Le Général, le juriste, le Colonel et le Caporal dans un scrutin majeur
Par ARM
La revanche des territoires. Dans un pays à la sociologie politique par trop complexe, à la sociologie électorale par trop compliquée, l’élection présidentielle de 2016 se présente avant tout comme un grand enjeu territorial. Méfions-nous des territoires. Aux États-Unis, on a même inventé, en 1811, le «Gerrymandering», pour parler de la manipulation et charcutage de la carte électorale à des fins partisanes et électoralistes par Elbridge Gerry, ex-Gouverneur du Massachussetts, ex-Vice-président des États-Unis. Dans le cas des Comores, en 2016, on va assister à une bataille des territoires et des terroirs. Et, entre ces derniers, va se dérouler la bataille électorale sanglante qui s’annonce pour 2016. De toutes les régions de la Grande-Comore, le Hambou est devenu le champ de bataille le plus exposé, car on y trouve beaucoup de poids lourds de la vie publique nationale, candidats déclarés ou non: le Général Salimou Mohamed Amiri, ancien chef d’État major de l’Armée nationale de Développement (AND), Mohamed Abdouloihabi, juriste et ex-Président de l’Île autonome de la Grande-Comore, le Colonel Azali Assoumani Baba, ex-chef de l’État, le Caporal Bourhane Hamidou, ancien Président de l’Assemblée de l’Union des Comores (AUC), etc. Une élection majeure a toujours un épicentre. Celui de l’élection primaire pour le scrutin présidentiel de 2010 à Mohéli, était Djoiezi, où s’affrontaient Ikililou Dhoinine, son cousin Mohamed Larif Oucacha et le demi-Djoiezien Hamada Madi Boléro, créant une immense confusion sanglante entre les familles, et au sein de la même famille parce que les trois hommes ont des relations familiales directes ou par alliance. Est-ce que le Hambou, malgré son exigüité et sa faible représentativité démographique, va devenir l’épicentre de l’élection de 2016? Ça se pourrait.
Dans le métro parisien comme au sein du microcosme politique comorien aux Comores, on prêtait des ambitions présidentielles au Général Salimou Mohamed Amiri, l’homme de Dzahadjou-Hambou. Or, à l’évocation du sujet, l’intéressé se réfugiait dans un sourire éclatant mais impossible à interpréter dans un sens ou dans un autre. Ce qui n’empêchera pas la vox populi de parler et de décider à sa place. Finalement, à la mi-juin 2015, il décida de faire état de sa décision de se porter candidat à cette élection qui suscite les envies, velléités et ambitions les plus folles. Le Général est resté célèbre: refondation de l’Armée nationale de Développement, «Opération Démocratie aux Comores» le 25 mars 2008 contre le pouvoir insulaire du Colonel Mohamed Bacar, refus de renverser Ahmed Sambi quand on le lui demandait avec insistance en mai et juin 2010, etc. Son nom fédère. Le sens républicain et démocratique qu’il assume jusqu’au bout des ongles, son caractère de «Monsieur Propre», son charisme, son sens naturel de l’autorité et de la discipline qui avait poussé l’ancien Président Ahmed Sambi à certaines extrémités regrettables pour le neutraliser, et sa popularité auprès de la population militent pour lui. Longtemps, on se posait une question: va-t-il rentabiliser politiquement son capital de sympathie et de confiance? Quand on lui posait la question, il faisait de ses deux mains tournées vers le haut un «je ne sais pas» qui ne voulait pas dire «je ne sais pas», mais «je ne dis rien». Dans une interview qu’il avait accordée à la blogosphère comorienne le 12 juin 2013, le premier Comorien formé à la célèbre École de Saint-Cyr, en France, n’excluait rien. Le dimanche 7 décembre 2014, il accordait une autre interview, cette fois à Olivier Rogez de Radio France Internationale (RFI). À la question «2016, c’est l’élection présidentielle. Vous envisageriez de vous présenter? C’est une question qui vous trotte dans la tête?», il répondit: «Il ne faut rien exclure». De même, à la question, «Vous n’y pensez pas en vous rasant comme un Président français en son temps?», il répondit: «Pas seulement en me rasant. Peut-être plusieurs fois». Donc, «Vous y pensez?», «Tout à fait». En attendant, nous avions attendu jusqu’à ce que, à la mi-juin 2015, il décide d’officialiser sa volonté de se porter candidat à cette élection présidentielle.
