Mort de Sam Nujoma, le père de l’indépendance de la Namibie
Il était charismatique dans une Afrique de tyrans et d’usurpateurs
Par ARM
L’historien ivoirien Tiemoko Coulibaly avait dû fuir la Côte-d’Ivoire, son pays, pour se réfugier aux États-Unis, à la suite de la soutenance de sa Thèse de Doctorat à l’Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne (1998). Il n’avait enfreint aucune loi. Il n’avait désobligé personne. Il n’avait commis aucun crime. Il avait tout juste démontré la fausseté et le mensonge de la propagande officielle sur Félix Houphouët-Boigny, le premier Président de son pays, que les thuriféraires laudateurs et applaudisseurs, dans une historiographie hagiographique de mendicité obséquieuse, qualifient de «libérateur de l’Afrique du colonialisme». Rien que ça?
Tiemoko Coulibaly explique que Félix Houphouët-Boigny avait été ministre à Paris du 1er février 1956 au 19 mai 1961, un des rédacteurs de la Constitution de la Vème République, un dirigeant très proche de la France, l’ancienne puissance coloniale de son pays, au point d’avoir refusé sans succès l’indépendance de la Côte-d’Ivoire. En effet, «Houphouët ne voulait pas de cette indépendance. Il reprocha amèrement à de Gaulle de l’avoir imposée, d’avoir abandonné le projet de Communauté francophone sous hégémonie française officielle. Mais, avait compris le Général, un tel Empire new-look serait intenable, du moins en gestion directe. Houphouët ne s’y est jamais fait: “J’ai attendu en vain sur le parvis de l’église, avec mon bouquet de fleurs fanées à la main”. Faute de mariage, va pour le concubinage! Les accords de coopération signés dès 1961 reprenaient de fait l’essentiel des dispositions financières et militaires prévues par la Communauté. Dans ce cadre, Houphouët “oubliera très vite sa déception pour prendre en main la défense des intérêts de la France en Afrique”»: François-Xavier Verschave: La Françafrique. Le plus long scandale de la République, Stock, Paris, 1999, p. 130.
Évoquant le sort funeste imposé à Tiemoko Coulibaly, le regretté Louis Sanmarco, ancien administrateur de colonies françaises en Afrique, soupire: «Pour créer un pays, il faut des mythes… On refait l’histoire comme on peut»: Gouverneur Sanmarco et Samuel Mbajum: Entretiens sur les non-dits de la décolonisation. Confidences d’un Administrateur des Colonies, Préface du Président Abdou Diouf, Les Éditions de l’Officine, Paris, 2007, p. 69.
Mais, en Afrique, il n’y a pas que l’exagération sur les supposés libérateurs, qui ont fait dire ceci à l’excellent Jean Malaurie dans son émouvante lettre de mars 1986 à son ami René Dumont: «L’Histoire contemporaine a montré que ce noble mot de liberté allait servir à masquer, souvent, des dominations claniques implacables, manipulées par des forces extérieures. De jeunes bourgeoisies urbaines et fonctionnariales, méprisantes à l’égard de cette paysannerie dont elles sont issues, prennent cyniquement le relais du néocolonialisme. Inattaquables parce qu’issues de pouvoirs indépendants, ces nouvelles classes possédantes filtrent l’aide au Tiers-monde et la planifient dans le sens de leurs intérêts particuliers. En de nombreux pays africains, l’échec est si patent que les populations rurales – premières et pitoyables victimes des oppressions – en arrivent à silencieusement regretter le temps ancien du colonialisme»: Jean Malaurie: Du danger des idées fausses dans les politiques de développement en Afrique Noire, in René Dumont en collaboration avec Charlotte Paquet: Pour l’Afrique j’accuse. Le Journal d’un agronome au Sahel en voie de destruction, Postface de Michel Rocard, Librairie Plon, Collection «Terre humaine», Paris, 1986, p. 402.
René Dumont lui-même, que personne n’a soupçonné un jour de colonialisme, avait écrit au début des indépendances africaines: «Quelques jours auparavant, les paysans de la cuvette congolaise m’avaient dit: “L’indépendance, ce n’est pas pour nous, mais pour les gens de la ville”. En octobre 1961, le maire de Ngonksamba, au Cameroun, déclarait au Premier ministre [Charles] Assalé: “La masse a l’impression que la souveraineté nationale a créé une classe de privilégiés qui se coupe d’elle… Nous tendons vers un pire colonialisme de classe”»: René Dumont: L’Afrique noire est mal partie, édition revue et corrigée, Éditions du Seuil, Collection «Politique», Paris, 1963, p. 5.
