Quelle Justice pour l’«avocat de formation et de carrière»?
Fahmi Saïd Ibrahim et sa délicieuse conception de la Justice
Par ARM
Dans la trop belle galerie des portraits qu’il avait établie sur les 25 candidats à l’élection présidentielle comorienne de février et avril 2016, le magazine gouvernemental Al-Watwan avait présenté «le candidat indépendant» Fahmi Saïd Ibrahim comme un «avocat de formation et de carrière». Bons Princes et dans un geste de Grands Seigneurs, les Comoriens n’avaient rien dit, de peur d’être accusés de persiflage, de jalousie et d’attitude grincheuse. Par la suite, lors de son premier meeting de campagne électorale, au Stade Ajao, «le candidat indépendant» Fahmi Saïd Ibrahim avait promis une réforme de l’administration et de la Justice, en ayant pour credo le rattachement du système judiciaire au Directeur du Cabinet du Président, qui devrait cesser de s’occuper de la Défense, comme c’est le cas actuellement et cela depuis des décennies remontant à la présidence d’Ahmed Abdallah Abderemane. Naturellement, à un moment où la tendance mondiale est à la recherche effrénée des voies et moyens devant conduire à l’indépendance la plus poussée de la Justice par rapport au pouvoir exécutif, l’idée de rattacher la Justice au Directeur du Cabinet du chef de l’État ne peut être considérée par les vrais juristes et les citoyens que comme une dangereuse manœuvre de caporalisation d’une Justice déjà malade de la tutelle de Droit et de fait exercée sur elle par le pouvoir politique. Le promoteur de la candidature-biberon a donc amusé et intrigué les Comoriens, qui s’attendaient à une proposition plus sérieuse, plus constructive et plus intelligente pour sauver une Justice dévoyée et aux ordres.
Ce couac vient s’ajouter à un autre couac monumental résultant des agissements du même Fahmi Saïd Ibrahim. Les faits étant connus des Comoriens, il suffirait à peine de rappeler que dans une vidéo postée sur Facebook le samedi 22 novembre 2014, Fahmi Saïd Ibrahim dénonçait les conditions dans lesquelles avait été opérée la privatisation de la Banque de Développement des Comores (BDC), et n’avait pas hésité à parler, à cet égard, de «délit d’initié» et de «conflit d’intérêts».
Voici ses propres propos: «Il y a aussi la Banque de Développement des Comores, qui a été vendue, qui a été donnée aussi dans une voie, en réalité, il faut que nous nous demandions comment. Aujourd’hui, la Banque de Développement a été donnée à une société. Mais, nous devons nous demander comment. Aujourd’hui, la Banque de Développement des Comores a été donnée à une société, mais ce qui dérange un peu, c’est que l’homme qui dirige la Banque de Développement, c’est un Français qui est là, c’est l’homme qui faisait lui-même les appels d’offres, qui préparait les appels d’offres restreints qui étaient faits, et qui a donné aux étrangers à qui a été donné la société. Sur cette société, je veux rappeler une chose: la société qui a pris la Banque de Développement aujourd’hui, le chef, son propriétaire aujourd’hui, était le dirigeant de l’AFD [Agence française de Développement] hier, quand on prêtait l’argent à la Banque de Développement. Vous voyez qu’il y a un conflit d’intérêts. Mais, il y a également un délit d’initié parce que l’homme qui était là, à la Banque de Développement, au cours des 5, 6, 7 ans qui précèdent, qui préparait les appels d’offres et qui l’a donnée à cette nouvelle société, c’est lui qui a été nommé chef, le Directeur général de la Banque de Développement, parce qu’elle est privatisée aujourd’hui. Vous voyez que ce n’est pas légal et cela prouve que les choses ne se sont pas passées comme il fallait. Vous voyez que c’est pourquoi nous qui faisons de la politique, nous avons le devoir d’expliquer que ce n’est pas bien parce qu’il y a une mauvaise gestion, mais il y a des questions difficiles qui frappent notre pays aujourd’hui au sujet de la Santé publique. […]. Je prends l’engagement devant Dieu et devant vous que, ce que nous ferons, mais pour défendre l’intérêt des Comores, ce que nous ferons, ça sera pour que nous défendions les intérêts des Comores, ce que nous ferons, ça sera pour que les Comores soient, s’il-plaît à Dieu, parmi les pays qu’on respecte dans le monde. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé d’être candidat et pourquoi je m’engage devant vous pour dire que si je suis élu, je défendrais les idées fondamentales que j’ai présentées ici». À l’époque, il était candidat à la députation, et aujourd’hui, à la Présidence de la République.