Mohamed Abdouloihabi est, lui l’homme de Mdjoiezi-Hambou. Juriste formé à Paris, il s’est distingué au ministère des Affaires étrangères, dans les Cabinets présidentiels et à la Présidence de l’Île autonome de la Grande-Comore. Juriste ayant placé tous ses espoirs sur le Droit et sur le primat de celui-ci, doué d’un sens aigu de la Justice et d’une irréprochable intégrité morale, ne s’exprimant que quand il a des choses sérieuses et utiles à dire et faisant une confiance aveugle au Droit pour régler les problèmes, il estime que sa non-réélection en 2010 n’est pas due à un problème d’impopularité et de dénonciation de sa gestion à la tête de la Grande Île, mais aux tripatouillages qui ont émaillé l’élection. Très sollicité par la classe politique, il sera l’un des acteurs majeurs de l’élection présidentielle de 2016. Les indices sur sa volonté de se porter candidat à cette élection s’accumulent.
C’est alors que se présente le Caporal Bourhane Hamidou, l’enfant de Singani. Ancien de la Garde présidentielle dirigée alors par Robert «Bob» Denard, il a réalisé sa reconversion politique grâce à l’influence d’Ahmed Sambi, qui a réussi la gageure d’en faire le Président de l’Assemblée de l’Union des Comores, lui le grand inconnu du sérail politique, lui le garçon qui a arrêté ses études en classe de 6ème. On ne lui connaît aucun fait d’armes politique, et rien dans sa présidence de l’Assemblée n’a fait de lui un meneur d’hommes, lui qui a failli se faire renverser par ses pairs, dont Djaé Ahamada Chanfi, en 2012. Mais, voilà: Ahmed Sambi est incapable de rester éloigné des allées du pouvoir 5 ans supplémentaires. C’est plus fort que lui. Il est donc dans l’obligation politique de remettre en selle son Caporal Bourhane Hamidou, en mettant dans sa cagnotte beaucoup, beaucoup d’argent, les politiciens comoriens étant convaincus qu’avec beaucoup d’argent, ils peuvent faire élire un cocotier. Échaudé par l’affirmation politique spectaculaire de la personnalité de son ancien Vice-président Ikililou Dhoinine, qu’il considère comme un «traître», Ahmed Sambi ne veut pas jouer les Raspoutine et les hommes de l’ombre, mais un rôle politique officiel, identifié et visible.
De ce fait, on le voyait bien à la fonction de colistier du Caporal Bourhane Hamidou à Anjouan, avant de déclarer sa propre candidature à la Présidence, en s’inscrivant sur les listes électorales de la Grande-Comore, où il a voté le 25 janvier 2015. Mais, les chancelleries lui ont signifié un refus définitif de sa candidature, lui demandant d’attendre 2021, le tour d’Anjouan. Le même Ahmed Sambi soutiendra d’autres candidatures, dont celle de son allié Maître Fahmi Saïd Ibrahim, Député et Président du Parti de l’Entente comorienne (PEC), pour ne pas placer tous ses œufs dans le même panier. Le fameux don d’ubiquité politique des Comoriens pourra donc se réaffirmer. En même temps, sans le sous-estimer, car on ne sous-estime pas un être humain, le Caporal Bourhane Hamidou n’est-il pas trop léger pour la fonction présidentielle. Il ne s’est même pas représenté à sa réélection à la députation en 2015. Quand il s’est fait piquer à l’Aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle en 2014 avec une valise de 80.000 euros, il s’est fait complètement et définitivement discrédité aux yeux des Comoriens.
Que dire du Colonel Azali Assoumani Baba, l’enfant de Mitsoudjé? Il a été Président de 1999 à 2006. Putschiste en 1999, il s’est fait élire en 2002 dans des conditions controversées. Sa gouvernance à la tête de l’État comorien n’a pas laissé des souvenirs heureux. Népotisme et affairisme ont prévalu. Il est accusé d’avoir détourné 40 millions d’euros, soit quelque 19.678.700.000 de francs comoriens. Au surplus, son leadership au sein de la CRC lui était âprement disputé par Houmed Msaïdié, le légitime secrétaire général du parti, qui ne cache plus ses ambitions présidentielles, qui tenait l’appareil du parti entre ses mains et fait un très bon travail au ministère de l’intérieur. Mais, la complaisance judiciaire a remis un parti politique devenu bancal à Azali Assoumani Baba. Longtemps, il se chuchotait et se murmurait que Beït-Salam voulait instrumentaliser Azali Assoumani, en finançant sa campagne électorale pour peu qu’il accepte de prendre pour colistier à Mohéli Mohamed Saïd Fazul, le concurrent le plus dangereux de la Première Dame, qui voudrait devenir Gouverneure de Mohéli en 2016 et qui sera soutenue par ceux qui veulent mettre fin à la dictature vulgaire de Mohamed Ali Saïd sur l’île. Ce scénario est de plus en plus incertain, et les accusateurs ne pouvaient s’empêcher de voir la main de l’inévitable grand stratège Hamada Madi Boléro dans la préparation de cette affaire. Et comme par hasard, Hamada Madi Boléro est marié à une femme de Chouani, dans le… Hambou. Avant mai 2014, les caciques de la CRC originaires du Hambou juraient de se ranger derrière Houmed Msaïdié, l’homme de Maoueni, dans le Mboudé, par sa mère, et d’Unkazi dans le Bambao, par son père, et non derrière Azali Assoumani, le Hambouén.
