leur cas. Dans l’ensemble, 4.336 électeurs ont signalé leur non-inscription sur la liste des électeurs, mais seuls 1.868 ont pu voter.
- À Anjouan, île d’origine Ahmed Abdallah Abderemane, 8.084 électeurs ayant signalé leur non-inscription sur les listes des votants ont pu voter sauf 8 (ridicule et pathétique!), contre 11.032 sur 11.104 à la Grande-Comore (72 rejets, juste, juste, pour la forme).
- Pourtant, à Mayotte, le «Non» l’a emporté à 091 voix contre 4.299.
- Le résultat du scrutin à Mayotte «représente un pourcentage de “non” d’environ 65%. Encore semble-t-il que ce pourcentage eût été plus élevé sans diverses irrégularités».
Claude Gerbet, Rapporteur de l’Assemblée nationale lors de la mission parlementaire de mars 1975, note: «D’autre part, il paraît peu contestable que, en l’absence de toute irrégularité électorale, le pourcentage du “non” recueilli à Mayotte le 22 décembre eût été beaucoup plus élevé que les 65 pour cent officiellement proclamés. On ne saurait donc craindre, semble-t-il, que la prise en considération des souhaits du Mouvement mahorais soit de nature à entraîner dans cette île des troubles de quelque importance».
Donc, les résultats staliniens exhibés par Ahmed Abdallah Abderemane pour l’indépendance des Comores relèvent du faux et non d’un scrutin libre, indépendant et démocratique.
Par ARM
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