Les institutions comoriennes vues par les citoyens
Par Mme Maliza Youssouf Saïd
Il y a quatorze ans exactement, la République Fédérale Islamique des Comores cédait la place à l’Union des Comores, à l’issue des Accords de Fomboni qui posèrent les bases d’une nouvelle Constitution. Celle-ci sera adoptée par référendum le 23 décembre 2001. Érigeant les îles en entités autonomes, la nouvelle Constitution semblait répondre à une des principales revendications du mouvement séparatiste qui avait, trois années durant, entraîné en sécession l’île d’Anjouan. Mais, la nouveauté, et sans aucun doute la plus caractéristique de cette nouvelle Constitution, est l’instauration d’un système de «présidence tournante» entre les îles tous les quatre ans (cette durée sera portée à cinq ans suite à la réforme constitutionnelle de 2009). À l’heure où de nombreuses voix se sont élevées, au lendemain de la célébration des quarante ans de l’indépendance, pour réclamer l’organisation d’assises nationales, il nous semblait pertinent de mesurer, sur la base d’un sondage d’opinion, la perception globale qu’ont nos concitoyens de certains aspects de l’organisation des institutions comoriennes. Alfred Sauvy disait que: «L’opinion publique est souvent une force politique, et cette force n’est prévue par aucune Constitution».
Un premier constat, le débat intéresse davantage les hommes que les femmes. Sans surprise, les premiers constituent 61,2% de nos sondés. La tranche d’âge entre 18 et 25 ans, ne représente que 12,6% des personnes ayant répondu à l’étude, tandis qu’ils étaient 37,9% à avoir entre 25 et 35 ans et 35,9% à être âgés de 36 à 50 ans.
I.- Sur la perception des citoyens comoriens sur le fonctionnement des institutions
À la question «Êtes vous satisfait du fonctionnement des institutions comoriennes telles qu’elles résultent de la Constitution de 2001, réformée en 2009?», la grande majorité, soit 86,4% des personnes interrogées, expriment clairement leur insatisfaction. C’est dans le même esprit que 85,6% des sondés souhaitent une profonde réforme des institutions comoriennes quand seulement 12,6% y sont défavorables et que 1,9% ne se prononcent pas.
En revanche, les avis sont moins tranchés lorsqu’il s’agit de déterminer dans quelle mesure, ils seraient «favorables ou défavorables à la suppression du principe constitutionnel de la présidence tournante entre les îles?». Ici, quand 63,1% semblent favorables à la suppression du principe de la tournante, 30,1% des personnes interrogées souhaitent son maintien et 6,8% ne se prononcent pas.
Il résulte de ce qui précède qu’en dépit du fait qu’une large majorité soit insatisfaite du fonctionnement des institutions, le tiers des sondés souhaitent tout de même conserver la présidence tournante entre les îles.
II.- Sur la perception des citoyens comoriens sur le régime politique
Le grand paradoxe, eu égard aux premiers résultats sus-évoqués, réside dans les réponses apportées à la question: «Quel système politique vous semble le plus approprié pour assurer une stabilité des institutions comoriennes?». Seulement 3,9% des personnes interrogées souhaitent conserver le système actuel alors qu’ils étaient 30,1% à souhaiter le maintien de la tournante. Nous en déduisons que ce sont les modalités d’application du principe de la tournante qui sont sources de désaccord et non le principe en lui même.
Mais, dans ce cas, quel système est plébiscité par nos concitoyens? Les réponses sont assez mitigées. Le système présidentiel et fédéral, c’est-à-dire un système politique dans lequel une certaine liberté d’action des parties associées se combine avec une certaine unité de l’ensemble, convainc à 36,9%. (…) Il est à noter que 19,6% des personnes interrogées estiment qu’aucun des systèmes proposés ne peut correspondre aux réalités de l’État insulaire et permettre une stabilité.