Tout ceci est bien dit. Cependant, si on comprend bien, Maître Fahmi Saïd Ibrahim estime que les conditions de privatisation de la BDC n’ont pas été régulières, et si elles n’ont pas été régulières, cela suppose que les «intérêts des Comores» n’ont pas été respectés et défendus. Le mot qu’il emploie pour parler du changement de propriétaire de la Banque est «donnée». Pour lui, cette Banque n’a même pas été vendue, mais «donnée».
Or, peu de temps après, alors que Maître Fatoumiya Mohamed Zaïne, conseil de la BDC, était interdite d’exercice du métier d’avocat pour avoir stigmatisé les dysfonctionnements notoires de la Justice comorienne, la BDC avait pris Fahmi Saïd Ibrahim comme avocat, et ce dernier avait confié le dossier à son «stagiaire» Aïcham Itbar. Après avoir consulté de vrais avocats pour savoir si la chose était normale, et après avoir reçu d’eux l’assurance que les déclarations passées de Fahmi Saïd Ibrahim le disqualifiaient pour être l’avocat d’une banque qu’il accusait publiquement de «délit d’initié» et de «conflit d’intérêts», nous avions exposé objectivement les données du problème aux lecteurs et lectrices, constatant que l’affaire soulevait d’énormes problèmes sur le plan déontologique. N’importe quel bon avocat vous le dira, Mesdames, Messieurs. Alors, pourquoi un avocat qui fustige une situation juridique donnée vole au secours de celle-ci? Normalement, à partir du moment où Maître Fahmi Saïd Ibrahim s’est engagé à «défendre les intérêts des Comores» et qu’il est tombé sur le dossier de la BDC tel qu’il le décrit, il aurait dû dire uniquement au Directeur général de cette institution que les conditions de «donation» de la Banque heurtait sérieusement sa sensibilité et ses convictions philosophiques, politiques et civiques. Les Comoriens, en l’apprenant, auraient applaudi et auraient vu en lui un vrai leader.
Piqué au vif, le «stagiaire» Aïcham Itbar qui, visiblement ne connaît pas la relation entre l’auteur de l’article et le statut d’avocat, avait vivement réagi en endossant ce qu’on avait écrit en son nom sur Internet. Dans son «Droit de réponse au Dr Abdelaziz RIZIKI MOHAMED dit ARM» envoyé et publié ailleurs le 12 mars 2015, «on» (on sait qui a écrit à sa place) a fait écrire au «stagiaire Maître Aïcham Itibar»: «Monsieur ARM. Votre article intitulé “le Procureur présente un sévère réquisitoire contre la BDC avant de devenir son avocat”, où sous couvert de prétendues interrogations citoyennes vous faites étalage d’accusations gratuites et peu fondées à l’égard de mon Maître de stage et confrère Maître Fahmi Saïd Ibrahim, a suscité en moi un agacement telle que, même si la meilleure réponse à votre provocation ne saurait être que le silence, il était impérieux de répondre à vos propos pernicieux et vecteur de confusion et de désinformation chez celles et ceux qui auraient le malheur de vous lire. En effet, vous soulignez à juste titre l’engagement politique de Maître Fahmi Saïd Ibrahim pour la sauvegarde des intérêts nationaux et des intérêts des citoyens comoriens, y compris dans les marchés publics. Vous soulignez sa ferme dénonciation des modalités dans lesquelles les actions du Gouvernement Comoriens [Sic: «comorien», sans majuscule et sans «s»] dans la Banque de Développement des Comores ont été cédées. Tout ceci est très bien écrit et nous vous remercions de continuer à faire le relais des engagements et positions politiques du confrère Fahmi qui sont aussi ceux du PEC et de bon nombre de citoyens comoriens. Mais il eut fallu que vous dans votre article – si toutefois nous pouvons nous permettre de l’appeler ainsi, étant donné la subjectivité apparente et le manque total de fondement qui trahit la mauvaise foi de son auteur – vous tentiez de confondre Maître Fahmi avec ce personnage aux opinions et engagements versatiles et ceux en prenant à témoins le peuple comorien “seul juge en la matière”.
