Vasectomie partisane et multipartisme de monopartisme
La loi supplante la Constitution et interdit le pluralisme pur
Par ARM
Une fois de plus, il faut expliquer ce qu’est la Pyramide de Hans Kelsen (1881-1973), celle de la hiérarchie des normes juridiques. Au sommet de cette Pyramide, on retrouve la Constitution en tant que «Magna Carta», la Grande Charte, la norme suprême de l’État. Cela signifie que toutes les règles de Droit au sein de la société concernée doivent se conformer à cette Constitution, sous peine d’inconstitutionnalité et donc de nullité sur le plan juridique. C’est de cette supériorité qu’est née la notion de «bloc de constitutionnalité», constitué de l’ensemble des principes et dispositions que la loi doit respecter et dont le juge constitutionnel (aux Comores, la Cour constitutionnelle) est le garant. Après la Constitution, viennent les lois organiques, les lois ordinaires et les différents règlements, eux-mêmes hiérarchisés.
Malheureusement, aux Comores, les autorités n’ont jamais entendu parler de la hiérarchie des normes juridiques, et donc, du primat de la Constitution. Pour preuve, en 2009-2010, les juristes comoriens furent saisis de vomissements sans arrêt quand ils entendirent le «juriste» attitré d’Ahmed Sambi dire que la Loi pouvait être rétroactive et qu’une autorité insulaire élue en 2007 en tant que «Président de l’île autonome» pouvait et devait devenir «Gouverneur de l’île autonome» en 2009, année du dévergondage de la Constitution, alors que celle-ci a posé le principe de la non-rétroactivité de la Loi.
Et, le lundi 9 janvier 2017, les Comores ont renoué avec leurs vieux démons, ceux qui placent de considérations politiciennes avant la Constitution. En effet, à cette date, Kiki, qui surestime quelque peu sa propre importance, réunit la classe politique et lui dit qu’en vertu d’une loi anticonstitutionnelle, seuls six partis politiques sont autorisés aux Comores: RDC, UPDC, CRC, Juwa, RADHI et Orange. On dit aux Comoriens que cette interdiction qui correspond à une vasectomie politique est fondée sur la loi. Or, il s’agit d’une loi qui viole la Constitution comorienne, et qui est donc nulle et non avenue.
Pour nous en rendre compte, il suffirait à peine de signaler qu’aux termes de l’article 3 de la Constitution comorienne, «la souveraineté appartient au peuple qui l’exerce, dans chaque île et dans l’ensemble de l’Union, par ses représentants élus ou par la voie du référendum. Aucun groupement ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice». Retenons l’expression selon laquelle en matière de souveraineté nationale, «aucun groupement ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice», puisque cette souveraineté nationale appartient à toute la nation, et non à un «individu» ou à un «groupement». Et, le choix du mot «nationale» et non «populaire» a son sens, renvoyant à une idée de globalité de la nation et non aux fractions artificielles du peuple, quand on parle de «souveraineté populaire».
Qui plus est, l’article 6 de la Constitution comorienne dispose: «Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage, ainsi qu’à la formation civique et politique du peuple. Ils se forment et exercent librement leur activité, conformément à la loi de l’Union. Ils doivent respecter l’unité nationale, la souveraineté et l’intangibilité des frontières des Comores, telles qu’internationalement reconnues, ainsi que les principes de la démocratie». On apprend ainsi que pendant que Kiki interdit certains partis politiques, la Constitution, norme juridique suprême des Comores, pose le principe selon lequel les partis politiques «se forment et exercent librement leur activité».