Nelson Mandela et Sam Nujoma
La réflexion du charismatique Nelson Mandela sur le sujet vaut également d’être connue: «Parmi la multitude de ceux qui ont traversé l’Histoire, ont lutté pour la justice, certains ont commandé d’invincibles armées de libération, ils ont mené des soulèvements et ont fait d’énormes sacrifices afin de libérer leur peuple du joug de l’oppresseur. Ils voulaient améliorer leur existence en créant des emplois, en bâtissant des maisons, des écoles, des hôpitaux, en introduisant l’électricité et en apportant une eau potable et saine jusqu’aux zones rurales. Leur but était de supprimer le fossé entre les riches et les pauvres, entre les intellectuels et les analphabètes, entre les bien-portants et les malades. Bien sûr, jusqu’au bout du compte, les régimes réactionnaires étaient renversés, ces libérateurs mettaient toutes leurs capacités, dans la limite de leurs ressources, à remplir ces nobles objectifs et à mettre en place un gouvernement libre de toutes les formes de corruption.
Les opprimés nourrissaient l’espoir de voir leurs rêves se réaliser, de regagner enfin la dignité d’homme qu’on leur avait refusée pendant des décennies ou même des siècles. Mais l’Histoire ne cesse de jouer des tours, même aux héros de la liberté les plus célèbres et les plus aguerris. Souvent, les révolutionnaires d’autrefois ont succombé à l’appât du gain, et se sont laissé prendre à la tentation de confisquer des ressources publiques pour leur enrichissement personnel. En amassant de vastes fortunes personnelles, et en trahissant les nobles objectifs qui les avaient rendus célèbres, ils abandonnaient de fait les masses populaires et se rapprochaient des anciens oppresseurs, qui s’enrichissaient en spoliant sans pitié les plus pauvres parmi les plus pauvres»: Nelson Mandela: Conversations avec moi-même, Traduit de l’anglais par Maxime Berrée, Ouvrage publié sous la direction de Jean-Louis Jestjens, Les Éditions de la Martinière, Paris, 2010, p. 438.
Nous voici en Namibie, pays d’Afrique australe situé sur la côte atlantique. Ce 8 février 2025, la Namibie a perdu Sam Nujoma, son premier Président (1990-2005). Ce dernier avait vu le jour le 12 mai 1928. Il avait passé une grande partie de sa vie (1959-1990) à lutter contre la colonisation de son pays par l’Afrique du Sud du hideux et inhumain apartheid. Son mouvement de libération nationale (MLN) s’appelle l’Organisation du Peuple du Sud-ouest africain (SWAPO).
Oliver Tambo (Afrique du Sud), Sam Nujoma (Namibie) et Kenneth D. Kaunda (Zambie)
Mais, on déplore son changement de la Constitution pour pouvoir briguer un troisième mandat présidentiel et l’autoritarisme qu’il avait manifesté avant de quitter le pouvoir. On l’avait alors surnommé «Le Petit Robert Mugabe». Or, bien avant l’indépendance de son pays en 1990, il avait joliment déclaré: «C’est pour cette raison qu’il est naturel d’attendre de nous, les dirigeants des mouvements de libération, un engagement en ce qui concerne le respect des droits de l’homme »: Sam Nujoma: Intervention lors de la «Conférence internationale de Dakar sur la Namibie et les droits de l’homme: d’hier à demain», Revue des Droits de l’Homme, Volume IX, 2-3, Éditions Pedone, Paris, 1976, p. 222.
L’inévitable René Dumont avait collaboré avec un dirigeant d’Afrique australe qui avait beaucoup fait pour la libération de l’Afrique du Sud et la Namibie: Kenneth D. Kaunda, ancien Président de la Zambie. Il avait écrit ce qu’il aurait pu écrire sur Sam Nujoma: «Kenneth Kaunda, cet honnête homme que le pouvoir a corrompu»: René Dumont avec Charlotte Paquet: Démocratie pour l’Afrique. La longue marche de l’Afrique Noire vers la liberté, Éditions du Seuil, Collection «Points actuels», Paris, 1991, p. 113.
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