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Coco Djoumoi, grande figure épique et héroïque de Mayotte française, est morte

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Coco Djoumoi, grande figure épique et héroïque de Mayotte française, est morte

C’était une femme d’une inébranlable piété, conviction et d’un engagement fidèle

Par ARM

«Très certainement, Nous vous éprouverons par un peu de peur, de faim et de diminution de biens, de personnes et de fruits. Et fais la bonne annonce aux endurants, qui disent, quand un malheur les atteint: “Certes nous sommes à Allah, et c’est à Lui que nous retournerons”. Ceux-là reçoivent des bénédictions de leur Seigneur, ainsi que la miséricorde; et ceux-là sont les biens guidés» (II, La Vache, 155-157).

     Comme le cyclone Chido du 14 décembre 2024 s’était acharné sur ma ligne de téléphone avec une haine indicible, en la réduisant en petites miettes, quand il a découpé branche par branche le manguier dont elle traversait le feuillage dans ma cour, et comme ladite ligne n’est toujours pas rétablie, donc pas de télévision à la maison, c’est une amie qui m’a appelé et m’a dit: «J’ai une mauvaise nouvelle à t’annoncer: Coco Djoumoi est morte». Cette amie m’a appelé dès le début du journal télévisé de 19 heures sur Mayotte la 1ère, ce mercredi 18 juin 2025, parce qu’elle connaît l’immense respect et l’incommensurable admiration que j’ai pour la regrettée Coco Djoumoi, cette femme formidable et remarquable qui a beaucoup fait pour que Mayotte reste dans la souveraineté à laquelle elle se réclame et est vraiment Mayotte depuis le 25 avril 1841, celle bienveillante de la France.

     Mayotte vient de perdre une femme qui aimait son île, une héroïne d’engagement civique et politique sincère, qui faisait partie des militantes visées par une tentative d’emprisonnement pour leur combat en faveur de leur île, des militantes que le Préfet venu d’Anjouan voulait tuer par un riz empoisonné, un riz ayant été fatal aux poules qui l’avaient consommé devant elles. C’est une militante qui avait reçu des menaces de mort, notamment le jour de l’assassinat de la regrettée Zakia Madi, le 13 octobre 1969, à la jetée de Mamoudzou. Les yeux dans les yeux, des membres de la Garde des Comores l’avaient menacée d’assassinat.

     J’ai eu l’insigne honneur et le grand privilège d’être reçu à domicile, à Labattoir, par la regrettée Coco Djoumoi, de m’entretenir avec elle et d’enregistrer mot à mot, dans mon petit magnétophone, le récit de sa vie. C’était le jeudi 15 décembre 2022. J’étais alors plongé dans mes enquêtes sur le terrain pour recueillir des témoignages sur le parcours des Mahorais et des Mahoraises dont la biographie devait constituer le cœur palpitant et saignant de mon livre Grandes figures politiques de Mayotte.

     Avant ma rencontre mémorable avec la regrettée Coco Djoumoi, une autre bénédiction m’avait permis d’être reçu chez elle, à Pamandzi, par une autre grande héroïne de la grande épopée des années 1960-1970 à Mayotte: MmeZoubadou Abdou Moilim, le dimanche 11 décembre 2022. Lors de ce très bel entretien Mme Zoubadou Abdou Moilim m’avait dit, en substance: «Si tu arrives à discuter avec Coco Djoumoi, tu apprendras des choses très édifiantes. Coco Djoumoi pagayait, avait une capacité extraordinaire de pagayer sur une pirogue, portant un turban, à une époque où les transports maritimes se faisaient par pirogue. Elle transportait les gens en pirogue d’une île à une autre de Mayotte, et pagayait avec une énergie fabuleuse. Il faut savoir qu’à cette époque, les autorités de Moroni nous privaient de tout moyen de transport rapide. Celui qui n’a pas vécu ces moments épiques n’en connaîtra pas la grandeur. Ceux qui n’ont pas assisté à ces évènements n’ont pas eu la chance de voir la beauté des choses. Je répète: Coco Djoumoi avait une capacité extraordinaire à manier les pagaies. Toute guerre a ses chefs. Dans le combat mené par Mayotte, Coco Djoumoi avait un grade très élevé et jouait un rôle de premier ordre»: Citée par Abdelaziz Riziki Mohamed: Grandes figures politiques de Mayotte. Tome II. Des pionniers et pionnières aux héritiers, Les Éditions Sépia, Paris, 2024, p. 181.

     Pour sa part, la regrettée Coco Djoumoi m’a retracé toute sa vie, en m’expliquant dans les détails les risques pris par ses sœurs de combat et elle-même. De cet entretien, je retiens avant tout sa foi en Dieu. Elle s’en remet constamment à Dieu, place en tous ses espoirs en Dieu, parle de Mayotte avec beaucoup d’amour. Je souhaite partager avec vous quelques passages de mon livre où elle parle de son engagement dans le combat pour que Mayotte reste dans la souveraineté de la France.