Alors Monsieur ARM, vous qui vous êtes manifestement recouvert pour l’occasion du costume de l’enquêteur de la république [Sic: «République»], du détective privé au profit du droit des comoriens [Sic: «Des Comoriens»] et du plus grand nombre à être mieux informé sur ses leaders politiques, devriez apprendre à vérifier vos informations avant tout et ce déjà auprès de vos sources dans le système judiciaire comorien qui j’en suis sure [Sic: «Sûr»] ne sont pas des moindres au vu de vos récents scoops, pièces de procédure à l’appui: Premièrement, Maître Fahmi Saïd Ibrahim n’est pas le conseil de la Banque de Développement des Comores contrairement à ce que vous affirmez avec force. Vous apprendrez que dans la procédure dont vous vous êtes permis de publier la page de garde de nos conclusions en dépit des lois comorienne en la matière – comportement assez critiquable pour un aussi bon citoyen que vous –, je reste le seul conseil de la Banque de Développement des Comores. Vous apprendrez également que par décision de la Cour d’Appel de Moroni, aucun avocat-stagiaire à la Cour ne peut produire d’actes de procédure sans la cosignature de son Maître de stage et la constitution de son cabinet. Que mes actes de procédure porte [Sic: «Portent»] donc l’entête et le nom du confrère Fahmi Saïd Ibrahim est autant logique qu’indispensable quand je suis constitué pour défendre les intérêts de mes clients. Deuxièmement, et j’ose à peine vous le rappeler vu votre titre de docteur en droit, j’attire votre attention sur le fait qu’il n’y a pas conflit d’intérêt ni même “incohérence grave et manifeste” quand un avocat dénonce la cession d’action dans une entreprise d’économie mixte qu’il estime irrégulière et qu’il défende ladite entreprise dans une autre procédure. L’inexistence de lien entre les deux procédures font qu’il ne subsiste aucune contrariété d’intérêt pouvant “heurtait sa sensibilité”, “ses convictions” ni même compromettre sa loyauté envers le client. Tout ceci pour vous dire, que même si Maître Fahmi eut été l’avocat de la Banque de Développement des Comores, ce qui n’est absolument pas le cas, rien ne justifierait vos inquiétudes. Enfin, j’ai grand espoir que vous auriez obtenu les réponses aux questions que vous vous posez à travers ces lignes, et je vous encourage à poursuivre vos investigations avec plus d’objectivité à l’avenir». «Le stagiaire» ment et se moque des gens.
Constatant que «le stagiaire» n’a jamais entendu parler de conflit d’intérêts et n’en connaît pas le sens, et que le conflit d’intérêts concerne aussi bien le maître de stage que son stagiaire et ses collaborateurs, à partir du moment où Aïcham Itbar est son stagiaire, nous n’avions même pas jugé nécessaire de répondre à son écrit, partant de l’idée qu’il faut engager un tel débat technique avec un professionnel qui connaît les fondamentaux et les rudiments du métier d’avocat. Il a donc fallu laisser le cher «stagiaire» à sa délicieuse conception des choses. Seulement, aujourd’hui, la question qui se pose est celle de savoir si un candidat à une élection présidentielle peut valablement réformer la Justice s’il ne travaille pas dans le sens qui lui aurait permis d’éviter de graves erreurs dans la gestion des situations particulières, notamment celle de ses relations avec ses clients. Ici, il ne s’agit pas de mettre en cause la bonne foi de Fahmi Saïd Ibrahim, mais de porter l’interrogation sur sa conception des choses, notamment au regard du cœur palpitant du métier d’avocat qu’est le conflit d’intérêts. Parce qu’on ne voit pas comment on peut réformer la Justice si on ne fait rien pour éviter les conflits d’intérêts, l’une des notions les plus enseignées aux élèves avocats, le cœur palpitant de la déontologie enseignée aux mêmes élèves avocats. Faut-il rappeler que si toute personne a droit à un avocat quand elle est confrontée à la Justice, en même temps, rien n’oblige légalement un avocat à prendre en charge un dossier qui lui pose problème? Donc, dans un pays normal, Fahmi Saïd Ibrahim aurait dû refuser le dossier de la BDC, car même le confier à son stagiaire ne change rien aux données juridiques du problème. Alors, quand il parle de «la réforme de la Justice» s’il est élu Président, on sait à quoi s’en tenir…
Par ARM
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© www.lemohelien.com – Mardi 16 février 2016.