«Nos voisins d’Afrique de l’Est nous regardent avec mépris»
Interview exclusive de Saïd-Ahmed Saïd-Abdillah
Président du Parti Comores Alternatives (PCA)
www.lemohelien.com: En vous, on connaît le bouillonnant et bouillant intellectuel venu de la Médecine, le féru d’Économie et de Finances publiques, mais on ne connaît pas assez l’islamologue, l’un des meilleurs islamologues des Comores. C’est donc au religieux que nous posons la question suivante: comment percevez-vous l’envoi de soldats comoriens au Moyen-Orient pour servir de chair à canons dans un conflit opposant l’Arabie Saoudite à l’Iran au Yémen et ne concernant en rien les Comores?
Saïd-Ahmed Saïd-Abdillah: Je voudrais d’abord vous remercier ainsi que l’équipe qui gère votre site d’information. Je ne revendique la spécialité dont vous me gratifiez, en dehors du fait que je sois juste un simple médecin de formation et amoureux de savoir plus particulièrement en Économie et en islamologie. Au niveau religieux, j’ai eu la chance d’avoir profité du savoir des théologiens comoriens, surtout de celui de feu le Mufti Saïd Mohamed Abdouroihamane, qui nous a enseigné entre la prière du crépuscule et de celle du début de soirée à la Mosquée Hassani Doueda de Moroni. J’ai également bénéficié des cours du théologien Soidique Mbapandza. Ils avaient une méthode d’enseignement de l’Islam pour adultes que je trouve très efficace, mais malheureusement abandonnée aujourd’hui en dehors du spectacle affligeant du mois de Ramadan.
Pour votre question, qui est très importante, en raison de l’ampleur de cet engagement militaire, je dois me poser trois autres questions avant d’y répondre. La première est la plus simple: Azali Assoumani peut-il décider à sa guise de déclarer la guerre, car il s’agit d’une déclaration de guerre, sans consulter notre Parlement, comme cela se fait dans tout pays démocratique? Notre Parlement n’a pas été consulté pour déclarer une guerre à un pays, le Yémen, hélas divisé en deux comme jadis, par idéologies et aujourd’hui par des obédiences religieuses. Nous ne devons pas oublier que nous avons des compatriotes d’origine yéménite. Je suis convaincu que cette guerre va encore redonner naissance, hélas, à deux États yéménites. N’aurait-il pas été sage d’être neutre ou d’apporter un message de paix dans un conflit fratricide, un conflit entre Musulmans?
Ma deuxième question est: quelle Armée devons-nous envoyer au Yémen, celle qui a été battue par les despérados séparatistes anjouanais? Vous imaginez comment nos voisins de l’Afrique de l’Est nous regardent avec beaucoup de mépris? Nous avons été incapables de déloger quelques despérados mal entraînés qui avaient pris toute une île en otage, Anjouan. Sans l’aide des 1.500 soldats africains, cette île risquait de nous échapper comme Mayotte. Nous avons demandé de l’aide, surtout africaine, pour assurer une action de police dans notre pays, et aujourd’hui nous prétendions être capables de faire la guerre à l’Iran, en envoyant des troupes au Yémen? Je pense qu’Azali Assoumani connaît la valeur et surtout la détermination de notre Armée, dont il a été le chef d’État-major pendant plusieurs années. Je suis persuadé qu’il connaît bien la valeur de l’Armée en face, une Armée qui a tenu pendant 8 années de guerre contre l’Irak, et qui est mieux outillée à tous points de vue. Or, l’Armée saoudienne, qui se contente de lancer des bombes par des avions qui manquent souvent leurs cibles, est mal ou peu entraînée, et ne participe pas aux combats au sol. Je demande donc vivement à Azali Assoumani de ne pas envoyer nos enfants et nos frères au Moyen-Orient mourir en faux martyrs.