     La regrettée Coco Djoumoi: «Toute l’Histoire entre Mayotte et les Comores est basée sur l’injustice. C’est cette injustice qui a motivé notre combat. Quand nous avons commencé notre militantisme en faveur de Mayotte, nous étions encore très jeunes. Il y avait nos parents et nos autres aînés. Notre île subissait de telles injustices de la part des Grands-Comoriens et des Anjouanais que nous avions décidé de défendre nos propres intérêts face à la Grande-Comore et à Anjouan. Nous n’étions en guerre contre personne. Nous priions et agissions pour notre île. Nous basions tout sur la prière. Nous avions décidé de placer nos espoirs en Dieu. Nous nous rassemblions et nous disions:“Adressons nos prières à Dieu”. Dans chaque village, dans chaque localité, les gens priaient et demandaient l’aide de Dieu». Nous demandions à Dieu de nous aider à finir notre action politique saines et sauves. Nous ne menions pas une guerre contre des personnes et leur vie. J’étais très engagée dans la mobilisation populaire, dans l’action de revendication de nos droits. Nos parents priaient pour nous avant chaque action que nous devions mener» (p. 191).

     La regrettée Coco Djoumoi poursuit son récit émouvant: «On nous emprisonnait souvent. On nous maltraitait. On nous faisait subir des mauvais traitements. L’organisateur de cette répression était une autorité originaire d’Ouani, à Anjouan: il s’agit d’Abdoulkarim Saïd Omar, chef de Subdivision à Mayotte. Il nous a réprimées, maltraitées, torturées, malmenées de différentes manières, de façon constante. En fin de compte, il voulait nous faire mourir. Oui, il voulait nous mettre à mort. Il voulait nous faire tuer par empoisonnement collectif. Abdoulkarim Saïd Omar ordonnait notre bastonnade quand il nous faisait emprisonner. La nuit, en dormant, nous faisions de nos propres vêtements nos matelas et nos oreillers. Nous devions dormir dessus, après les avoir pliés. Abdoulkarim Saïd Omar nous privait même de nos vêtements, en les confisquant arbitrairement. Nous lisions et relisions les textes religieux du Taïba Al Asmae. Nous le faisions de jour comme de nuit, de nuit comme de jour» (pp. 191-192).

     C’est à la suite de ça que la regrettée Coco Djoumoi parle de la tentative d’assassinat par riz empoisonné.

     Voici une autre partie de son récit qui vaut d’être connue: «Le jour où Zakia Madi a été tuée, je n’étais pas à l’embarcadère de la ville de Mamoudzou. En réalité, c’est moi qui étais visée. C’est moi que ces gens-là voulaient assassiner. Le jour de cet assassinat, les gens qui ont planifié et exécuté cette mise à mort m’ont vue installée sous ma véranda, chez moi. Ils m’ont menacée de mort: “Nous te visons. Quand ton jour viendra, tu verras ce qui t’arrivera”. Dieu a voulu que je parte aux champs. C’est après que j’ai appris l’assassinat de Zakia Madi. C’est moi qui étais visée. J’étais partout où il y avait de l’action pour revendiquer les droits de Mayotte. Les autorités avaient fait de moi la personne à abattre. Dieu a rejeté leurs plans d’assassinat sur moi. L’assassinat de Zakia Madi avait provoqué une onde de choc incroyable ici, à Mayotte. Que Dieu nous garde en vie et en bonne santé. Nous plaçons tous nos espoirs en Dieu. Mon fils, nous avons souffert sur cette île. L’autorité nous emprisonnait quand elle le désirait. L’autorité tirait sur nous à balles réelles. L’autorité nous persécutait. Que devions-nous faire? Nous étions restées sur la prière, que nous adressions à Dieu. Nous multipliions les prières. Nous continuions à implorer Dieu. Nous ne nous battions physiquement contre personne. Nous n’étions en dispute contre personne. Nous implorions Dieu» (pp. 192-193).

     La regrettée Coco Djoumoi: «Pourquoi nous sommes-nous mobilisées pour défendre les intérêts de Mayotte? Pour répondre à cette question, il faut avoir à l’esprit ce que nous subissions de la part des Grands-Comoriens et des Anjouanais. Ils avaient un profond mépris envers nous. Nous, à Mayotte, avions l’habitude de faire de l’agriculture. Nous cultivions des quantités de riz paddy. Le riz ne coûtait rien à cette époque. Avec 2 francs, on en achetait des quantités. Même avec des petits sous, des centimes de notre franc, on achetait des quantités de riz. Quand on se rendait au bord de l’océan, on rencontrait des gens qui avaient à leurs côtés de grandes quantités de poissons. Avec des centimes appelés petits sous, on achetait du poisson en quantité. Il y avait même des gens qui disaient: “Maman, prenez ce poisson gratuitement et rentrez chez vous”. Les Grands-Comoriens et les Anjouanais ont décrété que les Mahorais étaient des sous-hommes. Pour eux, nous ne sommes pas des êtres humains» (p. 193).

