Une campagne électorale sous le signe du mensonge
Peur, haine, accusations infondées et manque de sang-froid
Par ARM
Si la chose était possible, il aurait fallu supprimer les élections et même la politique aux Comores, tant le débat politique est d’un niveau lamentablement bas. En campagne électorale, les Comoriens attendent des candidats des propositions concrètes pour tirer le pays vers haut, même si on sait qu’une certaine classe politique, celle des crypto-sambistes, est spécialisée dans les promesses fantaisistes, irréalistes et irréalisables. Cela a été constaté en 2006, quand un flot de mensonges avait déferlé sur les Comores, pour des résultats décevants et invisibles. Et il y a l’injure. Les candidats qui sont dans cette posture incitent les Comoriens à déchanter et à désespérer de leur classe politique. En 2016, un certain nombre de candidats se sachant sans aucune chance de figurer dans le trio qui ira au second tour et encore moins de diriger les Comores, ont choisi de placer la compétition électorale sous le signe de la suspicion permanente et institutionnalisée, en charriant constamment un discours de haine et d’injures, en étalant sur la place publique leur peur de perdre et en accusant les autres de tout et de rien, le tout, en faisant montre d’une petitesse qui ne devait pas être le caractère dominant de ceux qui prétendent pouvoir diriger un pays dans l’unité et dans la cohésion, et pour son bien.
C’est ainsi qu’à Marseille, le dimanche 17 janvier 2016, on a vu et entendu un Fahmi Saïd Ibrahim, émérite pionnier de la candidature-biberon, dans une perte totale de sang-froid, vociférer en ces termes: «Honorables personnalités, je vous dirai en conclusion, pour ne pas trop m’étaler, que dans la perspective des élections à venir, il y a des gens qui veulent nous plonger dans la panique. Ils veulent nous plonger dans la panique mais, peut-être, ne nous connaissent-ils pas. Ils ne savent pas que nous ne sommes pas des gens à qui on peut faire peur. On m’a appelé au téléphone et on m’a dit qu’il y a une certaine personne qui n’a jamais été élue, qui n’a jamais bénéficié de la confiance des Comoriens, mais qui aime régner. Elle a l’appétit du pouvoir, mais elle n’a jamais bénéficié de la confiance des Comoriens. Il paraît qu’elle a fait une réunion avant-hier, en plus, à la Présidence de la République où elle est. Cette personne s’appelle Boléro. Je ne l’ai jamais évoqué, et c’est la première fois que je l’évoque. Il paraît que Boléro a fait une réunion et a rassemblé des gens du pouvoir et des gens qui, paraît-il, ont de la puissance. Il leur a dit: “Faites ce qu’il y a lieu de faire, mais Fahmi ne doit pas être parmi les trois. Fraudez, faites ce qu’il faut faire, mais il ne doit pas être parmi les trois”. Je veux parler au frère Boléro. Je te parle devant un public. Je n’ai jamais parlé de toi, mais je te dis de faire attention. Fais attention. Fais attention, Boléro. Cette fois-ci, ça va mourir à Sankoulé, mais tu ne vas pas plus régner sur notre pays. Nous te disons: ça va mourir à Sankoulé. Moi, je suis le descendant de Moilim Mchandzé. Moi, je suis le descendant d’Al-Habibi. Moi, je suis le fils de Saïd Ibrahim. Nous te mettons en garde. Nous allons nous bagarrer contre toi, cher Boléro. Boléro, tu as joué avec ce pays pendant de nombreuses années. Boléro, tu as fait des dégâts pendant de nombreuses années. Boléro, tu te fais menaçant depuis de nombreuses années. Mais, nous te prévenons que nous ne sommes pas des lavettes. Nous te prévenons que si tu provoques du désordre, toi, Ikililou Dhoinine et les autres responsables, vous assumerez les conséquences de ce qui se passera dans notre pays».
Soyons sérieux. Laissons de côté tout parti pris et raisonnons objectivement. Est-c qu’un homme qui prétend pouvoir diriger un pays parle d’une manière aussi martiale, dit vouloir se «bagarrer» avec les autres, parle de mort («à Sankoulé») avec tout ce mépris, avec toute cette légèreté? Est-ce qu’un homme qui prétend pouvoir diriger un pays doit se mettre en colère en public et perdre les nerfs? Comment un homme qui prétend pouvoir diriger un pays peut-il, sur la foi d’un appel téléphonique, se lancer dans un discours d’une telle rage, d’une telle haine, d’une telle légèreté? Qu’est-ce qu’on n’entend pas au téléphone quand on parle à un Comorien? Qu’est-ce qu’un Comorien ne dit pas au téléphone, surtout quand il s’agit de politique, surtout en période électorale? Fahmi Saïd Ibrahim n’est même pas sûr de ce qu’il dit parce qu’il ponctue son discours de «paraît-il» et «il paraît». Et puis, pourquoi ne pas parler de lui-même en tant que candidat, mais parler des ancêtres, du père, de la généalogie? Personne d’autre ne fait ça aux Comores, alors que tout le monde a un père et des aïeux, même quand il s’agit de gueux. Les Comoriens ne vont pas voter pour une généalogie, mais pour le sérieux et la crédibilité personnelle des candidats. Personne ne sera élu parce qu’il est le fils d’untel ou le petit-fils d’untel, mais parce que les Comoriens le jugent sérieux et crédible. C’est là-dessus que ça se joue. De surcroît, quand Fahmi Saïd Ibrahim dit ne jamais évoquer le nom de Hamada Madi Boléro, on est obligé de se tordre de rire. S’il ne faisait que ça, il y a longtemps qu’il aurait fermé boutique, lui qui accuse Hamada Madi Boléro de l’avoir empêché d’obtenir un poste ministériel dans le régime politique actuel, alors que la réalité se trouve ailleurs. Des menaces, des menaces… Mais, quand ces menaces vont-elles cesser? Depuis quand on fait de la politique en menaçant les gens et en disant de qui on descend? Ça ne vole pas haut, tout ça. De surcroît, Hamada Madi Boléro n’est candidat à rien et fait tout pour ne pas s’impliquer dans un processus électoral dont le niveau du débat est d’une pauvreté intellectuelle et politique affligeante.