De fait, être du Hambou signifie quoi en politique dans ce pays à la sociologie complexe, quand on sait que le Général Salimou Mohamed Amiri est de Djahadjou-Hambou, mais né à Madagascar, Bourhane Hamidou de Singani-Hambou, mais né d’un père originaire de Chouani dans le Hambou, et Mohamed Abdouloihabi de Mdjoiezi-Hambou, mais né d’un père de Singani, dans le Hambou? Quant à Azali Assoumani, l’enfant de Mitsoudjé, Hambou, sa mère est originaire de Mboudé Yadjou, dans le Bambao, et d’un père de Mitsoudjé?
Plus intéressant encore, au cas où ces grandes personnalités du Hambou confirmaient leur candidature, ne vont-elles pas se neutraliser les unes les autres? L’avenir nous le dira. En tout cas, quelle que soit l’issue de la prochaine élection présidentielle, quelle que soit la qualité des candidats qui vont s’y présenter, et même si le Hambou est la plus petite des régions de la Grande-Comore, si on ne veut pas passer à côté de quelque chose d’intéressant en termes d’analyse politique, sociographique et sociopolitique, il faut surveiller de près les candidats originaires de cette région. De toute manière, l’importance électorale d’une région peut aller au-delà de la taille de sa population et de sa superficie.
Les Grands-Comoriens se méfient de cette terre située entre les anciens fiefs des Sultans Saïd Ali et Hachim. Le Hambou a décidé de ne fâcher personne, et peut faire cohabiter loups et agneaux. C’est pourquoi, «la délivrance est toujours double dans le Hambou» comme dit le proverbe local: «Hambou karipvodé Mbili». En d’autres termes, c’est une région qui s’arrangeait à la fois avec le Bambao et avec le Mbadjini, selon ses intérêts, mais une région qui n’avait droit qu’à des Vizirs de Sultans de ces deux grandes régions. On voulait lui «refuser» la fonction de Sultan. Le grand-père paternel de Mohamed Abdouloihabi en fut un avant d’abdiquer et de s’adonner à la confrérie Chadhuli. Il en fut de même d’un autre aïeul du côté maternel de Mohamed Abdoukoihabi, et il s’agit de Cheikh Mouhammad Hambou, qui avait troqué sa tunique de Vizir contre le turban de Mouride d’Abdallah Darouèche. Pour Mohamed Abdouloihabi, «l’exaspération des Grands-Comoriens face à l’entêtement de l’Histoire au profit du Hambou s’exprime quelquefois avec virulence. En 2007, lors de la déclaration publique de ma candidature à la présidence de l’île, le notable Ismaïl Toyb d’Iconi s’exclamait: “Wa Hambou Wadja pvohawo”, “Les gens du Hambou sont de retour chez eux”. Un autre dicton, qui ne vient pas de la politique, y trouve un bon relais: “Rilemewa Houtsashiya Wa Hambou Irewo”, “Nous sommes fatigués de chercher du poisson et de la viande pour les gens du Hambou”. De ce fait, tout le monde y trouve une inspiration pour prendre garde contre les rejetons de cette terre qui se montre ô combien fertile. Le problème c’est que ces rejetons n’ont pas conscience de leur mauvaise posture et risquent de s’auto-éliminer. Quoi qu’il en soit, il faudra être au départ de la course car un dernier dicton dit: “Mhambou Utsi Yapvo Hafou”, “Celui du Hambou qui n’est pas là est mort”».
Par ARM
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© www.lemohelien.com – Mercredi 22 juillet 2015.