À l’évocation de l’éventualité de la suppression d’une autorité pour réduire et simplifier l’organisation administrative et politique, les réponses sont sans équivoque. La grande majorité (82,5%) y sont favorables. Et lorsque l’on demande quelle autorité politique ou administrative doit être supprimée, les avis sont partagés. Nombreux sont ceux qui proposent la suppression des Vice-présidences (45,7%) tandis que d’autres souhaitent voir disparaître les gouvernorats (30,7%).
Enfin, l’analyse des réponses révèle un manque cruel de confiance, pour contrôler l’action du gouvernement, aux deux institutions dont, pourtant, est un de leurs rôles: l’Assemblée nationale et la Cour constitutionnelle.
En effet, 82,5% des interrogés pensent que l’Assemblée nationale ne contrôle pas suffisamment l’action de l’exécutif. 32,8% estiment qu’elle devrait jouer un rôle d’interpellation et de surveillance, tandis que 52,2% suggèrent qu’elle doit exercer davantage son rôle de contre-pouvoir en corrigeant les projets de loi. De même pour la Cour constitutionnelle, 87,1% estiment qu’elle ne joue pas son rôle de contrôle. (…).
III.- Sur les propositions émises lors de ce sondage
Sur l’amélioration de la vie politique, le thème du genre revient assez fréquemment. Il faut signaler à ce stade qu’une question portant sur l’implication des femmes a été glissée dans le questionnaire.
Ainsi, une très grande majorité des sondées considère qu’imposer un quota de femmes dans toutes les élections serait une bonne chose.
Ce résultat est d’autant plus intéressant que, comme nous l’indiquions plus haut, près de 62% des personnes interrogées sont des hommes. On serait donc loin des préjugés classiques qui voudraient que les hommes, renvoyés souvent à un sexisme vrai ou supposé, seraient réticents à l’égalité des genres en politique!
Sur les institutions en elles-mêmes, on constate deux éléments: Au niveau de l’Union, la suppression des Vice-présidences, un renforcement du rôle de l’Assemblée nationale et de la Cour constitutionnelle sont des solutions auxquelles semblent adhérer la majorité des personnes interrogées. Le retour à un régime parlementaire séduit néanmoins près d’un tiers des suffrages. Rappelons, ici, qu’il s’agirait d’un système où le chef du gouvernement serait issu de la majorité parlementaire.
Au niveau insulaire, peu sont les personnes qui souhaitent mettre fin à l’autonomie des îles. Néanmoins, l’existence des deux organes constitutifs de l’entité insulaire, le Gouvernorat (exécutif) et le Conseil de l’île (instance délibérante), est remis en cause.
La solution proposée par une très large majorité des interrogées serait d’ériger l’île en une collectivité territoriale, en fusionnant le Gouvernorat et le Conseil de l’île. L’île conserverait bien évidemment son autonomie mais ne serait régie que par un seul organe, le Conseil insulaire dénommé Conseil Régional – l’île correspondant à une Région administrative – et un Président de Région élu en son sein en lieu et place de l’actuel Gouverneur dont les Commissaires seraient remplacés par des Vice-présidents du Conseil régional. Les conseillers des îles deviendraient ainsi des conseillers régionaux. Nonobstant les économies budgétaires ainsi réalisées, cela rendrait l’action de l’île plus lisible, moins conflictuelle dès lors que les compétences dévolues au conseil régional sont clairement définies.
En définitive, plus qu’une transformation majeure des institutions actuelles, c’est leur clarification et consolidation de leurs missions qui semblent préoccupée l’opinion publique.
La féminisation de la vie politique plébiscitée ici par une large majorité de sondées à forte dominance masculine est le second élément que nous retiendrons de ce sondage.
Par Mme Maliza Youssouf Saïd
Universitaire
Spécialiste des institutions politiques comoriennes
Article publié à la demande et avec l’autorisation de l’auteure
Source: Al-Watwan n°2835, Moroni, le mercredi 6 janvier 2016, p. 5.
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© www.lemohelien.com – Lundi 11 janvier 2016.