Par ailleurs, on se souvient de l’incroyable requête par laquelle Maître Mohamed Ahamada Baco, colistier de Maître Saïd Larifou (Parti RIDJA) pour la Grande-Comore, demandait à la Cour constitutionnelle d’invalider les candidatures du Vice-président Mohamed Ali Soilihi et du Gouverneur Mouigni Baraka Saïd Soilihi pour des motifs abracadabrantesques. Ladite requête a été logiquement rejetée puisque sans objet légal. Suite à ce rejet, somme toute légal, Maître Saïd Larifou a choisi, lui aussi, un discours aux intonations guerrières et bellicistes, laissant entendre qu’«en tant que candidat, je ne me laisserai pas intimider et je suis indigné par la teneur du communiqué; je prends la responsabilité d’assumer mes propos en tant que candidat, je continuerai à commenter les arrêts de la Cour, et ce qui devra arriver arrivera». «Ce qui devra arriver arrivera». Drôle de rhétorique, une fois de plus, de la part de quelqu’un qui dit pouvoir diriger les Comores en bon père de famille. Et le chef du RIDJA d’ajouter, s’agissant des membres de la Commission électorale nationale «indépendante» (CÉNI): «Nous doutons sérieusement de leur capacité à mener des élections libres et transparentes au vu des accusations extrêmement graves qui pèsent sur eux», même quand le Docteur Ahmed Djaza Mohamed, Président l’institution, dit détenir des preuves comptables sur la régularité des opérations financières de l’organisme. Toujours, s’agissant des membres de la CÉNI, Maître Saïd Larifou continue à tempêter: «Nous exigeons leur démission immédiate pour le bien de ce pays», et «si les institutions compétentes ne les poursuivaient pas, celles qui vont venir après les élections le feront». C’est quand même triste de voir que chacun croit avoir le droit d’exiger la démission des membres d’une institution publique dont la nomination a été faite par des autorités provenant de tous les horizons politiques du pays. Et puis, quand Maître Saïd Larifou dit que «si les institutions compétentes ne les poursuivaient pas, celles qui vont venir après les élections le feront», cela suppose qu’il se voit déjà en prochain Président des Comores, celui qui va «poursuivre» les membres de la CÉNI, mais ça, c’est une autre histoire.
Les Comoriens ne comprennent pas pourquoi les candidats qui ont peur du suffrage universel dénoncent toutes les institutions du pays et insultent les adversaires, sans rien proposer de crédible. Les Comoriens attendent un débat d’idées, et certains candidats leur proposent la peur, les menaces et l’injure. Ici et là, on n’hésite pas à inventer des accusations de fraude électorale, alors que rien de sérieux et d’objectif ne permet d’avancer dans cette voie. Pourquoi devrait-il y avoir de risques de fraudes électorales alors que la communauté internationale, qui finance le processus électoral en cours, va dépêcher aux Comores des observateurs impartiaux, à la fois pour que les élections soient libres, démocratiques et transparentes, mais aussi pour permettre aux Comores de vivre en paix et dans une parfaite stabilité institutionnelle? Ici, il y a forcément mauvaise foi, et il s’agit d’une situation qu’on peut observer dans tous les pays du monde où il y a des mauvais perdants et même de futurs mauvais perdants qui, sachant les carottes cuites, cherchent des boucs émissaires. Dans le cas du Maroc, par exemple, les résultats d’un référendum qui étaient favorables à l’État avaient suscité un vif débat qui avait fait dire à Jacques Benoist-Méchin: «D’aucuns ont contesté ces chiffres en affirmant “qu’ils avaient été obtenus par des procédés frauduleux”. (N’est-ce pas l’argument classique des vaincus à l’égard de tous les référendums?). […]. Mais à quoi bon s’attarder à invoquer des arguments qui ne convaincront jamais personne?»: Jacques Benoist-Méchin: Histoire des Alaouites (1268-1971), Préface d’Alain Decaux, Éditions Perrin, 2ème édition, Paris, 2012, pp. 252-253. Aux Comores, il ne faudra pas se fatiguer à répéter les paroles prémonitoires de Mohamed Saïd Fazul: «Or, à la Grande-Comore, celui qui remportera l’élection présidentielle de 2016 sera confronté à vie aux candidats mis en échec de manière démocratique. Chaque candidat recalé se considèrera comme “le vrai Président élu”. Les candidats mis en échec constitueront une coalition de déstabilisation du régime politique en place. Ils vont tout faire pour casser le pays et le faire reculer davantage. Or, le Président qui sera élu aura des problèmes très sérieux à régler. Et, il faudra le laisser tranquille. Il faudra juste une opposition constructive et non une “opposition de revendication de places”» (Interview, www.lemohelien.com, vendredi 23 octobre 2015).
Par ARM
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© www.lemohelien.com – Mardi 26 janvier 2016.