     Le récit continue: «Abdoulkarim Saïd Omar d’Ouani, à Anjouan, parce qu’il était sur notre île chef de Subdivision, se présentait devant nous et nous disait: “Tu dois te préparer à déguerpir de ton terrain. Je me suis déjà rendu au Service du Domaine et je me suis approprié ta terre. J’ai tous les documents officiels qui confirment ce changement de propriétaire en ma faveur”. Tu pouvais avoir ton terrain, y faire de la culture de plusieurs choses, et t’y faire chasser par des dirigeants anjouanais, qui usaient du faux et de la force» (pp. 193-194).

     La regrettée Coco Djoumoi dit également: «Je suis née ici, à Labattoir. Je suis née “L’Année des Anglais”. À cette époque, il n’y avait ni ces avions, ni ces voitures. Les gens des Comores nous ont maltraités. Les Comoriens nous ont fait subir trop de maltraitances. Que devrions-nous faire alors? Nous avions choisi de placer nos espoirs en Dieu. Dieu est le plus Grand. L’Anjouanais est présent à Mayotte. Le Grand-Comorien est présent à Mayotte. D’autres peuples sont présents à Mayotte. Le jour où Saïd Mohamed Cheikh a été malmené par la population de Petite Terre, survoltée, j’étais encore très jeune. J’y assistais en spectatrice, en suivant nos parents. Quand je suis devenue une véritable cheffe de notre Mouvement, j’avais dans les 30 ans. Au début, je suivais les actions de nos aînés et parents défendant les intérêts de Mayotte. Par la suite, je conduisais une pirogue, en transportant des militantes et des militants entre Dzaoudzi et Mamoudzou, entre Mamoudzou et Dzaoudzi. Nous n’avions même pas des chaussures. Nous luttions pieds nus. C’était à une époque où les Mahorais étaient des Mahorais. Nous étions des Mahorais. Nous militions en tant que Mahorais» (p. 194).

     Naturellement, il est impossible de rater ce passage émouvant pour Mohéli: «J’ai visité les îles voisines. J’étais à Mohéli. J’enseignais les chants du Déba aux femmes de Mohéli. J’ai de nombreuses relations personnelles sur l’île de Mohéli» (p. 195).

     Et pour finir: «Il s’est passé beaucoup de choses à Mayotte. Elles sont loin derrière nous. C’est le passé. On est loin du temps où nous étions vraiment mobilisés pour Mayotte. Malgré les divergences politiques entre certains adversaires, nous étions unis. Souffou Sabili était des nôtres. Après, chacun dit ce qu’il veut. Des détails importants de notre Histoire sont oubliés. Les traces du passé sont souvent effacées par le temps. Tout ce que Dieu fait est bon. Les militantes de la Grande Époque ont presque toutes disparu. Quand nous nous retrouvons entre survivantes, nous nous retrouvons dans ce que nous avons fait ou essayé de faire pour notre île» (p. 196).

     Quand on parle de la regrettée Coco Djoumoi, tous les superlatifs laudateurs sont permis. Elle était une grande combattante. J’insiste sur le fait qu’elle était très pieuse, aimait Mayotte, et avait des convictions civiques et politiques inébranlables.

     L’avoir rencontrée reste un immense honneur et privilège pour moi. Bien plus, c’était une bénédiction.

«Très certainement, Nous vous éprouverons par un peu de peur, de faim et de diminution de biens, de personnes et de fruits. Et fais la bonne annonce aux endurants, qui disent, quand un malheur les atteint: “Certes nous sommes à Allah, et c’est à Lui que nous retournerons”. Ceux-là reçoivent des bénédictions de leur Seigneur, ainsi que la miséricorde; et ceux-là sont les biens guidés» (II, La Vache, 155-157).

     En cette douloureuse circonstance, je présente mes sincères condoléances à sa famille, à toute l’île de Mayotte et à toute personne qui se sent concernée par cette immense perte. Je prie Dieu, dans Sa Miséricorde Infinie et dans Sa Grande Clémence, d’accorder à la disparue le privilège d’être parmi les habitants de Sa demeure éternelle du Paradis.

Par ARM

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© www.lemohelien.com – Jeudi 19 juin 2025.


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