Ma troisième question est: où sont nos théologiens? Dépêcher nos militaires en Arabie est une décision très grave, qui engage pour une longue durée notre avenir au sein du monde arabo-musulman. Nous sommes en présence d’un conflit de leadership au sein du monde musulman, transformé en conflit entre Chiites et Sunnites. Ce sont deux pays musulmans qui s’affrontent: l’Iran, pays le plus peuplé de Chiites Duodécimains dans le monde (85%), porte-drapeau du Chiisme politique et terre de 45% des Chiites Duodécimains dans le monde (de 140 à 150 millions), et l’Arabie Saoudite, centre du Wahhabisme et du fondamentalisme religieux appelé de façon erronée et inacceptable «salafisme». L’Arabie Saoudite, dont 10% de la population (31 millions d’habitants) est chiite, n’est pas le premier pays sunnite, mais l’Indonésie (259 millions d’habitants). L’Iran et l’Arabie Saoudite s’affrontent par pions interposés en Syrie et au Yémen pour s’imposer en terre d’Islam. Ce sont des combats d’égos.
L’Islam n’a rien à voir dans ce conflit. Les Comores sont loin de ce conflit, mais nos dirigeants sont dans la mendicité. Pour mendier, ils sont prêts à tout. Notre rôle dans ce conflit aurait été de prêcher la paix et la réconciliation entre belligérants, et combattre le récalcitrant, comme nous le recommande Dieu dans la sourate Les Appartements. Nous devons tout faire pour ne pas porter préjudice à notre religion et à la vie de notre peuple. Le sang des Musulmans a trop coulé, surtout au Moyen-Orient, et cela par la faute, d’abord, des dirigeants. Nous ne pouvons pas suivre une voie sans issue et dont les conséquences sont imprévisibles. La mendicité diplomatique ne doit pas nous mener à toutes les extrémités.
www.lemohelien.com: N’avez-vous pas le sentiment que pour sortir de la «coopération biberon», des mélanges de genres et de la politique extérieure de la main tendue, les Comores devraient faire un assaut de fierté nationale, valoriser la bonne gouvernance et arrêter de se comporter en parias maudits et en hommes malades de toutes les sous-régions?
Saïd-Ahmed Saïd-Abdillah: Azali Assoumani doit opter pour une politique extérieure adaptée à notre pays. Nous sommes un petit pays dépourvu de tout et nous n’avons pas les moyens d’une politique extérieure sectaire. Nous devons nous ouvrir à tous les pays qui s’intéressent à nous, sans parti pris. Il n’est pas mauvais d’avoir de bonnes relations diplomatiques avec l’Arabie Saoudite, mais en lui disant la vérité. Nous pouvons soutenir ce pays dans sa volonté de leadership au sein du monde sunnite mais sans lui donner des militaires, car notre Armée est embryonnaire et compte à peine 2.000 soldats.
Le monde change et les désordres qui règnent dans le monde musulman (Lybie, Irak, Syrie, Yémen et Somalie) doivent faire réfléchir nos dirigeants avant de se lancer dans des aventures guerrières. Sous Mouammar Kadhafi, la Lybie nous a beaucoup aidés. Où est-elle aujourd’hui? Il y a des pays qui ont été bâtis sur des enjeux économiques ou tribaux ou sur un partage inique occidental et qui ne résistent pas aux secousses de l’Histoire, contrairement à d’autres. La politique extérieure de la main tendue et de l’assistanat venant de pays occidentaux commence à prendre fin, et nos dirigeants doivent s’y préparer.
www.lemohelien.com: Pendant que vous faites de belles phrases, des «opposants» font allégeance à votre ami Azali Assoumani, au nom de la fameuse «émergence», pour l’aider à affronter bientôt son allié Ahmed Sambi – comme s’il avait besoin d’eux pour ce faire – et pour une énième révision constitutionnelle, sans oublier la «navigation» des «navigateurs» toujours prompts à manger à tous les râteliers. Quand allez-vous, à votre tour, courber l’échine pour quelques subsides, voire un poste?