L’expression «conformément à la loi de l’Union» peut être appréciée de diverses manières. On peut considérer que la «Loi de l’Union» porte la majuscule et renvoie à toute norme juridique pertinente. Il peut s’agir de la Constitution elle-même ou d’une loi (avec une minuscule) sur les partis politiques, à condition que ladite loi respecte la Constitution. Or, quelles sont les conditions posées par la Constitution aux partis politiques? Ces formations partisanes «doivent respecter l’unité nationale, la souveraineté et l’intangibilité des frontières des Comores, telles qu’internationalement reconnues, ainsi que les principes de la démocratie». De surcroît, l’article 6 de la Constitution n’est assorti d’aucune loi organique.
Or, ce n’est pas en se basant sur ces principes que le législateur comorien interdit les partis politiques, mais en tenant compte du nombre d’élus de chaque formation politique. Ce verrou est anticonstitutionnel et antidémocratique. Dans tous les États démocratiques, il existe des «partis de gouvernement», qui ont vocation à gouverner, et des partis qui se limitent à la fonction tribunitienne, qui se bornent donc à faire des discours pour dénoncer et se poser en protecteurs de la veuve et de l’orpheline. En France, Lutte Ouvrière et le Nouveau Parti anticapitaliste sont très présents sur la scène politique, même si cette présence n’est pas le reflet de leur électorat. Pourtant, personne n’a songé à les interdire un jour. Toujours en France, lors de l’élection présidentielle de 1974, Jean-Marie Le Pen obtenait 0,75% des voix, mais était au second tour du scrutin présidentiel de 2002, avec un score de 16,86%. Au second tour, il obtenait 17,79%. Plus tard, le mardi 10 janvier 2017, un sondage Ifop-Fiducial pour Paris Match, iTélé et Sud-Radio plaçait Marine Le Pen, la fille de Jean-Marie Le Pen, en tête du premier tour de l’élection présidentielle de 2017. En politique, un nain peut devenir un géant. C’est juste une question de temps. Donc, il ne faut pas empêcher la croissance du nain.
D’accord, les Comores ne sont pas la France. Mais, qu’est-ce qui empêche les Comores de se comporter en pays civilisé, en imitant les mœurs démocratiques des pays développés, au lieu de s’accrocher à des méthodes politiques barbares, sauvages et décadentes? Le Docteur Abdou Ousseine, Président de l’Assemblée de l’Union des Comores, n’est pas connu pour dire des choses sensées, et il n’étonne strictement personne quand il dit niaisement: «Trois ans après son adoption et sa promulgation, la loi s’applique dès ce 10 janvier. Cette loi va nous permettre d’avoir des partis politiques répondant à certains critères de la vie politique mais aussi réduire un peu les partis politique dans notre pays».
Mais, pourquoi cette obsession de réduire des partis politiques qui ne bénéficient d’aucun financement de l’État? Kiki et le Docteur Abdou Ousseine ne savent pas que le Mali compte 176 partis politiques, contre 140 au Tchad. On est mort de rire quand on entend Kiki crâner en ces termes: «Nous allons nous asseoir et parler de cette loi. S’il y a des modifications à faire, on va les faire. Notre objectif n’est pas de faire disparaître les autres partis. La preuve il y a le groupement politique dans cette loi».
Quelle bêtise! Depuis quand peut-on confondre «partis politiques» et «groupements de partis politiques»? Naturellement, ces gens du pouvoir ne sont pas dans une logique de Droit mais de rapport de forces. Ce n’est pas parce qu’Ikililou Dhoinine a promulgué une loi scélérate qu’il faut s’enfermer dans l’inconstitutionnalité. Pauvre île de Mohéli, qui a livré un combat politique de 50 ans dont le seul résultat a été l’élection d’un homme qui n’a fait que la faire traîner dans la boue par des actes malheureux et l’arrogance destinés à tenter d’occulter d’horribles complexes. Au train où vont les choses, le «concubinocrate» Azali Assoumani va bientôt décréter le «multipartisme de monopartisme» au profit de la CRC. La classe politique nationale comorienne a déjà subi une vraie vasectomie en matière de partis politiques.
Par ARM
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© www.lemohelien.com – Mercredi 11 janvier 2017.