Saïd-Ahmed Saïd-Abdillah: Le jour où vous allez cesser d’être une langue de vipère, vous deviendrez subitement ennuyeux et insipide…
www.lemohelien.com: Oui, mais encore? Quand allez-vous vous agenouiller à votre tour et faire allégeance comme les autres, les fameux «navigateurs» qui «naviguent»?
Saïd-Ahmed Saïd-Abdillah: Je trouve que vous êtes très dur envers certains dirigeants de l’opposition et avec moi-même. Le fait de rencontrer Azali Assoumani ne constitue pas selon moi une «allégeance» même si il y a ceux qui font plus de zèle parfois troublant et humiliant.
Quant à l’émergence, qui n’est qu’une porte ouverte par Azali Assoumani pour attirer des alliés, elle ne doit pas constituer un slogan de courbettes. Elle doit être une vraie opportunité afin de mobiliser toute la force vive comorienne, sans parti pris, pour faire sortir notre pays de la mendicité et de la dépendance. Par ailleurs, en dehors des ragots, il n’y a pas à ma connaissance un conflit entre Azali Assoumani et Ahmed Abdallah Mohamed Sambi. Je note avec effarement que c’est un cadre du parti Juwa d’Ahmed Sambi qui dirige notre diplomatie et qui mobilise aujourd’hui la troupe pour combattre l’Iran. Azali Assoumani veut affronter Ahmed Abdallah Mohamed Sambi ou ce dernier a décidé de quitter la scène politique?
Quant aux rumeurs sur d’éventuelles modifications de la Constitution, je rappelle que notre parti en avait lancé l’idée depuis le régime du Docteur Ikililou Dhoinine. Nous devons améliorer notre Constitution afin de diminuer les superstructures, les conflits de compétences et les dysfonctionnements. C’est vous dire que nous suivrons cette démarche si elle engage toute la classe politique comorienne et la société civile. Je pense à la nécessité du pouvoir politique de redonner vie aux assises nationales du mouvement présidé par l’ancien ministre Ali Bazi Selim. Pour autant, dois-je aller courber l’échine pour un poste ministériel ou autre? Je ne pense pas, et ce n’est pas dans ma façon de faire la politique. Nous défendons, comme vous le savez très bien, des idées d’indépendance économique et territoriale de notre pays. Nous n’avons aucun préjugé au sein de notre parti politique, le Parti Comores Alternatives (PCA), en dehors de celui de servir les Comores et le peuple comorien.
www.lemohelien.com: Vos belles phrases n’empêcheront tout de même pas les Comoriens de cracher leur mépris sur une classe politique dont une partie n’hésite jamais à se lancer dans des compromissions pour le moins honteuses. Croyez-vous vous rendre service auprès du peuple par des procédés et pratiques aussi condamnables?
Saïd-Ahmed Saïd-Abdillah: Je ne sais pas ce que vous appelez «belles phrases». Je dois vous assurer d’une chose pour que cela soit clair entre nous. Les Comores ont institué un système de présidence tournante entre les îles au sommet de l’État. Pour l’instant, ce système fonctionne et continuera à fonctionner sauf rupture institutionnelle majeure. Vous avez pu remarquer, j’espère, que je suis de la Grande-Comore, île à laquelle la présidence tournante a échu en 2016. Je dois, donc, contribuer directement et activement pendant ces 5 ans, d’une manière ou d’une autre, à l’évolution de notre pays. Je ne peux pas être un spectateur critique ou philosophique. La question du pouvoir politique ne s’accomplit que dans l’action.
Quant à la classe politique comorienne, il est de notre devoir de la modeler et de la rénover. Vous voyez ce qui se passe en France, où on a envoyé aux musées les vieux hommes politiques. Je pense que nous devons y méditer et surtout expliquer au peuple comorien ce que nous faisons. Le rôle de l’homme politique est d’éduquer le peuple afin qu’il puisse mieux apprécier les valeurs de ses dirigeants. Y a-t-il une compromission en changeant de camp électoral vers un autre? Je vous ferai toujours observer ce qui se passe en France, qui est pour certains d’entre nous, un modèle de comportement politique. On a vu Bernard Kouchner, ancien ministre socialiste au sein d’un gouvernement de droite, sous Nicolas Sarkozy, qui avait battu Ségolène Royal, candidate de la gauche. Or, la France est un pays qui connaît depuis longtemps le clivage gauche-droite, clivage qui n’existe pas chez nous. Je pense que le problème n’est pas le changement de camp, mais le motif et l’objectif du changement.
www.lemohelien.com: Les Comoriens baignent dans l’euphorie parce que pour réaliser son «émergence» et faire des Comores un pays «émergent», Azali Assoumani s’est cru obligé d’incendier le Trésor public à Moroni. C’est très bien, non?
Saïd-Ahmed Saïd-Abdillah: J’ai appris l’incendie des bureaux du Trésor public. Je pense et j’espère qu’il y aura une commission d’enquête pour déterminer l’origine accidentelle ou volontaire du feu. On attend et on verra la suite sans accuser. Il faudra noter que notre Trésor public n’est qu’une coquille vide, plein des paperasses mais ne conserve plus le rôle qui lui est dévolu, celui, entre autre de garder les recettes de l’État. Pour la question de savoir qui peut avoir intérêt à mettre feu sur certains documents de l’État, cela peut intéresser les partants comme les arrivants. Laissons l’enquête en déterminer l’origine.
www.lemohelien.com: Les Comoriens doivent nager dans le bonheur en constatant qu’un Jean-Marc Heintz, qui n’est même pas Comorien et qui est présenté comme un «ami de 21 ans» d’Azali Assoumani, met à genoux tout un État et veut causer le naufrage d’AB Aviation, compagnie aérienne fort utile aux Comores, sans soulever une véritable réaction sérieuse de la part de l’État, qui joue aux abonnés absents? Ça doit être très réconfortant, je présume?
Saïd-Ahmed Saïd-Abdillah: D’abord, je voudrais vous rappeler que ce Monsieur que vous citez est, à ma connaissance, un Comorien, de surcroît, qui a accompli le grand mariage.
www.lemohelien.com: Au secours! Alors, il doit être un «Comorien» à la Robert «Bob» Denard. Qu’elles sont belles, les Comores de Papa! C’est très touchant et émouvant! Au moins, Paul-Charles Delapeyre est un Nègre né d’une mère comorienne, mais ayant un nom français hérité de son père, un Français! En plus, Jean-Marc Heintz n’a pas été capable de gérer sa propre société d’aviation et se comporte en colon, écrasant tout un État par son arrogance, son mépris et sa suffisance. S’il a fait un grand mariage pour faire couleur locale, personnellement, je m’en moque!
Saïd-Ahmed Saïd-Abdillah: Vous ne changerez jamais! Avec votre permission, je souhaite aller au bout de mon raisonnement. Ce type que vous citez, on peut l’aimer ou le détester, apprécier ou désapprouver ce qu’il fait. Nous avons des Comoriens qui sont des Français et il y a maintenant des Arabes qui sont des Comoriens. La question d’AB Aviation est complexe et je n’ai pas toutes les données en main pour l’apprécier. Vous me permettez de ne pas m’étaler sur cette question.
Par contre, je voudrais revenir sur un point qui me paraît particulièrement important, surtout pour nous autres Comoriens. Nous devons accepter et faire confiance à certaines minorités vivant aux Comores, les descendants d’Indiens et de Français qui ont choisi d’être Comoriens. C’est une grande richesse pour notre pays et nous devons les accueillir à bras ouverts au lieu de les stigmatiser. Je ne parle pas uniquement de ce Monsieur que vous citez, que je ne connais pas personnellement. Notre pays a besoin de l’apport de tout le monde y compris du nouveau venu.
Propos recueillis par ARM
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© www.lemohelien.com – Vendredi 10 mars 2017.